Fil d'Ariane
La Tunisie et la Libye annoncent le 10 août avoir trouvé un accord pour se répartir l'accueil des migrants africains bloqués pour certains depuis un mois près du poste frontière de Ras Jedir. Ils y sont abandonnés par les services de sécurité tunisiens, sans eau ni nourriture.
Des migrants protestent à la frontière entre la Libye et la Tunisie où ils ont été refoulés par les forces de sécurités tunisiennes sans eau ni nourriture, 4 août 2023.
"On s'est mis d'accord pour se partager les groupes de migrants présents sur la frontière", a indiqué un porte-parole du ministère tunisien lors d'une rencontre entre ministres de l'Intérieur à Tunis le 9 août.
Environ 300 migrants originaires d'Afrique subsaharienne étaient encore bloqués ces derniers jours dans des conditions très précaires sur une langue de terre au bord de la mer, dans la zone tampon de Ras Jedir, ont indiqué des sources humanitaires.
"La Tunisie va prendre en charge un groupe de 76 hommes, 42 femmes et 8 enfants", a précisé le porte-parole tunisien, Faker Bouzghaya.
C'est le ministère de l'Intérieur libyen qui a annoncé dans la nuit la conclusion d'un accord bilatéral "pour une solution consensuelle, afin de mettre fin à la crise des migrants irréguliers, bloqués dans la zone frontalière".
Côté tunisien, le communiqué officiel s'est borné à annoncer que le ministre tunisien Kamel Feki avait reçu son homologue libyen Imed Trabelsi, soulignant le besoin d'une "coordination des efforts pour trouver des solutions qui tiennent compte des intérêts des deux pays".
L'accord prévoit que les Libyens prendront en charge le reste des migrants bloqués, entre 150 et 200.
"Le transfert du groupe a eu lieu hier (le 9 août) dans des centres d'accueil à Tataouine et Médénine avec la participation du Croissant rouge" tunisien (CRT), a ajouté Faker Bouzghaya.
Dans un nouveau communiqué le 10 août, le ministère libyen a annoncé qu'"il n'y avait plus aucun migrant irrégulier dans la zone frontalière" après l'accord. "Des patrouilles sont organisées en coordination" entre les deux pays pour "sécuriser la frontière".
Jusqu'à 350 personnes ont été bloquées à Ras Jedir, parmi lesquelles 12 femmes enceintes et 65 enfants et mineurs, selon des sources humanitaires qui ont indiqué que l'essentiel des aides (nourriture, eau, soins médicaux) leur était apporté depuis le 20 juillet par le Croissant rouge libyen avec le soutien des agences onusiennes.
Migrants près de la frontière entre la Tunisie et la Libye attendent que le Croissant rouge leur apporte de l'aide, 23 juillet 2023.
Après la mort le 3 juillet d'un Tunisien lors d'une rixe avec des migrants à Sfax, épicentre de l'émigration clandestine en Tunisie, "au moins 2000 ressortissants subsahariens" ont été "expulsés" par les forces de sécurité tunisiennes et déposés dans des zones inhospitalières aux frontières libyenne et algérienne, selon plusieurs sources humanitaires.
Le 12 juillet, le CRT a mis à l'abri environ 630 personnes récupérées à Ras Jedir et en a pris en charge environ 200 autres, refoulées initialement vers l'Algérie, selon des ONG.
Mais les semaines suivantes, divers médias ont documenté avec des témoignages de migrants, des gardes-frontières libyens et d'ONG, que 350 migrants se trouvaient toujours à Ras Jedir.
Des centaines d'autres migrants ont aussi afflué en Libye, en provenance de Tunisie, à la hauteur de Al'Assah, à 40 km au sud de Ras Jedir, errant sans nourriture ni eau jusqu'à ce que des gardes libyens leur portent secours, a constaté une équipe de l'AFP début août.
L'ONU a dénoncé le 1er août "l'expulsion de migrants de Tunisie vers la Libye", appelant à ce que "les expulsions cessent immédiatement". Les autorités tunisiennes ont réfuté deux jours plus tard "les allégations sur des expulsions", évoquant des "imprécisions voire des contrevérités".
Depuis début juillet, "au moins 27 migrants" sont morts dans le désert tuniso-libyen et "73 sont portés disparus", a indiqué une source humanitaire.
Et jusqu'à "mercredi (9 août), tous les deux jours une centaine de migrants continuaient d'arriver de Tunisie et à être secourus par les Libyens" dans la zone d'Al'Assah, a-t-elle ajouté.
"Environ 270 personnes" sont hébergées à Al'Assah, les autres ayant été transférées ailleurs, selon cette source qui redoute que les évacués de Ras Jedir soient envoyés dans des "camps de rétention".
La Libye, qui héberge plus de 600 000 migrants irréguliers, a été épinglée par plusieurs rapports de l'ONU sur de graves violences à leur encontre.