1960. Maurice Yaméogo, premier président de mon pays proclamait son indépendance. Cet extrait de son discours : « aujourd’hui, 5 août 1960, à zéro heure, au nom du droit naturel de l’homme à la liberté, à l’égalité, à la fraternité, je proclame solennellement l’indépendance de la République de Haute-Volta », nous le connaissons tous…
Je suis née trente-cinq ans après l’accession de mon pays à l’indépendance. Trente-cinq longues années durant lesquelles mon pays n’a jamais réussi à se libérer de l’emprise du colon. Aujourd’hui, j’ai vingt-cinq ans. Et mon pays a toujours l’air d’une colonie française. On croirait presque que nous sommes un pays de la France d’outre-mer.
Pas que nous, le Burkina Faso, mais tous les pays de la sous-région. Le colon est omniprésent à chaque étape, à chaque nouveau pas, à chaque nouvelle décision.
Sommes-nous toujours une colonie ? J’ose croire que non. Pourtant, d’un point de vue politique, économique, culturel, et psychique, je pense qu’on est encore très loin d’avoir pris notre indépendance.
Grande amoureuse de la liberté, je me suis toujours demandé ce que signifiait "indépendance". J’en ai cherché la définition dans le Larousse. J’ai eu la réponse suivante : « situation d’une collectivité dotée sur le territoire où elle vit, d’organes non subordonnés aux organes d’une autre collectivité ».
Dans les faits, il n’en est rien ! Nous ne sommes pas autonomes ! Nous ne sommes pas indépendants. Nous ne sommes pas libres. Tout n’est qu’illusion. Nous sommes toujours aussi assujettis qu’au premier jour. Nous sommes subordonnés.
Tenez ! Fin 2019, le président français, Emmanuel Macron, convoque sans ménagement les cinq chefs d’Etat du G5 Sahel : « J'attends d'eux qu'ils clarifient et formalisent leur demande à l'égard de la France et de la Communauté internationale. Souhaitent-ils notre présence ? Ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions ».
Les mots du président français avaient claqué tel un fouet. La toile s’était enflammée. Les populations s’étaient indignées. Pour elles, il était inadmissible que les chefs d’État du G5 Sahel répondent. A votre avis, avaient-ils répondu à l’appel du président Macron ? Oui, évidemment. Et comment ! Je vous passe des détails.
Ce "petit incident", qui n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, prouve que nombreux sont les pays supposés indépendants qui continuent à courber l’échine devant le "chef colon". Mais est-ce toujours la faute du colon si nous lui restons soumis ?
J’ai l’impression que nous sommes aliénés ; comme si, nous étions tellement habitués à la présence de « l’homme blanc » qu’il nous est désormais inenvisageable de tracer notre chemin sans lui pour nous guider. Dans la mémoire de nombreux Burkinabè, l’image de « l’Homme blanc » - fort, intelligent, supérieur - et de « l’Homme noir » - faible, abruti et soumis - est encore fortement ancrée.
Le mythe de « l’Homme blanc » est toujours aussi présent qu’à l’époque coloniale. Devant lui, nombreux sont les « l’Hommes noirs » à bafouiller, à baisser la tête, à serrer les fesses. Si notre culture est fortement influencée par celle de notre colon, cela est entièrement de notre faute.
Nous parlons français, consommons français - chinois aussi, mais ça c’est tout un autre dossier -, imitons lamentablement le lifestyle des Français. Le drame est que, nous nous prenons pour des Français même si nous crions partout « à bas la France ». Paradoxe !
Je pense que la raison pour laquelle nous pataugeons dans la vase depuis tant de décennies est notre perte de repères. En l’espace de deux générations, nous avons oublié qui nous étions. En quête d’identité, nous ignorons aujourd’hui qui nous sommes. Avant, on parlait du Burkina Faso comme du « pays des hommes intègres ».
Mais ça, c’était avant. Je dirai que nous sommes aujourd’hui, « le pays des hommes jadis intègres », en quête de repères et d’identité. Raison pour laquelle nous ne savons où aller, quelle direction prendre. Le plus triste est que nous savons au fond de nous que nous sommes en pleine crise identitaire, culturelle.
Mais nous sommes tous dans un déni collectif qui nous permet de dormir tranquillement sur nos lauriers en rejetant la faute de notre pathétique existence sur les autres. « C’est de la faute à la France si nous sommes malades, si nous ne mangeons pas à notre faim, si nous nous faisons la guerre ».
A la limite, on dira même : « c’est à cause de la France que la pluviométrie est mauvaise. » Peut-être est-ce vrai ! Qu’en sais-je après tout ? Je ne suis qu’une enfant ! Comme on le dit chez moi, « tu es trop jeune pour parler de choses sérieuses. Tais-toi et écoute les personnes âgées ».
Il est temps pour nous de prendre, ou plutôt d’arracher notre indépendance. Loin de moi l’idée de vouloir faire la leçon à qui que ce soit… Les questions se bousculent dans mon esprit. De nombreuses questions qui resteront sans doute sans réponse : l’indépendance, est-ce rejeter systématiquement autrui ? Est-ce accepter autrui comme un allié tout en gardant le lead quant aux décisions à prendre sur les questions stratégiques ?
Une question qui peut sembler peut-être insensée : qui de la France et du Burkina ne peut se passer de l’autre ? Je pense que la réponse la plus évidente est évidemment le Burkina ! Mais reconsidérons les choses. Après tout, il se peut que ce soit la France qui ne puisse se passer du Burkina Faso. C’est elle qui aurait besoin de nous et non l’inverse. C’est une possibilité.
Dans l’ordre chronologique, il s’agit du Cameroun, du Sénégal, du Togo, de Madagascar, du Bénin, du Niger, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Tchad, de la République centrafricaine, du Congo, du Gabon, du Mali et de la Mauritanie. A cette liste, s’ajoutent la République Démocratique du Congo, le Nigeria et la Somalie, colonisés respectivement par la Belgique, la Grande-Bretagne, puis l’Italie et le Royaume-Uni.