Selon un dernier bilan, mardi 25 avril, au moins 90 personnes, adeptes d'un culte préconisant un jeûne extrême pour rencontrer Dieu, sont mortes. Ces découvertes macabres révèlent les dangers des "églises" et "pasteurs" autoproclamés au Kenya. Un phénomène que les autorités du pays peinent à encadrer.
Devant l'ampleur des découvertes macabres, les pouvoirs publics ont rapidement monté le ton. "
Ce qui s'est passé à Shakahola est un tournant dans la manière dont le Kenya gère les menaces à la sécurité posées par les extrémistes religieux, a déclaré le surlendemain de la découverte macabre, Kithure Kindiki, le ministre de l'Intérieur.
L'utilisation prétendue de la Bible pour tuer des gens, pour commettre des massacres de masse de civils innocents ne peut être tolérée."
Ces propos font suite à ceux du président, William Ruto qui a promis de réprimer les mouvements religieux "
inacceptables." Il a même comparé leurs dirigeants à des "
terroristes".
De leur côté, les autorités religieuses se sont elles aussi exprimées. "
Ce sont des gens qui ont interprété de façon abusive les écritures au lieu de les utiliser à bon escient, commente Calisto Odede, évêque de l'église Christ Is The Answer Ministries, d'influence pentecôtiste.
Nous devons être capables d'évaluer les messages de certains prédicateurs."
Plus de 4.000 églises
Selon des chiffres officiels, le Kenya, pays d’environ 50 millions d’habitants, abrite plus de 4 000 églises. Les efforts pour mettre en place des garde-fous pourraient toutefois se heurter à une forte résistance. Mgr Odede a précisé, le lendemain de la décourverte du drame, que les églises indépendantes ont déjà rejeté des propositions de surveillance de la part du Conseil national des églises du Kenya.
En 2019, le "
pasteur" autoproclamé Paul Mackenzie Nthenge, accusé d'être au cœur du "
massacre de la forêt de Shakahola", a décidé de fermer son Eglise Internationale de Bonne Nouvelle (Good News International Church), située près de la ville cotière de Malindi. "
Jésus m'a dit que le travail qu'il m'a confié est terminé.", aurait motivé le chef religieux. Mais le chef charismatique aurait finalement emmené ses fidèles dans une forêt voisine. Là, il les aurait convaincus de jeûner pour rencontrer Dieu.
Selon Stephen Akaranga, professeur de religion à l'Université de Nairobi, il est toutefois peu probable que ce "
massacre" entraîne à l'avenir une attitude plus ferme des autorités vis-à-vis des sectes. "
La plupart de ces pasteurs autoproclamés n'a jamais mis un pied dans une université de théologie", assure-t-il. La plupart de ces églises indépendantes se trouvent dans les zones rurales du Kenya "
où les gens ont peu d'informations sur l'éducation."
Les tentatives de contrôle des questions religieuses ont souvent rencontré de l'opposition dans ce pays à majorité chrétienne, en particulier au nom de la liberté de culte. Certaines églises incitent les fidèles à s'acquitter de dons financiers. D'autres exercent un contrôle bien plus dramatique sur la vie des croyants. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à détourner certains passages de la Bible.
Pauvreté et manque d’éducation
La pauvreté, le manque d'éducation et un accès facile aux sermons en ligne ont contribué à l'essor de ce type de cultes.
En 2018, une famille a perdu sept enfants en quatre ans car l'organisation Kanitha wa Ngai (Eglise de Dieu) préconisait de ne pas avoir recours aux hôpitaux et à la médecine moderne. La même année, le Directoire des enquêtes criminelles (DCI) avait lancé un avertissement au sujet d'une secte nommée Young Blud Saints, visant les étudiants d'université. "
Les membres sont incités à sacrifier ce qu'ils aiment le plus pour prouver leur loyauté à l'organisation", prévenait alors la DCI appelant les parents à surveiller leurs enfants.
Mais les sectes du Kenya ont souvent réussi à échapper à la loi. Paul Mackenzie Nthenge lui-même a déjà été arrêté en 2017, accusé de "
radicalisation."Il a été arrêté à nouveau en mars 2023 après que deux enfants sont morts de faim sous la garde de leurs parents. Il a rejeté les accusations et a été libéré contre une caution de 100 000 shillings kényans (environ 670 euros).
Il est aujourd'hui détenu, avec 14 autres personnes, dans l'affaire des morts de la forêt de Shakahola.
(Re)voir : Kenya : les victimes de la secte Église internationale de Bonne nouvelle toujours plus nombreuses