Italie : le choc après le meurtre d’un Nigérian battu à mort devant des témoins indifférents

L’Italie s’indigne : dans une petite ville balnéaire de l’Adriatique, personne n’est intervenu pour sauver la vie d’Alika Ogorchukwu, un vendeur ambulant nigérian de 39 ans. Un Italien de 32 ans l’a agressé et maintenu à terre en le tuant. La scène qui a duré quatre longues minutes a été filmée par des témoins qui n’ont pas jugé bon d’intervenir.

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Une femme dépose des fleurs là où Alika Ogorchukwu a été assassiné
Une femme dépose des fleurs là où Alika Ogorchukwu a été assassiné, Civitanova Marche, Italie, le 30 juillet 2022.
© AP Photo/Chiara Gabrielli, File)
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En mai 2021, Alika Ogorchukwu, un Nigérian de 39 ans résidant en Italie, s’était fait renverser par une voiture alors qu’il circulait à vélo. Depuis, il s’aidait d’une béquille pour marcher. Un homme s’est servi de cette béquille pour le faire tomber et ensuite il l’a maintenu au sol pendant quatre interminables minutes en provoquant sa mort par étouffement. La scène a été filmée. Elle est insoutenable.
 

Tout a commencé vendredi 30 juillet après-midi, près de la gare de Civitanova Marche, une petite ville du centre de l’Italie, sur la côte adriatique.

Voir : En Italie, le choc après le meurtre d'un Nigérian en pleine rue

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Alika Ogorchukwu propose sa marchandise aux passants et croise Filippo Ferlazzo, 32 ans, avec sa compagne. Il les arrête, insiste pour qu’ils lui achètent quelque chose mais sans succès. Le couple se sépare. Mais Filippo Ferlazzo suit le vendeur ambulant sur 200 mètres, l’arrête corso Umberto I, une artère commerçante et fréquentée. Il l’agresse avec brutalité avec sa propre béquille et ensuite, après l’avoir maintenu au sol et étranglé, il s’en va après lui avoir volé son portable.

Grâce aux images de vidéo surveillance de la ville et à celles prises par téléphone par les témoins, il a été arrêté très rapidement par la police et comparaissait devant le juge.

Les réactions de la classe politique

Ce meurtre a immédiatement divisé la classe politique italienne.

L’indifférence des passants qui ne sont pas intervenus fait réagir Enrico Letta, ancien Premier ministre italien du parti de gauche Partito democratico qui twitte "un assassinat qui laisse sans voix. Une férocité inouïe. Une indifférence généralisée".


Giuseppe Conte, lui aussi ancien ministre, du Mouvement 5 étoiles s'indigne à son tour dans un long message qu'il conclue par "Voulons-nous vraiment de cette société ?"


Antonio Tajani, député européen et membre du parti de Berlusconi Forza Italia, demande à la mairie de Castelnuovo de se constituer partie civile "dans le procès contre ce monstre, un Italien de 32 ans, qui a commis cet homicide dément".
 

La polémique

Vive polémique entre le journaliste Corrado Formigli, présentateur d'une émission de débats très connue, Piazza pulita, sur la 7ème chaine italienne "La Sette", Giorgia Meloni membre de Fratelli d’Italia le parti d’extrême droite italien et Matteo Salvini, le leader de la Ligue nord, autre parti souverainiste.
 


"Un Nigérian handicappé tabassé par un Italien à Civitanova Marche. Nous attendons les posts indignés de @MatteoSalvini et @GiorgiaMeloni", écrit le journaliste.  "Avant d'utiliser la mort de ce pauvre Alika pour ta propre propagande pitoyable, tu pouvais au moins exprimer ta solidarité à la famille. Comme tu peux le voir, j'ai immédiatement condamné cet homicide brutal. Chacal" a répliqué la leader de Fratelli d'Italia, la formation d'extrême droite.

Pour Matteo Salvini "la sécurité n'a pas de couleur, elle doit à nouveau être un droit."


"C'est une mise à mort de la pitié", réagit la communauté de Sant'Egidio, groupe catholique de médiation, en soulignant dans son communiqué "un évènement qui s'est passé à 14h30 dans une rue normalement fréquentée par beaucoup de gens, en plein centre de Civitanova Marche. Certains ont filmé la scène, d'autres ont hurlé contre l'agresseur, personne n'est intervenu."

La région des Marche, présidée par le député d’extrême droite Fratelli d’Italia Francesco Acquaroli, va se constituer partie civile.

Un meurtre à caractère raciste ?

Très rapidement, l’enquête a voulu exclure un motif raciste. Le juge a souligné que le meurtrier souffrait de problèmes pyschiatriques. Une expertise a d’ailleurs été demandée par ses avocats. Au moment des faits, il était sous tutelle de sa mère qui habite à plus de 400 km de là, dans le sud de l’Italie, à Salerne.

Une conclusion contestée par l’avocat de la famille de la victime, Maître Francesco Mantella qui s’exprimait le 31 juillet sur l’antenne de la radio privée nationale Radio Capital : "Il est fort probable qu’il y ait une composante raciste dans ce meurtre, quand on examine la façon dont s’est produite l’agression. L’agresseur a exprimé une haine et une violence à laquelle on ne peut trouver d’explication si ce n’est dans un motif intérieur refoulé depuis un long moment. Pourquoi ne pas l’appeler haine raciale ? Il a exprimé un sentiment de détestation envers tout ce qu’Alika représentait. Pourquoi l’aurait-il suivi ? L’aurait-il vraiment fait uniquement parce qu’il lui a réclamé un euro ?"

Sur les réseaux sociaux circule largement un dessin qui souligne le scandale provoqué par l’inaction des témoins qui ont filmé le crime sans intervenir.

"Andava fermato non filmato". Le journal satyrique Prugna joue sur l’allitération des mots pour faire passer le message : il fallait l’arrêter, pas le filmer.

Un internaute fait remarquer ironiquement qu'il peut comprendre "qu'on puisse avoir peur d'intervenir quand on voit quelqu'un qui frappe un invalide. Mais si tu te trouves là, que ton chien aboie, que tu regardes, et qu'ensuite tu t'assois à deux mètres de là, tu n'as pas peur, sinon tu t'enfuirais. Dans ce cas, c'est l'absence de solidarité humaine : il n'y a que le chien qui a réagi."

Un drame humain

Il ne faudrait pas que la polémique politique, qui a vite éclaté dans cette période pre-électorale en Italie, n’occulte le drame humain.

Alika Ogorchukwu laisse une femme, Charity Oriachi, et un enfant de 8 ans, Emmanuele, scolarisé à San Severino, tout près de Civitanova Marche.

L’avocat de la famille, Francesco Mantella craint d’ailleurs le moment où il découvrira les images du meurtre de son père sur Internet. "Les services sociaux de San Severino devraient lui apporter un soutien psychologique immédiat, ainsi qu’à sa petite cousine qui a déjà tout vu" confiait-il au quotidien national La Repubblica.