Kinshasa : la dramatique absence des médecins grévistes
En grève depuis trois semaines, les médecins des services publics de l’Etat réclament de meilleures conditions de travail. Moins bien suivis, certains malades décèdent. Les familles et certains personnels médicaux appellent le gouvernement à trouver vite une solution.
« Faites quelque chose, évacuez-le même vers Akhram (Ndlr : un centre médical privé au centre-ville). N’attendez pas que ce soit trop tard… » Au téléphone, Isabelle, 20 ans, supplie presque le responsable des ressources humaines de l’entreprise où travaille son père de tout faire pour le sauver. La larme à l’œil et des trémolos dans la voix, elle explique que l’accès à l’Hôpital général de référence de Kinshasa (ex maman Yemo) où un véhicule les a déposés une heure plus tôt leur a été refusé. Depuis le 2 septembre, les médecins des services publics de l’Etat ont déserté les hôpitaux publics. Avant de reprendre du service, ils demandent au gouvernement de répondre à leurs revendications contenues dans leur cahier des charges : la nomination des médecins (la dernière remonte à 20 ans) aux grades actualisés, la majoration de la prime de risque professionnel, l’alignement à cette prime des médecins des nouvelles unités. « Il y a des médecins qui travaillent depuis deux ans sans prime de risque, sans salaires de l’Etat » fait remarquer Dr Eric Mukenge, secrétaire du Synamed section Cliniques universitaires de Kinshasa. S’agissant de la rémunération, les médecins réclament qu’ils soient payés à leur taux de référence qui est celui d’un professeur ordinaire.
1000$ par mois
Le docteur Eric Mukenge
Aujourd’hui, le salaire mensuel d’un médecin généraliste débutant (7 ans d’études supérieures) oscille autour de 100$. Pour boucler leurs fins de mois, beaucoup de médecins ont un pied dans le privé. Les grévistes espèrent cependant changer cette situation dans les négociations ouvertes avec le gouvernement. Ils réclament d’être payés au moins 1000 $ par mois. « Cela va permettre aux médecins de ne pas envier leurs collègues d’autres pays. C’est un minimum qui nous permet de rester au pays », assure le Docteur Eric Mukenge. En attendant les résultats des négociations en cours, ils maintiennent la pression sur le gouvernement malgré la demande de ce dernier de suspendre la grève pour permettre au dialogue social de se poursuivre dans la sérénité et la confiance mutuelle. Les grévistes sont passés du service minimum pendant 14 jours aux polarisations des urgences pendant 10 jours. S’il n’y a pas d’accord d’ici le 25 septembre, ils prévoient d’entamer une grève blanche, hôpitaux sans médecins. « Nous supprimerons les urgences, le service minimum et nous resterons à la maison ».
Serment d’Hippocrate
Samuel et sa fille : des heures d'attente pour un scanner qui ne démarre pas…
Les familles et certains personnels médicaux redoutent en effet la radicalisation de la grève des médecins et demandent au gouvernement de trouver vite une solution à leurs revendications. « Si ça continue, je vais perdre ma fille !», crie Samuel, qui attend depuis dix jours que sa fille passe au scanner avant d’être opérée. Seuls dans le couloir avec sa femme, sa fillette de 11 jours enroulée dans une couverture sur les genoux, ils attendent depuis plusieurs heures devant la salle de l’imagerie médicale. Il dit avoir déjà tout payé pourtant, mais sa fillette n’est pas encore prise en charge. Comble de malheur, quand l’opérateur se pointe enfin pour l’examen, c’est la machine qui refuse de démarrer. Pour sa femme, c’est la faute aux hommes en blouse blanche. « Les médecins doivent revenir à la raison car ils ne doivent pas grever, c’est vraiment inhumain », laisse-t-elle tomber. « A quoi sert finalement le fameux serment d’Hippocrate ? », s’indigne le papa. A cette question, le Dr Eric Mukenge oppose l’autre aspect que les gens ignorent, le testament d’Hippocrate qui veut qu’un « médecin ait droit à un salaire décent qui lui permette de vivre dignement pour pouvoir soigner les autres ».
Les paramédicaux aussi
A l’hôpital général de référence de Kinshasa où l’on a observé une hausse des décès en ce moment de grève, certains médecins affirment que cela n’est pas lié au manque de soins : « informés de la grève des médecins, de nombreux malades n’ont pas fait le déplacement de l’hôpital ». Le bout du tunnel pour les familles des malades n’est pas pour demain. Les professionnels et administratifs de la santé qui s’estiment « discriminés dans la paie de la prime de risque » veulent eux aussi se mettre en grève. Dans une correspondance au gouvernement, ils disent déposer leur préavis de grève en début de semaine. « Nous ne réclamons pas notre prime par fantaisie, nous sommes plus exposés aux maladies, étant en contact permanent avec les malades », fulmine un infirmier membre de la Solsico, Solidarité syndicale des infirmiers et infirmières du Congo. La paix sociale entre le gouvernement et le banc syndical de la santé n’est pas pour demain la veille.