Concrètement, que peut faire la procureure, Fatou Bensouda, pour accéder aux preuves qu'elle réclame, et dit ne pas obtenir de la part du gouvernement kényan ?
Au-delà de demander la coopération du Kenya, pas grand chose. Son bureau a demandé ce matin que le Kenya soit déféré devant l’Assemblée des Etats parties [Elle rassemble les pays ayant ratifié le statut de Rome, traité fondateur de la CPI, ndlr] avec une reconnaissance de non-coopération. Mais même si cela devait arriver, cela ne porterait pas vraiment de conséquence importante. Parce que l’Assemblée des Etats parties n’a pas vraiment le pouvoir de sanctionner un Etat.
Cela reviendrait-il à abandonner les poursuites comme le demande la défense ?
Concrètement, la procureure affirme que, tant que le Kenya ne coopèrera pas pleinement, il ne faut pas abandonner les poursuites. Le Kenya a assuré ce mardi matin qu’il avait coopéré autant qu’il le pouvait. Pour la défense, le procureur a déjà enquêté depuis un certain nombre d'années, et se réveille au dernier moment pour essayer d'avoir des preuves. Cela dépend donc de l’évaluation de la chambre. Evidemment, nous n’avons pas accès à toutes les informations dont elle dispose. Si elle estime que le Kenya a fourni toutes les informations qu’il pouvait, la logique voudrait que les poursuites soient interrompues. Dans le cas contraire, on peut imaginer qu'elle octroie un délai supplémentaire au Kenya pour coopérer, et prolonge le procès d’autant de temps qu’elle lui donnera.
Mais par rapport à l’accusé, la règle c’est "pas de preuves, pas de procès". En théorie, ce n’est pas à l’accusé de subir les conséquences d’une enquête qui ne tient pas debout, quelles que soient les raisons.
Dans l’absolu, si le procès s'ouvre, que risque Uhuru Kenyatta ?
S'il est reconnu coupable, il encourt une peine de prison conséquente. C’est difficile de savoir à combien d’années elle s'élèverait, parce qu'on n'a eu que deux jugements à la Cour pour le moment. Il s'agissait à chaque fois d'une peine d'une quinzaine d’années, pour des crimes de guerre. Pour crime contre l’humanité, cela pourrait être plus élevé.
Uhuru Kenyatta est le premier chef d'Etat en exercice à comparaître devant la CPI. Cela pourrait-il avoir des conséquences par rapport à ses homologues ?
L’enquête a été ouverte avant qu'Uhuru Kenyatta et William Ruto soient élus. Il a comparu avant cela, et le peuple kényan l'a choisi comme président après que les enquêtes ont été ouvertes. Ce n’est pas un choix volontaire du procureur de poursuivre un chef d’Etat en exercice. En termes de conséquences, je ne suis pas sûr qu’il y en ait particulièrement. Le président Omar el-Béchir, du Soudan, est aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt. A mon avis, c’est une question d’opportunité. Cela rend toujours les choses plus délicates, comme on le voit ici, de poursuivre un chef d’Etat en exercice : en termes de coopération, d'accès ou de pressions internationales. L’Union africaine a, à plusieurs reprises, exprimé sa préférence pour que des chefs d’Etat en exercice ne soient pas poursuivis, en appelant même les Etats de l’Union africaine à ne pas coopérer avec la Cour dans ces cas là. La tension entre l’Afrique et la CPI se focalise autour de cette question des chefs d’Etat en exercice. En termes d’objectifs, la justice internationale vise souvent la réconciliation. Ce cas-ci est assez épineux pour la Cour, parce que les deux anciens opposants qui sont accusés de crime contre l’humanité, en quelques sortes l’un envers l’autre, se sont réconciliés et ont été élus démocratiquement. Cela pose une question importante sur le respect de la souveraineté du Kenya et sur les choix de son peuple par rapport aux enjeux de la justice internationale.