Fil d'Ariane
Dimanche 16 décembre, des incidents violents se sont encore produits lors des élections municipales partielles à Port-Bouët, une commune du sud-est abidjanais, ou encore à Grand-Bassam, cité balnéaire située à une trentaine de kilomètres d'Abidjan, capitale économique ivoiriene.
Dans les deux cas, le scrutin opposait des candidats de la coalition au pouvoir, le RHDP, - Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix - à des candidats du PDCI, le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire, de l'ancien président de la République Henri Konan Bédié.
« Nous sommes déçus par cette atmosphère délétère, nous a déclaré Pierre Adjoumani Kouamé, le président de la Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme. Nous avions pourtant mené des missions de bons offices entre les deux camps. La sécurité a été défaillante. Et il y a eu une complicité passive de nos forces de l’ordre. »
Des violences qui surviennent un peu plus d’un mois après celles observées le 13 octobre, à l’issue des élections locales. Et elles opposent essentiellement la coalition au pouvoir au PDCI. Depuis que leur alliance a volé en éclats en août dernier, la bataille est désormais féroce entre les deux anciens alliés. L'enjeu : l'élection présidentielle de 2020.
Après avoir permis à Alassane Dramane Ouattara d'être élu à la magistrature suprême en 2010, puis en 2015, le PDCI estime que l'heure de l'alternance a sonné. Il fait donc cavalier seul et, comme indiqué dans un communiqué concomitant à la rupture, « il se réserve le droit de promouvoir une plate-forme de collaboration avec les Ivoiriens qui partagent sa vision d'une Côte d'Ivoire réconciliée et soucieuse des droits, des libertés et du bien-être des populations. »
Cependant, ces violences réveillent des souvenirs douloureux chez de nombreux Ivoiriens. Depuis la disparition de Félix Houphouët-Boigny, le père de la nation ivoirienne, au pouvoir de l'indépendance en 1960, à sa mort en décembre 1993, le pays connaît en effet des périodes d'instabilité plus ou moins longues. Entre 2002 et 2011, la Côte d'Ivoire a subi des troubles importants, et le pays était divisé en deux : les rebelles des « Forces Nouvelles » de Guillaume Soro au Nord, et les « Forces armées de Côte d'Ivoire » du président élu Laurent Gbagbo au sud.
Cette instabilité culmine avec la crise post-électorale de 2010-2011. A l'époque, le président sortant Laurent Gbagbo - au pouvoir d'octobre 2000 à avril 2011 - refuse de reconnaître sa défaite, et donc la victoire de son rival Alassane Ouattara, à la présidentielle de novembre 2010. Les violences qui s'en suivent font plus de trois mille morts en cinq mois.
En 2011, dès son arrivée au pouvoir, le président Alassane Dramane Ouattara met sur pied une Commission dialogue, vérité et réconciliation, présidée par l’ancien premier ministre Charles Konan Banny. Quatre ans plus tard, une autre structure est créée : la Commission nationale pour la réconciliation et l'indemnisation des victimes des crises en Côte d'Ivoire, en abrégé CONARIV.
A la fin de son mandant, à l'été 2017, la CONARIV a recensé 316 954 victimes des crises survenues entre 1990 et 2011. Aujourd'hui, des organisations de la société civile telles que l’A.P.D.H, Actions pour la Protection des Droits de l’Homme, estiment que cette liste aurait dû être établie sur la base d’une loi.
D’après les conclusions provisoires d’un rapport de l’A.P.D.H sur la réconciliation, à paraître en janvier prochain, les critères d’attribution du statut de victime restent flous, et le processus d’indemnisation, au demeurant erratique, répond plutôt à un agenda politique qu’à la nécessité d’une réconciliation.
Avec la recomposition politique en cours dans le pays, les grandes manoeuvres semblent prendre le pas sur tout le reste. Pour preuve, la rencontre cette semaine, dans son fief de Daoukro, dans le centre-est du pays, entre l’ancien président Henri Konan Bédié, et Guillaume Soro, l’actuel président de l’Assemblée Nationale ivoirienne.
Selon un communiqué commun, les deux hommes ont « échangé sur la situation politique nationale et internationale. » Officiellement toujours membre du RHPH, Guillaume Soro, à qui l’on prête aussi une ambition présidentielle, se sait courtisé, notamment par le leader du PDCI. Ce dernier a aussi récemment tendu la main au FPI, le Front Populaire Ivoirien de Laurent Gbagbo, dont les rumeurs d’une libération future ont enflammé ses partisans.
Pour César Etou, directeur de la publication du journal La Voie Originale, proche du FPI, « des alliances sont possibles, à condition qu’elles répondent à un agenda précis : la réforme de la C.E.I, la Commission électorale indépendante, le retour des exilés, la libération des prisonniers… »