Fil d'Ariane
Depuis ce samedi 13 janvier 2024, la 34ème Coupe d'Afrique des Nations (CAN) masculine, a commencé en Côte d'Ivoire. C'est la deuxième fois qu'elle est organisée sur le sol ivoirien après celle de 1984. Pour la Côte d'Ivoire, c'est l'occasion, à travers cet événement d'asseoir un peu plus sa force économique dans la région. Nous avons interrogé, Jean-Baptiste Guegan, spécialiste de la géopolitique dans le sport. Il a écrit plusieurs ouvrages sur cette thématique dont "Géopolitique Du Sport, l'essentiel pour comprendre le sujet". Entretien.
La succession du Sénégal de Cheikou Kouyaté s'ouvre ce mois-ci à Abidjan pour la CAN 2024. Le Sénégal, tenant du titre, depuis le 6 février 2022
Le match d'ouverture de la CAN a été remporté à Abidjan par la Côte d'Ivoire. Une victoire 2- 0 sur la Guinée-Bissau. Une compétition qui revient tous les deux ans et qui gagne en prestige, y compris dans les gains en jeu.
La Confédération Africaine de Football (CAF), l'organisatrice de l'événement promet à l'équipe gagnante une dotation record de 7 millions de dollars (6,4 millions d'euros). C'est 40% de plus que ce qui avait été attribué au Sénégal lorsqu'il avait remporté l'édition 2022 disputée au Cameroun.
Dans un communiqué publié, le 4 janvier 2024, la CAF soulignait aussi un gain de 4 millions de dollars (3,6 millions d'euros) pour le finaliste malheureux. Les demi-finalistes recevront, quant à eux, 2,5 millions de dollars (2,2 millions d'euros) selon cette même source.
"Ce type d'évènements permet à la CAF de faire de la redistribution" souligne Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport. "Ça permet indirectement de financer le football africain, de récompenser ceux qui gagnent. C'est aussi un moyen de faire du ruissellement via la FIFA (NDLR : la Fédération Internationale de Football) qui donne aussi de l'argent à la CAF. Ces gains signalent enfin l'intérêt croissant de la CAN, diffusée désormais dans plus de 150 pays, ce qui n'était pas le cas il y a 20 ans !" ajoute-t-il.
La réussite de cette CAN est une priorité absolue pour les autorités ivoiriennes qui espèrent utiliser la compétition comme une vitrine du développement du pays.
Sous l'impulsion du président Alassane Ouattara, le gouvernement ivoirien a d'ailleurs mis les gros moyens pour s'assurer du succès de l'évènement : 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d'euros) d'investissements.
Les 24 sélections sont attendues dans cinq villes : outre Abidjan et ses deux stades, les équipes seront réparties entre la capitale politique Yamoussoukro, la grande ville de Bouaké, le port de San Pedro (sud-ouest) et Korogo (nord).
Six stades ont donc été construits ou rénovés. On retiendra également que la "côtière", la route de 350 km qui relie Abidjan, la capitale économique au grand port de San Pedro a été entièrement refaite. À la clé, un temps de trajet entre les deux villes divisé par deux. Il faut aussi ajouter le prolongement d'une autre autoroute pour relier Abidjan à Yamoussoukro puis Bouaké, deux villes hôtes.
De surcroît, plusieurs "cités CAN" sont enfin sorties de terre. Des sites destinés à l'accueil des équipes.
Tous ces travaux ont connu un net coup d'accélérateur fin 2023 sous la houlette de Robert Beugré Mambé, le nouveau chef du gouvernement nommé en octobre et qui est également en charge du portefeuille des Sports.
Dossier Coupe d'Afrique des Nations | Côte d'Ivoire 2024
"Cette CAN est une opération de relations publiques et de communication politique." rappelle Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport. "Le premier ministre et le président se placent en situation de montrer qu’ils sont capables d’accueillir l’Afrique, d’être regardés par le monde entier et donc d’être au niveau de ce que l’on attend d'eux. Les relations publiques ça permet de faire venir ses soutiens. Ça permet de faire venir ses financeurs. Ça permet de rassembler l'opinion autour de soi."
Le géopolitologue Jean-Baptiste Guégan surenchérit : "Pendant le temps d’une CAN, a fortiori si vous la gagnez, l'opposition n'existe plus. Les médias sont focalisés sur la performance sportive et non plus sur le contexte. Et donc vous êtes là en majesté et bénéficiez d’un traitement extrêmement favorable."
Des enjeux nationaux qui ont aussi des ramifications régionales. "Le message de la Côte d’Ivoire est un message adressé aussi à ses voisins." rappelle Jean-Baptiste Guégan. "Il est de dire : regardez je suis une puissance régionale ! Comptez avec moi. Je suis capable d’attirer les gens, les touristes, les entreprises, les sponsors, le regard du monde entier et de l’Afrique."
Sadio Mané, le capitaine de la sélection du Sénégal vise une deuxième CAN d'affilée.
Et comme parmi les 24 équipes qualifiées, il y a le Mali, le Burkina, la Guinée et le Ghana, des pays tous frontaliers de la Côte d'Ivoire, les organisateurs veulent croire à une manne touristique pouvant aller jusqu'à 1,5 million de visiteurs.
Quelque 20.000 jeunes bénévoles, 17.000 membres des forces de l'ordre et 2.500 stadiers seront, en tout cas, mobilisés pour ce mois de compétition qui s'inscrit dans un cadre touristique façonné depuis quelques années, comme le rappelle Jean-Baptiste Guégan. "En 2019, juste avant le Covid, la Côte d'Ivoire avait lancé un programme de développement national appelé «Sublime Côte d’Ivoire» pour promouvoir la dimension touristique du pays et notamment cibler des hommes d’affaires et des publics ayant des moyens. Faire finalement ce qu'a fait le Rwanda, c’est-à-dire aller chercher prioritairement des élites financières économiques."
Est-ce, pour autant, une formule "gagnant-gagnant" pour les organisateurs ? Pas sûr ! "Ils envisagent des retombées qui dépassent les 600 millions de dollars. J’attends de voir. " décrit Jean-Baptiste Guégan. Et d'ajouter : "Il va falloir que la manifestation soit réussie, car s'il y a le moindre problème comme ça a été le cas au Cameroun avec le mouvement de foule, votre image elle est foutue pour 10 ans !"
La question de l''après CAN se pose. Que deviendront les infrastructures sportives après la fin de la compétition ? Interrogé dans les colonnes du journal le Monde, le mois dernier, l'universitaire Ladji Ouattara, chercheur en relations internationales se voulait optimiste. "Des concerts, des spectacles ainsi que des meetings politiques ou religieux pourront être organisés" dans les stades, disait-il. Mais rien n"est acquis. Le risque d'une décompression, une fois les touristes partis comme ce fût le cas au Cameroun lors de la précédente CAN de 2022, est latent.
Mais pour l'atténuer et pérenniser les effets de cette CAN ivoirienne, Christian Zermatten, un ex-entraîneur suisse mise d'abord sur l'opportunité sportive que représente cet événement. "Cette CAN fait qu'on a de superbes stades en Côte d'Ivoire, de superbes infrastructures pour la formation et la qualité." dit celui qui a remporté la coupe de Côte d'Ivoire avec l'Africa Sports d'Abidjan au début des années 2000. "Après, il faut former les coachs qui permettront à l'équipe ivoirienne de faire partie des meilleures du monde" ajoute-t-il. "L'exemple que doit avoir en tête la Côte d'ivoire, c'est le Maroc !"
Le Maroc est souvent cité en exemple. Le Maroc, demi-finaliste de la Coupe du monde au Qatar fin 2022 va organiser la Coupe du monde de football en 2034. Il a réussi en 2022, le test du Forum mondial de l'Alliance des civilisations organisé sous le haut patronage des Nations-Unies.