Fil d'Ariane
Le gouvernement britannique annonce que le premier vol qui transportera des demandeurs d’asile du Royaume-Uni vers le Rwanda aura lieu le 14 juin. Il prévoit d'envoyer au Rwanda des demandeurs d'asile arrivés illégalement. Cependant, des associations prévoient des recours. Que peuvent-elles faire pour éviter la mise en place de cet accord ?
« Si nous savons que des tentatives auront lieu pour contrecarrer le processus et retarder les expulsions, je ne me laisserai pas dissuader et resterai pleinement engagée à mettre en œuvre ce qu’attend le public britannique ». La ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, Priti Patel, reste ferme. L'accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda, annoncé le 14 avril 2022, sera bien appliqué. Ce 31 mai, la ministre du gouvernement conservateur de Boris Johnson annonce qu’en vertu du partenariat avec le Rwanda, un premier vol de demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni vers ce pays aura lieu le 14 juin.
L’accord prévoit la relocalisation des demandeurs d’asile britannique vers le Rwanda. Financé par Londres à hauteur de 120 millions de livres (141 millions d’euros), il vise à dissuader les traversées clandestines de la Manche. À son annonce, l’accord a suscité de vives critiques de groupes de défenses des droits humains, de personnalités de l’opposition dans les deux pays et même des Nations unies.
Le gouvernement affirme que des demandeurs d’asiles ont reçu des mises en demeure de la part du ministère de l’Intérieur. Sur celles-ci, il est indiqué qu’ils seront relocalisées au Rwanda. Il s’agit de personnes actuellement en détention. Cependant, le nombre de passagers de ce premier vol vers le Rwanda reste encore inconnu. Priti Patel salue une « nouvelle étape » vers la mise en œuvre du partenariat avec le Rwanda dans le cadre de la stratégie du gouvernement pour réformer « le système d’asile cassé et briser le business-model négatif des passeurs. » Dans un communiqué, le gouvernement britannique affirme que les personnes expulsées vers le Rwanda pourront « y refaire leur vie en toute sécurité. »
What a way to mark the #PlatinumJubilee weekend, by telling torture and slavery survivors that they will be expelled to an oppressive dictatorship.
— Bella Sankey (@BellaSankey) May 31, 2022
The Government has lost even the pretence of decency and humanity as it tries to save "Big Dog's" political skin https://t.co/FoDjzjfx3F
« Quelle manière de marquer le week-end du jubilé, en disant à des victimes de torture et d’esclavage qui ont parcouru des milliers de miles pour un lieu sûr qu’elles vont être expulsés vers une dictature » ironise Bella Sankey, directrice de l’association Detention Action, qui lutte contre la détention des demandeurs d'asile, sur Twitter. Son association envisage un recours pour contrer l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda. Catherine Woollard, directrice du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), une alliance de 105 ONG présente dans 39 pays d’Europe, explique que deux types de recours peuvent être déposés.
L’idée serait qu’un juge décide que l’accord-même entre le Royaume-Uni et le Rwanda n’est pas légal. Catherine Woollard, directrice de l'ERCE.
Tout d’abord, il existe les recours individuels. « Cela concerne les personnes qui ont déjà reçu la notification d'expulsion, qui ont chacun un droit de recours », explique-t-elle. « La décision dépendra ensuite du jugement en fonction de l’individu. » Ensuite, il y a « les litiges et les contentieux contre l’accord-même », poursuit la directrice de l’ECRE. « L’idée serait qu’un juge décide que l’accord-même entre le Royaume-Uni et le Rwanda n’est pas légal. » Cependant, cette deuxième possibilité est moins susceptible de voir le jour que la première car le temps judiciaire « prends du temps. »
Outre les recours, les activistes peuvent agir d’autres manières. « Ils peuvent organiser des manifestations ou essayer d’empêcher le départ de l’avion », précise la directrice de l’ECRE. Une manifestation est d’ailleurs prévue à Londres le 18 juin. « Il y a aussi la possibilité que des personnalités politique s’expriment contre cet accord », poursuit-elle. Des personnalités publiques britanniques se sont déjà exprimées en opposition à l’accord. Parmi eux, l’archevêque de Canterbury Justin Welby. Il considère que le fait d’envoyer les demandeurs d’asile dans un pays étranger « pose de sérieuses questions éthiques. » Par ailleurs, des ONG telles que Care4Calais, qui travaille pour améliorer les conditions des réfugiés en France, au Royaume-Unis et en Belgique et Detention Action ont lancé des cagnottes pour financer des actions contre l’accord entre le Rwanda et le gouvernement britannique.
Selon des analystes, cela va coûter plus d’un million de livre sterling par réfugié, ce sont des chiffres absurdes.Catherine Woollard, directrice de l'ERCE.
Outre le fait de mettre les demandeurs d’asile en difficulté, un autre parti pourrait se retrouver en difficulté à cause de cet accord : le gouvernement britannique lui-même. « Mettre en œuvre ce type d’accord coûte extrêmement cher », explique Catherine Woollard. « Selon des analystes, cela va coûter plus d’un million de livre sterling (ndlr : 1,172 million d'euros) par réfugié, ce sont des chiffres absurdes. » Le prix élevé de ce processus dissuadera-t-il le gouvernement britannique de le mettre en œuvre ? Le cas Australien peut laisser entrevoir cette issue. En 2013, le pays avait passé un accord avec la Papouasie Nouvelle-Guinée, qui prévoyait l’envoi des demandeurs d’asile sur l’île de Manus. En 2016, un rapport de la cour des comptes australienne montre que le ministère australien a laissé exploser les coûts de gestion de ces centres.
Enfin, Catherine Woollard craint que l’envoi des demandeurs d’asile au Rwanda ne créé « beaucoup de problèmes pour la France et la Belgique. » Selon elle, « avec le risque que les demandeurs d’asile soient envoyés au Rwanda, les sauveteurs en mer et les bénévoles auront plus de difficultés moralement à conduire des migrants sauvés en mer au Royaume-Uni. »
Si une décision de justice suspend la mise en œuvre de l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda, cela ne signifie pas la fin des problèmes pour les demandeurs d’asile. « On craint qu’il n’y ait une situation d’apatridie pour ces personnes, où ils resteraient en détention sans avoir la possibilité de demander l’asile », détaille Catherine Woollard. Les réfugiés syriens au Danemark se trouvent dans cette situation. « Mais le pire pour eux serait que le vol parte vers le Rwanda », ajoute-t-elle.
Cela montre que cette politique est cruelle au point que les gens préfèrent se suicider.Catherine Woollard, directrice de l'ERCE.
Plus grave encore, le média britannique The Guardian affirme que des associations venant en aide aux demandeurs d’asile documentent des tentatives de suicide parmi les personnes menacées par un envoi au Rwanda. « Malheureusement, même si c’est dramatique, ça ne m’étonne pas », analyse Catherine Woollard. « Ce sont des personnes très vulnérables, poursuit-elle. Ils vont être envoyés dans un pays qu’ils ne connaissent pas et où il y a des violations des droits de l’homme, et ils savent que ce n’est pas un pays sûr pour eux. » Et de l’autre côté, toujours selon elle, « cela montre que cette politique est cruelle au point que les gens préfèrent se suicider ».