Fil d'Ariane
Le bilan des inondations qui ont frappé l'Est de la Libye les 10 et 11 septembre derniers ne cesse de s’alourdir. Plus de 10 000 personnes sont portées disparues. L'aide humanitaire s'organise peu à peu pour venir en aide aux rescapés. Les ONG témoignent d'une situation catastrophique et de nombreuses difficultés. Paroles d'humanitaires.
Les secouristes de l'organsation turque IHH cherchent des survivants après les inondations à Derna, dans l'Est de la Libye, le 13 septembre 2023 - IHH via AP
À Derna, ville martyre de la catastrophe, dans l'Est de la Libye, les ONG font état de grandes difficultés dans la mise en place de l'aide humanitaire depuis le passage de la tempête Daniel le 10 septembre, responsable d'importantes inondations. Les équipes sur place, joignables depuis peu, témoignent d'une situation chaotique et décrivent des scènes apocalyptiques.
"La première des difficultés concerne l'entrée sur le territoire libyen, rendue complexe par la situation politique du pays, partagé entre deux gouvernements, celui de Tripoli à l'Ouest, et le gouvernement de l'Est" explique Sonia Joly du Danish Refugee Council.
"La question de l'obtention des visas, très changeante en Libye, s'est significativement durcie ces dernières années. Depuis environ un an, la Libye bloquait l'accès aux ONG dans tout le pays".
"Dans l'urgence, Tripoli nous a demandé de refaire des demandes de visas afin de pouvoir intervenir au plus vite dans les zones sinistrées", ajoute-t-elle. Une situation dont témoigne aussi, Matthieu Chanterelle, responsable adjoint des programmes en Libye pour Médecins Sans Frontières. Lui a pu envoyer une équipe d'évaluation de 4 personnes à Derna car celle-ci se trouvait déjà sur le territoire libyen. "Étant donnée la rapidité avec laquelle la situation des visas s'est débloquée, ma plus grande crainte serait maintenant qu'il y ait un engorgement au niveau de l'administration dans les prochains jours et que cela complique l'arrivée des prochaines équipes" ajoute-t-il.
Déjà présentes dans le pays, les trois équipes du Danish Refugee Council basées à Tripoli, Benghazi et Derna, qui réalisaient différentes missions, sont donc mobilisées. L'un des trois membres libyens qui composaient l'équipe de Derna est décédé dans les inondations. La mission travaille déjà main dans la main avec l’hôpital de l'armée nationale libyenne, installé à l'entrée de la ville, ainsi qu'avec le Croissant-Rouge libyen et l'ONG Libaid. Trois secouristes de la Croix-Rouge vont être envoyés pour se joindre au médecin de l'équipe, ainsi qu'un coordinateur d'urgence.
L'équipe d'évaluation de Médecins Sans Frontière arrivée sur place ce jeudi 14 septembre a par ailleurs fait don au Croissant-Rouge de 250 kits médicaux ainsi que de plus de 400 sacs mortuaires.
Après 48h sans nouvelles des équipes sur le terrain, Sonia Joly du Danish Refugee Council nous explique qu'"une fois arrivés en Libye, l'accès à Derna reste complexe pour les secouristes humanitaires, puisque la ville est coupée en deux et qu'une seule route permet d'y entrer. Dans les premiers jours ayant suivi le passage de la tempête, celle-ci était embouteillée par les camions d'aide envoyés par la société civile et non-coordonnés avec le reste de l'aide humanitaire. Un problème que l'on avait déjà connu au moment du tremblement de terre qui avait eu lieu en Turquie et en Syrie, en février dernier. L'armée n'autorise donc désormais plus que les ONG à circuler via cette route, ce qui nous permet peu à peu d'entrer dans la ville."
Reste que, "cette importante mobilisation de la société civile, bien que peu coordonnée avec les ONG, peut permettre d’accélérer les choses. On l'a vu quand notre équipe a voyagé de Tobrouk, à 170 kilomètres à l'Est, où elle était basée, jusqu'à Derna. Ce sont des civils qui les ont aidés et hébergés" nuance de son côté le responsable de MSF, Matthieu Chanterelle.
Le Danish Refugee Council prévoit d'envoyer une aide matérielle par la mer dès la semaine suivante, et va également mettre en place un soutien psychologique, totalement inexistant jusqu'alors. Entre 20 et 25 personnes devraient arriver très prochainement. Une aide rendue possible par les fonds du Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, ainsi que des fonds hollandais et danois.
"Malgré toutes ces difficultés, l'un des principaux dangers, en dehors des inondations elles-mêmes, sont les matériaux explosifs présents dans le sol. La zone est minée et les sols chargés d'explosifs. Si auparavant, les habitants parvenaient à se repérer et connaissaient les zones à éviter, les récentes inondations ont tout déplacé, rendant tous déplacements extrêmement risqués" précise Sonia Joly pour le Danish Refugee Council.