Fil d'Ariane
Echanges limités au minimum, restrictions de visas, blocus : la diplomatie française est à la peine au Niger, au Mali et au Burkina Faso, dirigés par des militaires putschistes ouvertement hostiles à l'ancienne puissance coloniale.
Les chefs des régimes militaires au pouvoir au Burkina, au Mali et au Niger signent le document qui fonde l'Alliance des États du Sahel, lors d'un sommet à Niamey, le 6 juillet. Capture d’écran AFPTV.
Symbole du déclin des relations entre la France et les pays du Sahel, le drapeau tricolore ne flotte plus au dessus de l'ambassade de France à Niamey. Vitres brisées, portail caillassé, la façade du bâtiment porte encore les stigmates des violentes manifestations anti-françaises qui ont secoué la capitale nigérienne après le coup d'Etat ayant renversé le président Mohamed Bazoum en juillet 2023.
Le dernier ambassadeur en fonction au Niger, Sylvain Itté, dont les militaires au pouvoir avait ordonné l'expulsion, avait quitté le pays au terme d'un bras de fer de la junte avec Paris. La France refusait de reconnaître la légitimité des nouveaux maîtres du pays.
Il n'a pas été remplacé et les portes de l'enceinte diplomatique sont officiellement closes, tout comme celles du lycée français La Fontaine, aux abords envahis de mauvaises herbes. La rentrée scolaire n'y a pas eu lieu en septembre.
Le Quai d'Orsay a justifié la fermeture de sa chancellerie "jusqu'à nouvel ordre", en dénonçant de "graves entraves" comme le blocus de l'ambassade, des restrictions de déplacement et le refoulement des personnels diplomatiques devant rejoindre le Niger.
Quant au Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch, il est devenu en juin exclusivement nigérien, et a été renommé "Moustapha Alassane", du nom d'un cinéaste local.
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Si les chancelleries françaises au Mali et au Burkina sont restées ouvertes, elles n'en fonctionnent pas moins au ralenti, avec à leur tête des chargés d'affaires, tout comme les ambassades de ces deux pays et du Niger à Paris.
La délivrance de visas continue de se faire au cas par cas - dans les deux sens - notamment pour les étudiants, artistes, sportifs ou fonctionnaires.
Sur le plan de l'aide, l'AFD (Agence française de développement) a suspendu ses projets en cours dans les trois Etats sahéliens, qui représentaient un total de deux milliards d'euros.
Les trois pays, qui ont chassé l'armée française de leur sol et formé en 2023 l'Alliance des Etats du Sahel (AES) coopèrent notamment pour contenir les attaques récurrentes des groupes djihadistes, en même temps qu'ils se rapprochent d'autres puissances comme la Russie.
"Le Niger est vraiment celui qui a adopté les positions les plus extrêmes, les liens avec la France sont complètement rompus", lâche à l'AFP un ancien haut fonctionnaire de l'administration Bazoum en exil. "C'est inutilement violent".
Le sort de l'ex-président Bazoum, toujours retenu prisonnier depuis le coup d'Etat, reste un point de friction majeur entre les militaires et Paris, qui "a toujours réclamé sa libération", selon son entourage.
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Quant au régime du capitaine burkinabè Ibrahim Traoré, décrit comme "paranoïaque", "obsédé par sa sécurité" par plusieurs sources françaises, il a obtenu en janvier 2023 le départ de l'ambassadeur Luc Hallade. En avril 2024, deux conseillers politiques de l'ambassade ont été déclarés "persona non grata" pour "activités subversives" et priés de quitter le pays.
Mais les tensions entre les deux pays sont désormais centrées sur le sort des quatre fonctionnaires français présentés comme des agents du renseignement extérieur (DGSE) arrêtés en décembre 2023 et accusés d'"espionnage". Les négociations pour leur libération n'ont pas abouti jusque-là, ces derniers étant toujours détenus à Ouagadougou.
"La France est devenue inaudible auprès de ces pays", confirme Michael Shurkin, spécialiste américain du Sahel. "Ils ont le sentiment qu'ensemble ils peuvent faire face aux épreuves, et sont contents de leurs nouveaux partenaires russes, chinois et turcs".
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C'est finalement avec Bamako, dont la junte est vue à Paris comme "plus structurée", "plus solide que les deux autres", que l'ambiance semble la moins délétère.
"Nous n'avons jamais coupé le canal même au pire des relations", confie ainsi une source diplomatique française. "On tente de faire des efforts... Ca ne répond pas toujours".
"On collabore surtout au niveau culturel ou sportif, d'ailleurs l'Institut français de Bamako reste très actif. Mais dès que c'est politique, les choses se compliquent", reconnaît-elle.
Le chargé d'affaires malien à Paris Bakary Dembele était par exemple présents sur les sites des Jeux Olympiques organisés en France cet été, mais n'a pas répondu à l'invitation française d'assister aux commémorations du 80e anniversaire du Débarquement en Normandie.
"Il ne peut se permettre de se mettre en porte-à-faux avec les autorités de Bamako, qui elles-mêmes, ont tellement tapé sur la France qu'il leur serait difficile aujourd'hui de rétropédaler", explique un homme d'affaires franco-malien qui connaît bien le diplomate.
Il "voit les diplomates nigériens et burkinabès à Paris, les représentants d'organisations internationales, mais sinon il a plus de temps libre", plaisante-t-il. "Il participe à tous les évènements de la diaspora en ce moment, même quand on ouvre une nouvelle boutique il est là".