Kenya : les fausses informations menacent les élections

A quelques jours des élections générales au Kenya, les fausses informations (également appelées "fake news") continuent de circuler sur les réseaux sociaux. Pour tenter de sensibiliser les Kényans, Facebook a mis en place une stratégie mais les conséquences de ces fausses informations sur les élections semblent déjà inévitables.
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Fake news Kenya
Capture d'écran d'un article de la chaîne BBC. 
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Depuis le début de la campagne présidentielle kényane, elles ne cessent de circuler. Les fausses informations (appelées "fake news") envahissent les réseaux sociaux et colportent des rumeurs à travers des photomontages, de faux articles de presse, de faux reportages, etc... 

Mi-juillet, une vidéo décrivant l’avenir apocalyptique du Kenya en cas d'élection de Raila Odinga, le candidat de l'opposition, a été publiée sur Youtube. Images en noir et blanc, atmosphère pesante, messages effrayants et fausses accusations... la vidéo n'a cessé de tourner sur les réseaux sociaux, alimentant la propagande contre l'adversaire du président actuel, Uhuru Kenyatta. 

Début août, ce sont les logos des chaînes internationales CNN et BBC qui ont été imités dans deux vidéos relayant la soit-disante victoire du président Uhuru Kenyatta dans les sondages. Après l'incident, la BBC a publié des messages et des vidéos sur les réseaux sociaux pour alerter les gens sur ces fake news et leur montrer la différence entre un vrai et un faux reportage. 

Plus récemment, l’assassinat d’un haut responsable de la Commission électorale a généré une avalanche de fausses accusations et de théories du complot. Jeffrey Smith, le directeur exécutif de Vanguard Africa, une organisation américaine qui cherche à promouvoir des élections libres et transparentes, en a fait l’expérience. Depuis qu’il a reçu, en mars dernier, Raila Odinga aux Etats-Unis pour y rencontrer des parlementaires, son organisation et lui sont victimes de fake news et de rumeurs. "Il y a quelques jours encore, des rumeurs circulaient accusant Vanguard Africa d’avoir participé à l’assassinat du responsable de la Commission électorale, explique Jeffrey Smith.

"Ces fake news ont été principalement mises en place par chaque camp pour ternir l'élection de mardi", assure Julius Sigei, rédacteur en chef week-end au journal kenyan Daily Nation. Le 8 août prochain, le Kenya élira son président, ses députés et ses gouverneurs lors d'élections générales.
 

9 Kenyans sur 10 ont déjà vu une fausse information


Selon une étude de Portland Communications et Géopoll publiée à la mi-juillet, 9 Kényans sur 10 (sur les 2000 personnes interrogées) affirment avoir déjà lu, vu ou entendu des fausses informations concernant les élections. Même si les médias traditionnaux restent les plus fiables, de nombreux Kényans s’informent via Facebook et Whatsapp, deux plateformes sur lesquelles circulent énormément de fake news.

"Vous avez tout un éventail de ces histoires complètement fabriquées par certains candidats à propos de leurs adversaires, mais nous voyons également des histoires qui sont en partie fausses et des cas de déclaration erronée", a déclaré à nos confrères de RFI Allan Kamau, de Portland Communications.
 
9 kenyans su r10
Capture d'écran d'un sondage de GeoPoll et Portland Communications sur le phénomène des fake news au Kenya.

Facebook se lance dans la bataille

Pour tenter de stopper ces fake news et éduquer la population à les reconnaître, le réseau social Facebook a mis une place une stratégie. Tout d’abord, sur sa plateforme, il va épingler un message en haut de la page d’accueil (la "news feed") qui redirige les utilisateurs vers le Centre d’aide Facebook. Une sorte de notice conseillera les utilisateurs sur la manière dont repérer les fake news : vérifier l’URL, la source et rechercher les autres articles sur le même sujet, par exemple. Cet outil sera bientôt disponible en swahili, la langue officielle du Kenya. 

Facebook fait campagne sur internet mais également dans la vraie vie. Le réseau social place des publicités dans les journaux locaux mais aussi sur les ondes des radios pour sensibiliser la population aux fausses informations. 

Mais selon Nicolas Vanderbiest, doctorant spécialiste des réseaux sociaux à l'Université catholique de Louvain, cette stratégie "ne fonctionne pas". "Il y a plusieurs études qui prouvent que lorsque vous êtes en contact avec une fausse information, même si l'on vous donne la vraie solution ensuite, il vous reste toujours la première information en tête. De plus, les fake news ne fonctionnent pas vraiment avec les gens rationnels mais plutôt avec les gens irrationnels qui deviennent radicaux".

 

Il est souvent difficile de savoir qui se cache derrière ces fake news même si de nombreux observateurs pointent du doigt les politiciens. "Il y a plusieurs indications qui nous font penser que cela vient du gouvernement en place, celui de Kenyatta", explique Jeffrey Smith. Et d’ajouter : "C’est un signe de désespoir. Quand un parti politique ou un leader ne peut pas compter sur les chiffres, ils doivent propager ces fausses et dangereuses histoires." 

En mai dernier, la presse locale kényane avait rapporté que Jubilee, le parti du président Kenyatta faisait appel aux services de Cambridge Analytica (CA), une société britannique spécialisée dans les données et créditée d'avoir influencer les dernières campagnes électorales aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.


30 millions de Kenyans connectés 

Les Kényans sont de grands utilisateurs d’internet puisque 30 des 48 millions d’habitants s'en servent. Ils sont un peu plus de 7 millions à se connecter sur Facebook. Le nombre d'utilisateurs de téléphones portables dans le pays est passé de 8 millions en 2007 à 30 millions en 2013 et 88% de la population a désormais accès à Internet via son téléphone mobile, rapporte la BBC.

Cela signifie que les fake news peuvent circuler à une vitesse incroyable et être utilisées pour influencer les votes des Kenyans. "Cela a des conséquences sur la compréhension de l’actualité des Kényans, mais aussi sur leurs choix politique", s’inquiète Allan Kamau, chef du bureau de Nairobi de Portland Communications dans une interview à Jeune Afrique. "Ces fake news vont influencer les élections, tout comme n'importe quelle propagande", assure de son côté Julius Sigei du journal Dailay Nation.

Selon l'activiste kényan anti-corruption John Githongo, interrogé par l'AFP, la propagation de ces fausses information peut même "mener à la guerre". Il assure :  "La mauvaise vidéo, la mauvaise information et ça peut devenir hors de contrôle". C’est également la crainte de Jeffrey Smith de Vanguard Africa : "Ce genre de phénomène arrive partout mais il est particulièrement dangereux au Kenya lorsqu’on connait son passé avec les violences électorales".

Il y a dix ans, lors des violences post-électorales de 2007-2008, plus de 1 000 personnes avaient été tuées et plusieurs centaines de milliers avaient dû fuir les affrontements.