Fil d'Ariane
Choguel Maïga, Premier ministre malien, effectue une visite de travail au Burkina Faso jusqu’au 26 février. Il est à la tête d’une délégation de plusieurs ministres. Cela fait suite à la visite du Premier ministre burkinabè Apollinaire Kyélem de Tambela au Mali, à la fin du mois de janvier.
Par ailleurs, le premier déplacement du capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir au Burkina Faso par un coup d’État en septembre 2022, s’est fait au Mali, au mois de novembre. Son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, lui-même issu d'un pustch, avait également réalisé sa première visite à l'étranger chez le voisin malien. Les deux pays ont à leur tête une junte militaire, arrivée au pouvoir à la faveur d'un coup d'État, dans un contexte sécuritaire instable.
(Re)voir : Le rapprochement avance entre le Mali et le Burkina Faso
Le 2 février, le Premier ministre burkinabè propose la création d’une “fédération” entre son pays et le Mali. "Nous sommes prêts à partager notre expérience, nos idées et nous enrichir des idées et des expériences des autres, surtout de nos frères avec lesquels on a le même objectif", explique Choguel Maïga. "Nous pouvons constituer une fédération souple qui peut aller en se renforçant et en respectant les aspirations des uns et des autres chez eux", déclare Apollinaire Kyélem de Tambela, cité dans le compte-rendu de la visite qu'il a effectuée au Mali les 31 janvier et 1er février, publié par ses services.
C’est la menace djihadiste qui est à l’origine de l’arrivée au pouvoir de militaires dans les deux pays. Au Mali, le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta et son Premier ministre sont arrêtés par des militaires en révolte. Ces derniers affirment dans une déclaration à la télévision publique malienne avoir “décidé de prendre [leurs] responsabilités.” “Notre pays le Mali sombre de jour en jour dans le chaos, l'anarchie et l'insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée", accuse le colonel-major Ismaël Wagué, chef d'état-major adjoint de l'armée de l'air.
Neuf mois plus tard, le président de la transition au Mali, Bah N'Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane, sont arrêtés par les militaires, après avoir formé un nouveau gouvernement. Le colonel Assimi Goïta, jusqu’alors vice-président de la transition, est nommé président de la transition par la Cour constitutionnelle le 28 mai 2021.
Au Burkina faso, le 24 janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba renverse le président Roch Marc Christian Kaboré. Il est lui-même renversé par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre 2022. "Nous avons décidé de prendre nos responsabilités, animés d'un seul idéal, la restauration de la sécurité et de l'intégrité de notre territoire", expliquent les auteurs du second putsch. Ils dénoncent les promesses non-tenues par le colonel Damiba, qui voulait faire de la sécurité une priorité. “Loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous contrôle terroriste”, affirment-ils.
Ces coups d’États font que les deux pays ont vu leur adhésion suspendue de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), mais aussi de l’Union Africaine (UA). Lors du 36e Sommet de l’UA, le 19 février 2023, les dirigeants africains ont réaffirmé leur "tolérance zéro" face aux "changements anticonstitutionnels" de gouvernement et ont maintenu la suspension de ses rangs du Burkina Faso, du Mali, mais aussi de la Guinée et du Soudan.
Le Mali et le Burkina Faso sont aussi sous le coup de sanctions économiques de la Cédéao. Lors d’une réunion organisée en marge du sommet de l’UA, les pays membres de la Cédéao ont décidé de maintenir les sanctions en vigueur et "d'imposer des interdictions de voyage aux membres du gouvernement et d'autres représentants" de ces pays, selon un communiqué signé par le chef de l'Etat bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo, président en exercice de la Cédéao.
Depuis 2015, le Burkina Faso est pris dans une spirale de violences djihadistes. Elles sont d’abord apparues au Mali et au Niger quelques années plus tôt et se sont étendues au-delà de leurs frontières. En décembre 2022, Seidick Abba, journaliste et écrivain spécialiste du Sahel expliquait que “les perspectives ne sont pas bonnes” vis-à-vis de la situation sécuritaire au Sahel. “Depuis que la force Barkhane est partie de la zone des trois frontières, le groupe djihadiste se donne à coeur joie”, analysait-il pour TV5MONDE.
Les attaques djihadistes sont de plus en plus fréquentes au Burkina Faso. Le 22 février, au moins une douzaine de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs de l’armée, ont été tués lors d’une attaque perpétrée dans le nord du pays. Quelques jours auparavant, 70 soldats avaient perdu la vie dans deux autres attaques dans le nord, près du Mali. “On parle d’au moins 40% du territoire national du Burkina Faso qui ne serait plus sous le contrôle de l’État”, expliquait Jérôme Pigné, cofondateur du réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s) et chercheur associé à l'Institut Thomas More à TV5MONDE début janvier. Depuis 2015, les violences ont fait plus de 10 000 morts civils et militaires au Burkina Faso, selon des ONG.
Par ailleurs, au Mali, 13 civils sont morts dans une attaque imputée à des jihadistes contre leur village dans le centre du pays le 23 février. Depuis 2015, le centre du Mali est l’un des principaux foyers des violences terroristes au Sahel, avec l’installation de la Katiba Macina, affiliée à Al-Qaïda. Le 21 février, trois Casques bleus sénégalais y ont été tués par l’explosion d’un engin explosif improvisé. En plus d’être en proie aux exactions djihadistes, le centre du pays est aussi marqué par les représailles entre communautés, des agissements de groupes autoproclamés d’autodéfense et à du banditisme.
En arrivant à Ouagadougou, le Premier ministre malien Choguel Maïga a invité le Burkina Faso à ne compter sur “aucune armée étrangère” pour combattre les groupes djihadistes. “Nous sommes sûrs que le terrorisme sera vaincu au Mali, poursuit-il. Nous allons gagner la guerre avec nos armées.” Il a ensuite rendu hommage aux victimes des récentes attaques djihadistes au Burkina Faso. Il ajoute que “Vous avez fait des choix qui ne sont pas du goût de tout le monde.”
Après les deux coups d'État au Mali, un sentiment de défiance envers la France s’est installé. Cela a conduit à une rupture et l'annonce en février 2022 par le président Emmanuel Macron du retrait des soldats français du pays. Au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré a obtenu le départ de l’ambassadeur de France et des forces spéciales françaises de la mission Sabre, après avoir dénoncé mi-janvier 2023 les accords militaires liant les deux pays.
Avant le départ des troupes françaises, le Mali a entamé un rapprochement avec la Russie. Fin décembre 2021, une quinzaine de pays occidentaux, dont la France, dénoncent un début de déploiement de la société paramilitaire russe Wagner dans le pays. Du côté burkinabè, la présence des mercenaires de Wagner n’est pas acté. Interrogé par TV5MONDE en janvier 2023, le journaliste et auteur Rémi Carayol estimait qu’à ce niveau, il était difficile de comparer la situation du Mali avec celle du Burkina Faso, car les autorités burkinabè ont développé une réserve de soldats civils : les VDP. “Certains disent qu'au Burkina Faso, nos VDP, ce sont nos Wagner à nous”, analysait-il.
Le 23 février, le Burkina Faso annonce dans un communiqué le "recrutement exceptionnel" de 5 000 militaires du rang devant servir l'armée "au moins cinq ans", dans le cadre de la lutte contre les djihadistes. C’est la troisième fois en moins d'un an que l’armée burkinabè organise un tel recrutement. Une politique qui semble se démarquer par rapport à la situation au Mali.