Fil d'Ariane
Le bloc ouest-africain donne la priorité à la diplomatie pour résoudre la crise au Niger, tout en maintenant sa menace d'intervention militaire pour y "rétablir l'ordre constitutionnel”. Dans quelle mesure une intervention militaire de la Cédéao est-t-elle possible au Niger ?
Des troupes sénégalaises en Gambie, le 22 janvier 2017 lors de la dernière intervention militaire de la Cédéao.
La Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) peut-elle recourir à la force pour rétablir dans ses fonctions le président Mohamed Bazoum ? Si pour le moment le président du Nigeria Bola Tinubu, actuellement à la tête de la Cédéao, assure que la diplomatie est “la meilleure voie à suivre”, une intervention militaire n’est pas exclue.
Cependant, la crédibilité de la Cédéao est en jeu. Le 7 août, l’ultimatum de sept jours fixé le 30 juillet aux militaires ayant pris le pouvoir à Niamey expirait. Un sommet doit se tenir à Abuja, la capitale nigériane, ce 10 août. La Cédéao peut-elle prétendre à une intervention militaire au Niger ? Dans quelle mesure une intervention militaire est-elle possible ?
Au regard de ses moyens, le Nigeria “devait être le fer de lance de l’intervention militaire de la Cédéao”, analyse Seidick Abba, journaliste nigérien et président du Centre international de réflexions et d'études sur le Sahel. “Si on s’appuie sur les moyens dont le pays dispose d’un point de vue militaire, les ressources humaines, les bras technologiques”, la Cédéao bénéficie d’une position favorable selon le journaliste. Et c’est sans compter sur “le soutien du Sénégal (NDLR : environ 13 000 hommes) et de la Côte d’Ivoire (NDLR : environ 27 000 hommes) qui ont exprimé leur disponibilité, et puis sans doute des contingents supplémentaires qui vont être amenés par le Bénin (NDLR : 12 000 hommes), le Togo (NDLR : environ 12 500 hommes) ou la Guinée-Bissau (NDLR : environ 10 000 hommes)”, énumère-t-il.
Les forces armées du Nigeria selon les derniers chiffres rendus publics en 2015 par le ministère de la défense du pays seraient fortes de 150 000 hommes. Le Nigeria partage une frontière de 1497 kilomètres avec le Niger.
L’efficacité de l'armée nigérianne“tient de son opérationnalisation quasi permanente”, explique Bruno Clément-Bollée, consultant en matière de sécurité en Afrique et ancien général français de corps d'armée. En effet, “elle combat aujourd’hui tous les jours contre Boko Haram”, détaille l’ancien militaire. Boko Haram est un mouvement insurrectionnel djihadiste fondé en 2002 dans le nord du Nigeria par le prédicateur Mohamed Yussuf.
Toujours selon Bruno Clément-Bollée, cette armée nigériane est aussi habituée à “participer aux opérations de maintien de la paix de l’ONU”, comme la Minusma au Mali ou l’Onuci en Côte d’Ivoire, mais aussi en prenant part “depuis une quarantaine d’années à tous les grands conflits où les Nations unies ont été envoyées.” En revanche, “on pourrait lui reprocher la diversité d’équipements qu’elle a en service, car qui dit nombre important d'équipement dit difficulté à soutenir en terme logistique car il faut avoir les pièces correspondant à tout type d’équipement”, analyse Bruno Clément-Bollée. Les forces nigériannes achètent du materiel militaire chez les Européens et les Américains mais également dans des pays non-occidentaux. L'armée de l'air a ainsi acquis des avions de chasse sino-pakistanais, les JF-17. Elle possède encore du materiel hérité de l'URSS.
Est-ce que toute l’armée va se soulever et s’unir pour contrer les envahisseurs ?
Bruno Clément-Bollée, consultant en matière de sécurité en Afrique
Face à la Cédéao, il est difficile d’évaluer les capacités de l’armée nigérienne. Bruno Clément-Bollée s’interroge notamment sur la cohésion de cette armée. “Est-ce que tous les militaires nigériens sont d’accord avec le renversement ?” questionne-t-il. “Est-ce que toute l’armée va se soulever et s’unir pour contrer les envahisseurs ?” Il reconnaît toutefois que dans sa globalité, l’armée nigérienne est “très opérationnelle parce qu’elle est confrontée au terrorisme islamique depuis une bonne dizaine d’années.”
Le Niger ne peut pas faire face aux moyens aériens qui lui font face.
Seidick Abba, président du Centre international de réflexions et d'études sur le Sahel
De son côté, Seidick Abba reconnaît qu’au niveau de ses “forces de défense et de sécurité intérieure mélangées”, le Niger peut faire face à la Cédéao. En revanche, “le Niger ne peut pas faire face aux moyens aériens qui lui font face.”
Lors de l'arrivée au pouvoir du président Bazoum le Niger possède alors une armée forte de 33 000 hommes. L'objectif du président Bazoum face à la menace djihadiste était alors de faire monter ces effectifs à 50 000 hommes. L'armée était en train de renouveller son materiel de combat. Le 24 mai 2022, le Niger était l'une des rares armées du Sahel à s'équiper de drones armées avec la livraison de six dones turcs Bayaraktar TB2.
“Tous les pays de la Cédéao, hormis le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont proposé des contributions et sont favorables à une intervention militaire”, explique Bruno Clément-Bollée. Cependant, “après avoir annoncé son potentiel de participation, il faut que chaque pays de la Cédéao fasse accepter cette participation au niveau politique”, détaille-t-il. “C’est sûr qu’il y a aura des mouvements d’opposition.”
Avant même le coup d’État au Niger, Bola Tinubu était extrêmement ferme sur ces propos en parlant de ses transitions militaires qui n’en finissent pas, de ces coups d’État, etc.
Bruno Clément-Bollée, consultant en matière de sécurité en Afrique
Malgré la difficulté d’engager une intervention militaire, pourquoi a-t-elle si rapidement été mise sur la table ? À peine élu président du Nigéria fin mai 2023, Bola Tinubu “a tout de suite jugé inadmissible les régimes militaires et transitoires”, explique Bruno Clément-Bollée. Par ailleurs, il est également devenu président de la Cédéao. “Donc avant même le coup d’État au Niger, il était extrêmement ferme sur ces propos en parlant de ses transitions militaires qui n’en finissent pas, de ces coups d’État, poursuit l’ancien militaire. Selon lui, les opinions bien tranchées du président de la Cédéao ont “extrêmement pesé dans la décision prise par la Cédéao de fixer un ultimatum.” Cependant, Bruno Clément-Bollé reconnaît que Bola Tinubu est “revenu à des sentiments plus nuancés, en déclarant que la voie de la diplomatie reste la voie à privilégier.”
Si une opération pour libérer Mohamed Bazoum, elle ne pourra pas être chirurgicale, des gens vont mourir et il y aura des conséquences.
Seidick Abba, président du Centre international de réflexions et d'études sur le Sahel
En effet, une intervention militaire de la Cédéao au Niger ne serait pas sans conséquences. Seidick Abba explique que si une intervention est lancée, l’objectif serait de libérer le président Mohamed Bazoum. Or, “à Niamey, les lieux de pouvoir sont au coeur de la ville”, décrit-il. “Si une opération pour libérer Mohamed Bazoum, elle ne pourra pas être chirurgicale, des gens vont mourir et il y aura des conséquences”. Par ailleurs, “les militaires au pouvoir essaient de mobiliser la population, ce qui fait qu'il y a maintenant des brigades de volontaires” pour accompagner l’armée. Selon le journalistes, ces volontaires ont un rôle de “bouclier humain.” Il considère également qu’une intervention militaire des pays membres de la Cédéao risque de mettre en danger les ressortissants de ce pays résidant au Niger.
“Le risque potentiel d’une intervention militaire serait un embrasement régional”, estime Bruno Clément-Bollée. Selon lui, le “risque de désintégration de la Cédéao” est important dans la mesure où s’il y a une intervention militaire au Niger, le Mali et le Burkina Faso, qui sont aussi membres de la Cédéao, risquent de se ranger derrière leur voisin sahélien. Il considère donc qu’il est plus judiciable de privilégier la “diplomatie mais aussi les sanctions qui ciblent directement ceux à l’origine du coup d’État et que l’on veut punir.”