Le président kényan Uhuru Kenyatta a remporté l'élection présidentielle du 26 octobre avec un score à la soviétique (98,26% des voix) à l'issue d'une élection boycottée par l'opposition et dont le pays sort plus que jamais divisé.
Âgé de 56 ans, M. Kenyatta, héritier du père fondateur de la nation et représentant des élites du pays, a estimé que sa nouvelle victoire venait confirmer celle du 8 août, finalement annulée en justice, une première sur le continent.
"Ce n'est rien de plus qu'une nouvelle confirmation de (la) volonté" des électeurs, a déclaré M. Kenyatta, lors de son discours à la Nation.
Le président de la Commission électorale (IEBC), Wafula Chebukati, a annoncé que M. Kenyatta avait recueilli 7,483 millions de voix, soit 98,26%, contre 73.228 à M. Odinga, qui a réuni sur son nom 0,96% des votes, signe que son appel au boycott a été largement respecté par ses partisans. M. Chebukati a ajouté que selon lui, le scrutin avait été
"libre, juste et crédible".
La participation s'élève à 38,8% de l'ensemble des électeurs inscrits, un taux en très forte baisse par rapport au scrutin du 8 août (79%) et le plus faible enregistré depuis le retour du multipartisme en 1992.
Dans son discours, M. Kenyatta est revenu longuement sur le scrutin du 8 août, qu'il avait remporté avec plus de 54% des voix, mais que la Cour suprême avait invalidé après avoir relevé des irrégularités dans le processus de transmission des résultats.
Sur ce point, M. Kenyatta a admis que sa victoire
"serait probablement encore une fois soumise au test constitutionnel via (les) tribunaux", mais a affirmé qu'il s'y soumettrait
"quels qu'en soient ses résultats".
Sécurité renforcée
L'annonce de sa réélection fait craindre de nouvelles violences dans les bastions de l'opposition et soulève déjà dans les médias locaux la question de la légitimité du président au terme d'une élection tronquée. Le vote de jeudi n'avait pu se tenir dans 25 circonscriptions (9% du corps électoral), réparties dans quatre comtés de l'ouest du pays acquis à l'opposition (Homa Bay, Kisumu, Migori et Siaya). Les bureaux de vote n'y avaient pas ouvert leurs portes en raison d'une situation chaotique et de graves troubles sécuritaires dans ces bastions de l'opposition.
L'IEBC a considéré que le résultat global sur l'ensemble du pays ne pouvait être remis en cause, même si le scrutin devait finalement être organisé dans l'Ouest. Elle ne s'est pas prononcée lundi sur ce dernier point. La Commission avait tenté d'organiser à nouveau le scrutin samedi dans ces circonscriptions, avant d'y renoncer in extremis, estimant que la sécurité de son personnel n'y était pas garantie.
Cette crise politique, la pire depuis dix ans dans ce pays d'Afrique de l'Est, a déjà durement affecté l'économie la plus dynamique de la région et épuisé les Kényans, qui aspirent pour beaucoup d'entre eux à reprendre une vie normale. Dans l'attente des résultats lundi, la sécurité avait été renforcée dans plusieurs bidonvilles de Nairobi et dans l'ouest, qui ont concentré la plupart des violences entre partisans de l'opposition et police depuis le 8 août.
Au moins neuf personnes ont été tuées par balle depuis jeudi dans les places fortes de l'opposition, les bidonvilles de la capitale Nairobi et l'ouest du pays.
Et au moins 49 sont mortes (et des dizaines blessées) depuis l'élection du 8 août, pour la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police (recours aux tirs à balle réelle, gaz lacrymogène, canons à eau).
L'opposition en attente de nouvelles consignes...
La crise actuelle et ses violences ont ravivé dans le pays les douloureux souvenirs de 2007/2008, lorsque la présidentielle avait débouché sur les pires violences politico-ethniques de l'histoire du Kenya indépendant (1963), faisant plus de 1.100 victimes et 600.000 déplacés. Peu après l'annonce du résultat, des manifestants ont commencé lundi soir à brûler des pneus dans la ville de Kisumu et dans le bidonville de Kibera à Nairobi, selon des journalistes de l'AFP.
"On s'en moque qu'il ait été élu président. Pourquoi ça nous intéresserait, on n'a pas voté?", a expliqué à l'AFP Alex Onyango, un habitant de 24 ans de Kisumu, tandis que plusieurs dizaines de jeunes hommes criaient "Uhuru doit partir" non loin de là.
Surtout, plusieurs de ces manifestants ont indiqué qu'ils attendaient de nouvelles consignes de Raila Odinga, 72 ans et trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013). Selon des sources au sein de sa coalition Nasa, il devrait s'exprimer mardi 31 octobre 2017 à Nairobi. Il pourrait alors indiquer s'il compte ou non contester l'élection en justice. Et préciser les modalités d'une campagne aux contours encore flous de
"désobéissance civile" annoncée la semaine dernière afin de contraindre le pouvoir en place à accepter l'organisation d'une nouvelle élection dans les 90 jours. Une option d'ores et déjà écartée par le pouvoir en place.