Indépendances africaines 9/10 : l'ère des néo-pharaons, par Hyacinthe W. Ouédraogo

Cette année, dix-sept pays africains fêtent le soixantième anniversaire de leur indépendance, dont quatorze anciennes colonies françaises. Nous avons choisi de donner la parole à de jeunes auteurs de la diaspora et du continent, afin qu’ils nous en parlent soit à travers leur expérience, soit à partir d’œuvres africaines qui les ont marqués. Né en 1981 à Ouagadougou, au Burkina Faso, Hyacinthe Wendlarima Ouédraogo est essayiste et enseignant-chercheur à l'université de Gaoua, dans le sud-ouest du pays. Intitulé Le rêve burkinabé, son dernier ouvrage, paru en 2019, aux éditions Ecovie, est consacré à l'histoire récente de son pays. A partir du roman Le parachutage, de feu Norbert Zongo (paru en 1988 et réédité en 2006, chez L'Harmattan), célèbre journaliste burkinabé assassiné en 1998, il évoque pour nous les dérives postcoloniales. Une série proposée par Christian Eboulé.
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Hyacinthe
L'essayiste et enseignant-chercheur Hyacinthe W. Ouédraogo, auteur de, Le rêve Burkinabé, paru en 2019, aux éditions Ecovie.
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La multiplicité des partis et des leaders politiques qui ont lutté pour l’indépendance des colonies africaines portait en elle les germes d’un défaut de patriotisme dans bien des cas. Dans la République Démocratique du Watinbow, la gestion chaotique du pouvoir politique en est une parfaite illustration.

Si Gouama, le commis d’administration, s’était battu pour briser la tutelle coloniale française et offrir l’indépendance à son pays, il était plus mu par la boulimie du pouvoir, l’amour des honneurs que par l’intérêt national.

Un système fondé sur la gabegie et le népotisme    

Dès que l’indépendance fut proclamée, le président Gouama s’érigea en père-fondateur de la République. Il se faisait affectueusement appeler le « guide-éclairé », le « leader bien aimé », le « grand timonier ». Le dieu Gouama adorait la mégalomanie et la démagogie.

Le parachutage

Il mit en place un système fondé sur la démocrature,  la gabegie et le népotisme. Le clan Gouama contrôlait, de facto, la classe politique, l’administration et l’économie. Sa mainmise sur l’armée, créée pour sa sécurité et non pour la défense de la nation était totale. 

Pour endiguer le communisme et étouffer l’opposition politique, il imposa le parti unique dont il était le maître incontesté. Les libertés syndicales et politiques sont restreintes, la presse muselée, les contestations estudiantines réprimées dans le sang. Gouama ne savait qu’une chose : offrir à ses opposants la prison ou le cercueil.

Immobilisme politique et mal gouvernance

Son régime  était plus prompt à multiplier le nombre de prisons que de construire des écoles, des routes et des dispensaires. Des milliers de personnes se retrouvèrent ainsi sur la voie de l’exil.

Cette obsession du pouvoir politique et l’inféodation du système économique aux caprices des dirigeants véreux favorisèrent l’émergence de deux classes aux inégalités abyssales, la coexistence de deux mondes antagonistes : celui de l’eucharistie et de la pilule.

L’immobilisme politique, la mal gouvernance et l’inégale répartition des richesses ont consacré l’érection d’une société pyramidale : l’exploitation de la majorité analphabète, pauvre et rurale par la minorité. 

Un pays sous influence française

Aux antipodes des couches aux conditions déshumanisantes, une classe opulente proche des cercles du pouvoir se construisait un îlot de paix. Les détournements de capitaux ont vidé les caisses de l’Etat au profit des banques suisses et françaises où le président et ses ministres multipliaient les comptes bancaires.

Cette classe bourgeoise, néocoloniale et pro-capitaliste n’avait pas succédé au colonisateur pour se battre contre le sous-développement économique du Watinbow en appliquant des politiques endogènes, mais pour s’offrir le luxe, le paradis sur terre. 

C’est ce qui leur a commandé de maintenir le pays sous l’influence de la France. Cette subtile néo-colonisation leur semblait indispensable pour la stabilité politique et la pérennisation du règne de Gouama, ce pharaon des temps modernes.

Pour « l’ex métropole », c’était l’heure du pillage des ressources naturelles du Watinbow sous les prétextes fallacieux d’assistance et de coopérations bilatérales. Une exploitation facilitée par les valets locaux de l’impérialisme. Le Watinbow n’était d’ailleurs pas le seul à souffrir de cette vampirisation et de cette patrimonialisation de l’Etat.

Un pays qui avance en reculant

Plusieurs autres Etats avaient connu, depuis les indépendances, la naissance de cette génération de néo-pharaons dont les compromissions et les manipulations de la Constitution avaient fait le lit des malheurs de leur peuple. Le Watinbow indépendant avançait en reculant.

Le rêve burkinabé

La dette extérieure s’aggravait, la dépendance à l’aide occidentale s’imposait, les maux sociaux se multipliaient. Le modernisme trompeur masquait la paupérisation des masses, la dépravation des mœurs et la perte de l’identité culturelle.

L’unité nationale était menacée par les velléités régionalistes nées des frustrations et qui accroissent le risque des guerres civiles. Tous ces égarements du roi-président et de son clan politique ont été le ferment de nombreux mécontentements populaires.

Les divisions internes de l’armée et la traîtrise de la France ont secrètement orchestré le renversement du régime tyrannique du président Gouama par son chef d’Etat-Major, le colonel Etienne Kodio. N’était-ce pas le début de l’ère d’un autre néo-pharaon ?

Dix-sept pays africains fêtent leur indépendance cette année

Dans l’ordre chronologique, il s’agit du Cameroun, du Sénégal, du Togo, de Madagascar, du Bénin, du Niger, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Tchad, de la République centrafricaine, du Congo, du Gabon, du Mali et de la Mauritanie. A cette liste, s’ajoutent la République Démocratique du Congo, le Nigeria et la Somalie, colonisés respectivement par la Belgique, la Grande-Bretagne, puis l’Italie et le Royaume-Uni.