Éditrice et universitaire, la Tunisienne Faïza Skandrani a coordonné le Groupe d’appui à la parité et est aujourd'hui la présidente de la toute nouvelle association Egalité et Parité.
Qu’est-ce qui vous a incité à défendre le principe de la parité politique ? Tout a commencé quand le chef intégriste musulman
Rached Ghannouchi (chef du
parti islamiste Ennahda qui s'est exilé à Londres après avoir subi la répression du régime de Ben Ali, ndlr) est revenu en Tunisie. J'ai été très étonnée de l'accueil que lui ont fait les médias tunisiens. Il est passé cinq fois à la télé et à la radio en même pas deux jours. Il a montré patte blanche en se présentant comme un défenseur des valeurs démocratiques. Mais, en ce moment en Tunisie, on parle de moins en moins de démocratie et d'égalité et de plus en plus de foulard, de niqab, de polygamie… des choses qu'on avait pourtant dépassées depuis longtemps !
Par contre, personne ne parle des association féministes, telles que
les Femmes démocrates et
les Femmes tunisiennes pour la recherche et le développement, dont je suis membre, alors qu’elles ont été récemment victimes d’une campagne de diffamation sur Facebook.
C’est donc ce contexte qui m’a poussé à réagir. J’ai d’abord incité les féministes que je connaissais à mettre en place une stratégie de communication, s'ouvrant sur les partis et les ONG. Mais soucieuses de leur autonomie, elles étaient réticentes. Avec le soutien d’une ONG espagnole, on a quand même lancé un appel pour exiger l'inscription du principe de parité au sein de la future constitution tunisienne et on a créé un groupe plus large, ouvert autant aux hommes qu’aux femmes, en impliquant des personnalités.
La parité sur les listes électorale n’a donc pas été votre premier cheval de bataille ! Pour être franche, non. Notre objectif était d'abord de rendre les femmes plus visibles et de les faire rentrer dans les instances décisionnelles où elle sont quasiment inexistantes. Mais j’avais le sentiment que l’on se perdait dans des débats très techniques sur la future constitution et que l’on passait à côté de l’essentiel.
En fait, c’est lors d’une conférence sur le code électoral qu’une féministe marocaine nous a mis la puce à l'oreille. Elle nous a dit, attention, le scrutin uninominal est dangereux pour les femmes ; le mode de scrutin par liste est le meilleur parce que c'est le seul qui puisse donner aux femmes une présence certaine en politique. C’est à ce moment-là que nous avons décidé d’écrire en une soirée
un manifeste exigeant la parité sur les listes électorales. Ensuite, tout s'est fait très vite.
Comment avez-vous réussi à convaincre les membres de la Haute instance à adopter la parité ? La plupart des femmes qui siègent au sein de la Haute Instance étaient déjà acquises à notre cause. Il fallait surtout convaincre les hommes. Le 29 mars, date à laquelle ils devaient se réunir, on a arrêté leur voiture pour leur donner notre manifeste et engager la discussion. On n’a pas eu de réactions immédiates. Mais on a senti que les choses bougeaient.
Avez-vous été surprise quand la parité a été validée le 11 avril ? Non pas du tout car on avait aussi fait du lobbying au sein des partis progressistes qui s’étaient quelques jours plutôt prononcés en faveur de la parité. On leur a dit qu’on en avait marre de se faire instrumentaliser par des hommes qui utilisent la voix des femmes pour se faire élire. On a même obtenu le soutien des islamistes d’Ennahda qui siègent à la Haute Instance !
Comment avez-vous gagné le soutien des islamistes ? On n’a rien fait pour. Les islamistes savent que les femmes sont actives et peuvent rejoindre leurs rangs. La parité peut aussi servir leurs intérêts. Cela, d’ailleurs, m’inquiète mais c’est le risque à courir. A nous de convaincre les femmes pour qu’elles se rallient à notre projet de société, progressiste et égalitaire. Il est donc indispensable que les médias donnent la parole aux futures candidates pour que chacun puisse voter en connaissance de cause. Moi je ne voterai pas pour une femme qui est contre mes idées.
La parité fait augmenter le nombre d’élues mais n’assurent pas aux femmes la moitié des sièges. Est-ce donc le bon système pour obtenir une réelle égalité politique entre les sexes ? La parité sur les listes électorales ne conduit pas à l’égalité parfaite comme le montre
l'expérience française. Mais l'important pour moi, c'est de donner les mêmes chances aux femmes qu’aux hommes. C’est une première étape. Si on arrive à 30% d’élues au début, on peut espérer, à terme, atteindre les 50 %. L’essentiel, aujourd’hui, c’est de permettre aux Tunisiennes de faire leur entrer en politique.
Il y a désormais un débat qui est engagé sur la parité en Tunisie. Beaucoup disent qu’on vote pour candidat en fonction non pas de son sexe mais de ses compétences. Pourtant, combien d’hommes incompétents a-t-on déjà élu ? Et combien de femmes très compétentes se retrouvent exclues des présidences d’université, des conseils d’administration des entreprises ?
Après avoir gagné la parité pour l’élection de l’assemblée constituante, quel est désormais votre prochain objectif ? On s’est engagé à réaliser un ficher de 1000 candidates que l'on va proposer aux partis qui n’arrêtent pas de dire que c’est impossible de trouver suffisamment femmes pour l’élection du 24 juillet.
On va se rendre dans les circonscriptions mêmes les plus rurales pour parler aux femmes et les inciter à s'inscrire dans les partis.
On va aussi lancer des stages de communication pour apprendre aux femmes à prendre la parole en public et à défendre leurs idées. On va essayer de pousser les femmes en avant pour qu'elles prennent confiance en elles. On a gagné la parité mais tout le travail reste à faire...
Etes-vous inquiète pour l’avenir démocratique de la Tunisie ? Même si les choses semblent bien parties, oui, je reste inquiète. Pour que la parité et le scrutin par liste soient définitivement adoptés, il faut encore que le Premier ministre valide les propositions votées par la Haute Instance. Or, en ce moment, il y a beaucoup de gens qui sont en train de manoeuvre pour dire que la parité ne sert pas la cause des femmes et qu’il faut mieux un scrutin uninominal.
Je suis aussi inquiète par la place que prennent les islamistes. J’ai peur qu’il y ait des dérapages ou des alliances secrètes avec des membres de la police ou de l’ancien pouvoir. Il faut absolument que l’on parte avec les mêmes chances et les mêmes règles sinon c'est perdu d'avance. Le temps de parole dans les médias doit être limité et les moyens financiers plafonnés pour chaque parti. Mais on ne va pas lâcher la pression.