Fil d'Ariane
L'aide internationale destinée à la ville de Derna ravagée par des inondations meurtrières afflue ce samedi en Libye, mais les espoirs de retrouver des survivants parmi les milliers de personnes portées disparues s'amenuisent, six jours après la catastrophe.
Avion cargo chargé d'aides pour la Libye, le 13 septembre 2023, à la base militaire d'Istres, dans le sud de la France. @Photo AP/Daniel Cole.
Le déluge survenu dans la nuit de dimanche à lundi a entraîné la rupture de deux barrages en amont, provoquant une crue fulgurante, de l'ampleur d'un tsunami, le long de l'oued qui traverse la cité, emportant tout sur son passage.
Les flots ont laissé un paysage de désolation, et une grande partie de la ville, sur les deux rives de l'oued, apparaît comme foudroyée par un puissant séisme, selon un photographe de l'AFP.
Des bâtiments entiers ont été emportés par les flots. D'autres sont à moitié détruits, des voitures sont fracassées contre les murs.
Les conséquences des inondations sont visibles à Derna, en Libye, le 14 septembre 2023. @Photo AP/Yousef Murad.
Avant la catastrophe, la ville comptait 100.000 habitants. "Au moins 10.000" personnes sont portées disparues, selon l'ONU, alors que le bilan exact des victimes n'est toujours pas connu.
Des responsables du gouvernement de l'Est dans ce pays divisé évoquent au moins 3.000 morts, mais beaucoup craignent un bilan bien plus lourd.
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a fait état de plus de 38.000 déplacés dans l'Est, dont 30.000 à Derna.
Des gens prient sur les tombes des victimes des inondations à Derna, en Libye, le 15 septembre 2023. @Photo AP/Yousef Murad.
Face à la catastrophe, la mobilisation internationale reste forte. Samedi, à l'aéroport Benina de Benghazi, grande ville de l'Est, un avion émirati et un autre iranien ont déchargé des tonnes d'aides dans des camions, pour être acheminés ensuite vers la zone sinistrée, à 300 km plus à l'est, selon une journaliste de l'AFP.
L'avion émirati était chargé notamment de produits alimentaires, d'ustensiles de cuisine, de tentes et matériel de secours, selon la même source.
L'OMS a pour sa part annoncé l'arrivée à Benghazi de "29 tonnes de matériel médical" depuis son hub logistique mondial à Dubaï, "suffisamment pour aider près de 250.000 personnes". Cette aide comprend notamment des médicaments essentiels et des fournitures de chirurgie d'urgence, ainsi que des sacs mortuaires permettant le déplacement des corps et une "inhumation digne" des défunts, a ajouté l'OMS.
"Il s'agit d'une catastrophe d'une ampleur épique", a déclaré le docteur Ahmed Zouiten, représentant de l'OMS en Libye.
D'autres organisations humanitaires comme le Secours islamique et Médecins sans frontières (MSF) ont mis en garde contre les risques de propagation de maladies, liés à une éventuelle contamination de l'eau. De nombreuses personnes ont été emportées vers la mer Méditerranée qui a rejeté des dizaines de cadavres en décomposition.
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a fait état de plus de 38.000 déplacés dans l'Est frappé par les inondations, dont 30.000 à Derna.
Manoelle Carton, coordinatrice médicale d'une équipe de Médecins sans frontières (MSF) arrivée il y a deux jours à Derna, décrit une situation "chaotique" qui a empêché le bon déroulement du recensement et l'identification des victimes.
"De nombreux volontaires de toute la Libye et de l'étranger sont sur place. La coordination de l'aide est urgente", insiste-t-elle.
La majorité des corps ont été enterrés (...) autant dans des cimetières que dans des fosses communes, dont beaucoup n'ont pas été identifiés, surtout ceux ramenés en grand nombre depuis la mer.
Manoelle Carton, coordinatrice médicale d'une équipe de MSF
Le travail des secours et des équipes de recherche est considérablement entravé par le chaos politique qui prévaut dans le pays d'Afrique du Nord depuis la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, avec deux gouvernements rivaux, l'un à Tripoli (ouest), reconnu par l'ONU et dirigé par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, et l'autre dans l'Est, affilié au camp du puissant maréchal Khalifa Haftar.
Stéphanie Williams, diplomate américaine et ex-représentante de l'ONU en Libye, a appelé à une intervention internationale urgente : "L'impératif moral (...) de protection (des civils) qui a motivé l'intervention (militaire) de 2011 (contre le régime de Mouammar Kadhafi, NDLR) est celui qui doit guider les actions de la communauté internationale suite aux inondations qui ont dévasté l'Est de la Libye et causé la mort de milliers de Libyens innocents et d'expatriés".
Elle préconise la création d'un "mécanisme conjoint national/international pour superviser les fonds d'aide, fustigeant une classe politique libyenne "prédatrice" qui a tendance, selon elle, à "utiliser le prétexte de la souveraineté" pour diriger les opérations d'aide "selon ses intérêts".
Des travailleurs humanitaires français attendent près d'un avion cargo chargé de secours pour la Libye, le 13 septembre 2023, à la base militaire d'Istres, dans le sud de la France. @Photo AP/Daniel Cole.
Le porte-parole du maréchal Haftar, Ahmad al-Mesmari, a fait état de "besoins énormes pour la reconstruction", lors d'une conférence de presse vendredi soir à Benghazi, la grande ville de l'Est de la Libye, berceau du soulèvement de 2011.
Bien que le drame se soit produit dans une zone sous le contrôle du camp de l'Est, M. Dbeibah a estimé cette semaine que l'absence de plans de développement adéquats et "l'usure causée par le temps" y avait contribué.
"C'est l'une des conséquences des querelles, des guerres et de la dilapidation des fonds", a-t-il affirmé.
Une pétition en ligne, qui a récolté plus de 2.000 signatures en 24 heures, appelle à l'aide de la communauté internationale et à la création d'une "commission d'enquête internationale et indépendante" pour élucider les circonstances de la catastrophe et identifier les responsables en vue de les traduire en justice.