Fil d'Ariane
"Nous attendons du gouvernement français qu’il reste neutre sur la situation en Algérie ! La France doit respecter la quête du peuple algérien !". Saïd Salhi commentait ainsi la perspective de la visite à Alger du Premier ministre français, avant que celle-ci ne soit "reportée sine die pour raisons sanitaires", selon les services de Jean Castex.
Le vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) redoute en effet que la réconciliation entre la France et l’Algérie ne se fasse au dépens du Hirak, le mouvement qui, depuis plus de deux ans, manifeste en Algérie pour réclamer la fin du "système" aujourd’hui incarné -notamment- par le président Abdelmajid Tebboune.
Les propos du président français en novembre dernier sont restés dans toutes les têtes. Emmanuel Macron avait alors promis qu’il ferait "tout son possible pour aider le président Tebboune", le jugeant "courageux" et destiné à assurer la "stabilité" du pays. Au sein de l’opposition, la sortie du président français avait été qualifiée d’"ingérence" et de "néocolonialisme". Un accueil glacial qui n’a pas découragé la France dans sa volonté de réchauffer les liens avec le pouvoir algérien, alors que six décennies après l’Indépendance, Paris et Alger entretiennent toujours des relations oscillant du pire au moins mauvais.
Au coeur de cette relation, un concept de mémoire devenu une arme politique, des deux côtés de la Méditerranée. Saïd Salhi le reconnaît : "la question du passé doit être réglée, des gestes sont attendus. Mais le passé ne doit bloquer ni le présent ni l’avenir. Et la majorité du Hirak sont des jeunes qui n’ont connu ni la période coloniale, ni la guerre d’Algérie !"
La question du passé doit être réglée. Mais le passé ne doit bloquer ni le présent ni l’avenir.
Saïd Salhi, Ligue algérienne de défense des droits de l’homme
Cette volonté de réchauffement et de réconciliation s’est manifesté ces derniers mois par plusieurs coups de téléphone entre les présidents français et algérien. En janvier, Emmanuel Macron affirmait "sa volonté de retravailler à nouveau ensemble sur des dossiers d’intérêt commun". Un mois plus tard, les deux présidents ont décidé de "poursuivre la coordination entre les deux parties en vue de booster la coopération bilatérale dans divers domaines et rapprocher les vues sur certains dossiers".
Mais le point d’orgue de cette volonté française d’assainir les relations avec Alger, le rapport Stora, n’a pas soulevé un enthousiasme débridé du côté des autorités algériennes.
Publié en janvier, il a été qualifié deux mois plus tard de "rapport franco-français" par le directeur des Archives nationales algériennes, Abdelmadjid Chikki, alter ego de Benjamin Stora dans cet exercice mémoriel. "Officiellement, c’est comme si ce rapport n’existait pas", a-t-il conclu.
Fin mars, également, et sur recommandation du rapport Stora, le président français reconnaissait officiellement le rôle de la France dans la mort d’Ali Boumendjel, militant nationaliste algérien arrêté par l'armée française, torturé puis assassiné le 23 mars 1957.
Dimanche dernier, 4 avril, le président Tebboune a, à son tour, évoqué cette mémoire commune. Là encore, les mots ont été peu diplomatiques. S’il ne tarit pas d’éloges sur son jeune homologue français, le président algérien considère que "la mémoire nationale ne saurait faire l’objet de renonciation, ni de marchandage", demandant au passage à la France de restituer un certain nombres d’archives.
"Ce travail de réchauffement se déroule surtout au niveau des présidences", reconnaît Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE, rapportant que si Tebboune rend ouvertement hommage à Macron, il ne se passe pas un jour sans que la télévision d’Etat algérienne ne relate le "génocide" dont la France s’est rendue coupable en Algérie…
Entre passé et présent, entre réelle volonté de réchauffement et rancoeurs tenaces quant à l’histoire commune, les vents contraires continuent de souffler sur les relations entre Paris et Alger.
C’est dans ce contexte que le Premier ministre devait se rendre en Algérie ce 11 avril dans le cadre d’un Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN). Cette "instance de dialogue régulier entre les deux gouvernements" avait été imaginée en 2012, lors d’une visite à Alger du président français de l’époque, François Hollande. Sous l’égide des Premiers ministres français et algérien, elle réunit les ministres des deux pays. La dernière session s’est tenue à Paris en décembre 2017. A l’époque le Premier ministre français s’appelait Edouard Philippe et son homologue algérien était Ahmed Ouyahia.
Ce 5e CIHN avait déjà été retardé par les deux hospitalisations du président algérien en Allemagne à la fin 2020 et au début 2021. Les deux Premiers ministres, Jean Castex et Abdelaziz Djerad devaient aborder "tous les volets de la relation bilatérale" - économique, sécuritaire, éducation et culture - et signeront des accords dans "quelques domaines de coopération".
Du côté de la Ligue algérienne des droits de l’Homme, Saïd Salhi ne semblait pas nourrir beaucoup d’espoirs sur le sujet mais précisait toutefois : "Je pense que la France ne peut pas rester sourde aux aspirations du peuple algérien ! J’espère que la question des droits de l’Homme sera aussi à l’ordre du jour !". Saïd Salhi devra attendre encore pour savoir s'il a été entendu.
► Article mis à jour ce vendredi 8 avril à 20h33 après l'annonce du "report" de la visite de Jean Castex à Alger.