L'élection du vice-président sortant William Ruto, déclaré vainqueur de la présidentielle depuis le lundi 15 août, est confirmée par la Cour suprême ce lundi 5 septembre. L'accession à la fonction suprême de cet homme d'affaires, à la tête d'une des plus grandes fortunes du Kenya, parachève la légende de "self made man" construite par cet enfant d'une famille modeste de la vallée du Rift (ouest).
La voie semblait toute tracée pour que William Ruto, fin stratège de 55 ans aux costumes toujours élégants, accède au sommet de l'État.
Issue d'une famille modeste de la vallée du Rift, William Ruto aime à rappeler qu'il vendait des poulets en bord de route avant d'obtenir ses premières chaussures à l'âge de 15 ans.
Diplômé en sciences, cet homme ambitieux exerce d'abord comme professeur avant de se lancer en politique dans les 1990. Il rejoint les jeunesses du parti de l'autocrate Daniel arap Moi.
Aujourd'hui, ce quinquagénaire, chrétien
"born again" revendiqué et père de six enfants s'affiche en homme affable. Il se présente comme "
self made man"("
entrepreneur à succés"), "
débrouillard en chef"et dirigeant de la "
nation des débrouillards". Il est à la tête d'une grande entreprise de volailles. Sa fortune comprendrait également des hôtels et des milliers d'hectares de terres, selon l'AFP. L'étendue de ses actifs est à l'origine d'une vive controverse qui l'oppose au ministère de l'intérieur en septembre 2021. Ruto accuse alors le pouvoir de vouloir le discréditer.
Rupture consommée avec le président Uhuru Kenyatta
William Ruto et Uhuru Kenyatta sont élus côte à côte en 2013 et 2017. L'ancien Chef d'État avait adoubé son vice-président l'assurant du soutien du parti présidentiel pour l'élection de 2022, n'ayant pas le droit de briguer lui-même un troisième mandat.
Mais les élections de 2017 sont suivie de violences entrainant la mort de dizaines de personnes. Les relations entre les deux hommes s'enveniment et Uhuru Kenyatta se rapproche progressivement de son opposant historique Raila Odinga à qui il accorde finalement son soutien pour les élections de 2022.
(Re)lire : Au Kenya, le "second tour bis" de présidentielle tourne à la violence Beaucoup de gens ont peur que si William Ruto arrive au pouvoir, il soit impossible à déloger ensuite. Nerima Wako-Ojiwa, analyste politique kényane.
Pour beaucoup d'observateurs, une des raisons de ce revirement est l'incontrôlable ambition de William Ruto.
"
Ce qui rend Ruto singulier, c'est la rapidité de son ascension, son ambition", souligne l'analyste politique kényane Nerima Wako-Ojiwa intérogée par l'AFP en août 2022. "
Il est allé à contre-courant (des pratiques). Il est passé devant beaucoup de gens sans demander l'autorisation. Et beaucoup de gens ont peur que s'il arrive au pouvoir, il soit impossible à déloger ensuite", ajoute la spécialiste.
En croisade contre les "dynasties"
Durant la campagne pour l'élection présidentielle, William Ruto se présente en opposant aux
"dynasties" incarnées par Kenyatta et Odinga, héritiers de deux familles au cœur de la politique kényane depuis l'indépendance en 1963.
Héraut des
"débrouillards" (
"hustlers") de la rue comme lui, il dénonce les choix économiques réalisés par son prédécesseur.
(Re)voir : Kenya : pour générer de l'emploi, Wiliam Ruto veut expulser les ressortissants chinois
Il est également l'un des plus virulents opposants à un projet de révision constitutionnelle défendu par le duo Kenyatta-Odinga, invalidé par la Cour suprême au terme d'une féroce bataille judiciaire.
En août 2021, Kenyatta avait mis son vice-président au défi de démissionner.
"Désolé, mais je suis en mission", avait répondu celui-ci.
Il affirmait alors se battre pour une économie
"du bas vers le haut (...) afin de sortir des millions de personnes du désespoir". Son engagement mise en scène dans une vidéo de campagne, il déclare
"notre système économique désavantage les petites gens".
Ce clip de campagne est sorti alors qu'un juge réclamait à son co-listier fortuné Rigathi Gachagua de rendre à l'État 1,6 millions de dollars issus de produits de la corruption.
Voir : Kenya : condamnation du colistier de William Ruto
Des élections au "Timing parfait"
Dès les prémisses du rapprochement Odinga-Kenyatta, William Ruto est parti en campagne, sillonnant le pays en casquette et polo et s'affichant sur les réseaux sociaux. Sa rhétorique des "débrouillards", misant sur un clivage social plus qu'ethnique, trouve notamment un écho chez les jeunes.
William Ruto est considéré comme un des stratèges les plus efficaces de la politique kényane.Nic Cheeseman, professeur à l'université de Birmingham.
Ce discours n'est "pas nouveau", estime Nerima Wako-Ojiwa, mais "c'était le timing parfait" dans un pays durement frappé par la crise du Covid-19 et les répercussions économiques de la guerre en Ukraine.
"Il est considéré comme un des stratèges les plus efficaces de la politique kényane", rappelle Nic Cheeseman, professeur à l'université de Birmingham (Royaume-Uni). "Il a une grande expérience des campagnes électorales", souligne-t-il: "Il a été aux côtés d'Odinga, il a été aux côtés de Kenyatta, (...) il connaît leurs forces et leurs faiblesses".
Crimes contre l'humanité
Le nouveau président kényan a également un passé judiciaire. Le président Kenyatta, issue de l'ethnie Kikuyu - la première ethnie du pays - et Ruto isssue des Kalenjin - la troisième ethnie en nombre - s'étaient alliés en 2012 pour conquérir le pouvoir. Ils avaient surnommé cette alliance la
"coalition des accusés".Ils étaient tous deux poursuivis pour crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI) pour leur rôle dans les violences post-électorales de 2007-2008, les pires depuis l'indépendance (plus de 1.100 morts et 600.000 déplacés). Les deux hommes étaient à l'époque dans des camps opposés.
La CPI avait décrit Ruto comme le principal planificateur des violences contre la communauté kikuyu dans son fief kalenjin de la vallée du Rift, avant d'abandonner toutes les poursuites en 2016.