Fil d'Ariane
Kaïs Saïed, pratiquement seul aux commandes depuis trois ans en Tunisie est en lice pour un deuxième mandat lors du scrutin de ce dimanche 6 octobre. Le président sortant est convaincu d'être investi d'une "mission divine" pour sauver son pays de "complots" extérieurs.
Des supporters du président Saïed en campagne à Ariana, le 26 septembre 2024.
Elu démocratiquement en 2019 sous le slogan "Le peuple veut", Kaïs Saïed, 66 ans, avait été applaudi par des foules en liesse quand il s'était octroyé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021 pour, assurait-il, répondre aux blocages politiques et économiques et combattre la corruption.
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Trois ans plus tard, Amnesty International pointe "un inquiétant recul des droits fondamentaux dans le berceau du Printemps arabe" et "un virage autoritaire", détricotant les acquis de la Révolution ayant renversé le dictateur Zine El Abidine Ben Ali en 2011.
Dès février 2022, l'ancien maître-assistant en droit constitutionnel dissout le Conseil supérieur de la magistrature, "dernier bastion de l'impartialité judiciaire", selon Amnesty, et recompose à sa guise la direction de l'autorité électorale.
À l'été 2022, il fait adopter par référendum une révision constitutionnelle, rétablissant un système ultra-présidentiel similaire aux régimes de Habib Bourguiba (1957-1987) et Ben Ali (1987-2011) et transformant le Parlement en chambre d'enregistrement.
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À partir de février 2023, des figures politiques et des hommes d'affaires, qui tentaient de former un front d'opposants, sont arrêtés, suivis en 2024 de syndicalistes, militants associatifs et commentateurs politiques connus. La majorité sont encore en prison.
Crâne dégarni, silhouette longiligne, Kaïs Saïed ne fait pratiquement pas campagne, se contentant de visites dans des zones déshéritées où il dénonce "des complots" ourdis par "les ennemis de la Tunisie".
Le 31 mai 2024, à Pékin, Kaïs Saïed, et sa femme Ichraf, aux côtés du président chinois Xi Jinping.
Un discours qui fonctionne auprès de ses partisans. Slah Assali, son ancien mécanicien de 45 ans dans le quartier de l'Ariana, décrit à l'AFP "une personne sérieuse qui travaille beaucoup mais est constamment gênée par des mains cachées".
Le serveur de café Imed Mehimdi, 45 ans, qui le connaît depuis plus de 20 ans enchérit auprès de l'AFP: "face à de nombreux désastres, la mafia, la corruption, il a remis le pays sur les rails et le train va repartir".
Ces cinq dernières années, le président Saïed qui s'était fait connaître en décryptant la Constitution à la télévision, n'a donné que quelques conférences de presse. Sa communication se résume à des vidéos sur la page Facebook de la présidence, où, en strict costume-cravate, il est le seul à s'exprimer.
En trois ans, il a changé trois fois de Premier ministre et limogé des dizaines de ministres.
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Pour Romdhane Ben Amor, porte-parole de l'ONG Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), le président "ne croit pas au rôle des intermédiaires entre le peuple et lui". "Il considère qu'il a une mission divine révolutionnaire" pour "réaliser la volonté du peuple". Mais au-delà de promesses d'une nouvelle "guerre de libération nationale et d'autodétermination" de la Tunisie, son projet reste mal défini.
Saïed parle "au peuple avec un langage biaisé qui n'est compris que de lui-même", estime l'écrivain Youssef Seddik. Cet anthropologue qui le fréquentait régulièrement avant l'élection de 2019, avait alors été "frappé par sa gentillesse et son sens de l'écoute" qui "contrastent aujourd'hui avec sa raideur".
Dans ses discours, il n'hésite pas à tancer des institutions internationales comme le FMI dont il a refusé "les diktats" et un prêt de deux milliards de dollars ou la société civile, qu'il accuse de "recevoir d'énormes sommes de l'étranger".
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A sa promesse de relancer l'économie avec le phosphate ou des "entreprises citoyennes", sorte de coopératives auto-gérées, les économistes opposent une croissance poussive, un chômage élevé (16%) et un lourd endettement (80% du PIB).
Sur le plan international, il est très proche de l'Algérie voisine, qui soutient la Tunisie par des crédits et des envois d'hydrocarbures à prix d'ami. Défenseur du panarabisme, Saïed affiche son appui à la cause palestinienne et s'est rapproché de la Chine, de l'Iran et de la Russie, même si l'Union européenne reste son principal partenaire commercial et donateur, et les États-Unis son fournisseur en armements.
Né en 1958 à Beni Khiar, près de Nabeul (centre-est) dans une famille de la classe moyenne, conservateur sur les moeurs (notamment l'homosexualité), il est marié à la magistrate Ichraf Chebil et est père de deux filles et un garçon. Il a enseigné le droit constitutionnel jusqu'à sa retraite en 2018.
Amateur de musique arabe classique et de calligraphie, il rédige ses messages importants à l'encre et la plume.
Ce 4 octobre, des centaines de Tunisiens ont manifesté pour dénoncer "des libertés piétinées". "Ni peur ni terreur, le pouvoir est entre les mains du peuple", scandaient les manifestants, qui étaient environ 800 à défiler sur l'avenue principale de Tunis, selon les journalistes de l'AFP.
Manifestation contre le président Saïed le 27 septembre à Tunis.
"La rue est encore active pour dénoncer les atteintes aux libertés et aux droits humains deux jours avant les élections", a souligné Bassem Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH). "Nous sommes sortis pour dénoncer le bafouement des libertés, de la démocratie, des acquis de la Révolution notamment la liberté d'expression et la liberté du travail associatif", a-t-il ajouté.
Dans une démonstration de force, la police avait mobilisé des unités anti-émeutes et des camions à eau pour encadrer le défilé. Les protestataires, dont beaucoup de jeunes militants des droits humains et des artistes, ont appelé au boycott de la présidentielle "mascarade" de dimanche. Pour Leila Chebbi, une actrice, "Kaïs Saïed a piétiné les libertés". "Je boycotte des élections qui enfreignent la loi et ne sont pas légitimes".
Les manifestants ont qualifié le président Saïed de "pharaon manipulateur de la loi" après un processus de sélection des candidats - seulement trois sur 17 initialement - décrié pour des parrainages difficiles à obtenir, l'emprisonnement de candidats potentiels et l'éviction d'autres prétendants sérieux.
"Pays de répression et dictature", "Fête électorale transformée en coup d'Etat", pouvait-on lire sur des pancartes de manifestants.
"Liberté, liberté", beaucoup appelaient à la "chute du régime", le slogan phare du soulèvement populaire et de la Révolution ayant fait chuter le dictateur Zine El Abidine Ben Ali en 2011.