Kenya : le spectre du djihadisme ressurgit après une série d'attaques

Une série d'attaques à la bombe artisanale et de décapitations, menées le mois dernier dans le nord-est rural du Kenya, ont ravivé le spectre des islamistes radicaux shebab dans ce pays voisin de la Somalie.

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Sur cette photo d'archive du lundi 23 septembre 2013, une épaisse fumée s'élève après de fortes explosions dans le centre commercial Westgate à Nairobi, au Kenya, le lundi 23 septembre 2013.

Sur cette photo d'archive, une épaisse fumée s'élève après de fortes explosions dans le centre commercial Westgate à Nairobi, au Kenya, le 23 septembre 2013.

Jerome Delay (AP)
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Depuis 2019, le Kenya, n'a plus connu d'attentat d'envergure mené par le groupe somalien shebab, affilié à Al-Qaïda. Des attaques de moindre intensité ont toutefois toujours lieu régulièrement dans les comtés de Lamu, Mandera et Garissa, situés le long des 700 kilomètres de frontière entre les deux pays.

Depuis un mois, habitants et autorités s'inquiètent. Entre le 3 et le 24 juin, 24 personnes ont été tuées (dont 15 membres des forces de sécurité) dans ces régions, dans six attaques distinctes attribuées aux shebab. Lors de l'une de ces attaques, revendiquée par le groupe islamiste, des civils ont été décapités dans une zone rurale reculée du comté de Lamu, réputé pour ses îles sur l'océan Indien.

Selon certains analystes, les shebab se tournent à nouveau vers le Kenya, puissance économique et touristique d'Afrique de l'Est, après avoir été mis sur la défensive en Somalie, où le gouvernement du président Hassan Cheikh Mohamoud leur a déclaré une "guerre totale". 

Des combattants d'Al-Shabab effectuent un exercice militaire dans le nord de Mogadiscio, dans le quartier de Suqaholaha, Somalie, dimanche 5 septembre 2010.

Des combattants shebab effectuent un exercice militaire dans le nord de Mogadiscio, en Somalie, le 5 septembre 2010.

Farah Abdi Warsameh (AP)

Les shebab comptaient entre 7.000 et 12.000 combattants en 2022, selon les renseignements américains (CIA). Ils font face depuis plusieurs mois à une offensive de l'armée somalienne et de milices claniques locales (les "macawisley"), appuyées par la force de l'Union africaine (Atmis), à laquelle participent des troupes kényanes, et des frappes aériennes américaines.
Cette opération militaire a permis aux forces gouvernementales de reprendre du terrain dans le centre du pays. Une deuxième phase doit être lancée prochainement dans le sud.

Les attaques au Kenya sont une façon pour eux "de dire que malgré la pression qu'ils subissent, ils conservent la même force de frappe, explique Nicolas Delaunay, directeur de l'International Crisis Group pour l'Afrique orientale et australe. Cela peut aussi être un moyen d'avertir le Kenya, qui s'est engagé à participer à l'offensive du gouvernement somalien."

"Vengeance"

Le Kenya est ciblé par les shebab depuis son intervention militaire dans le sud de la Somalie en 2011, puis sa participation à la force de l'Union africaine en Somalie (Amisom, devenue Atmis) créée en 2012 pour combattre cette insurrection.

Les djihadistes profitent de la porosité de la frontière mais recrutent également dans la jeunesse locale. Ils ont mené des attentats meurtriers contre le centre commercial Westgate à Nairobi, la capitale kényane, en septembre 2013 (67 morts), l'université de Garissa en avril 2015 (148 morts) et le complexe hôtelier Dusit, également à Nairobi, en janvier 2019 (21 morts).

Pour Roland Marchal, chercheur à Sciences Po Paris et spécialiste de l'Afrique, les récentes attaques constituent une "vengeance" après de récentes frappes de l'aviation kényane contre les positions shebab en Somalie. "Les dirigeants de l'appareil sécuritaire kényan ont été changés ces derniers temps avec la nouvelle administration Ruto (le président élu en août 2022, ndlr) et il y a une désorganisation relative à la frontière."

Les attaques djihadistes ne sont pas concentrées sur le Kenya. L'Ethiopie, envers laquelle les shebab nourrissent une animosité historique, a déclaré le mois dernier avoir déjoué une attaque dans la ville frontalière de Dollo.

"Avertissement"

Le mois dernier, un responsable américain comparait que les récentes attaques transfrontalières à une "manifestation de désespoir" des shebab.
Malgré les gains de l'offensive de l'armée somalienne et de ses alliés, "la situation demeure fragile", a toutefois récemment mis en garde le président de la Commission de l'Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat.

Chassés des principales villes de Somalie en 2011-2012, les shebab restent néanmoins solidement implantés dans de vastes zones rurales. De là, ils continuent de mener des attentats parfois sanglants contre des cibles sécuritaires et civiles.

"Il y a un désir des shebab de montrer qu'ils sont résilients", souligne Hassan Khannenje, directeur de l'Institut international d'études stratégiques de la Corne, centre de réflexion basé à Nairobi. Ces attaques doivent "servir d'avertissement pour le Kenya", estime-t-il.

Le gouvernement kényan a fait le choix de la prudence. Après avoir annoncé, mi-mai 2023, la réouverture progressive de sa frontière terrestre avec la Somalie, officiellement fermée depuis 2011, le ministre de l'Intérieur, Kithure Kindiki, a annoncé reporter cette mesure "jusqu'à ce que nous traitions de manière concluante la récente série d'attaques terroristes et de crimes transfrontaliers".