En période d'urgence comme lors d'une pandémie les percées technologiques se concrétisent souvent. C'est ce qui se passe actuellement en Tunisie où l'intelligence artificielle et la robotique connaissent des progrès inédits encouragés par le gouvernement. Ce dernier, en difficulté financière, cherche à éviter l'achat de matériel médical coûteux à l'étranger et veut favoriser les initiatives locales.
Cela a pris un peu de moins de deux semaines d’efforts. Et
«c’est un temps record » selon Aref Meddeb, directeur de l’École d'ingénieurs de Sousse. Les étudiants ont réussi à fabriquer à moindre coût une machine d'oxygénothérapie. L’appareil est moins complexe mais tout autant nécessaire que les respirateurs utilisés en réanimation.
Une machine d'assistance respiratoire
« C’est une machine d’assistance respiratoire destinée aux patients atteints du Covid-19 mais dont la gravité de l’état ne nécessite pas encore d’aller en réanimation. Le prototype a été testé. Et il a fonctionné au sein de l’hôpital public de Sousse», explique le directeur de l’École.
L’École d’ingénieurs a répondu à un
appel d’offres public émis par le ministère de la Santé le 16 mars dernier.
Il fallait fabriquer cet appareil rapidement et permettre le lancement de sa production au niveau industriel.
«Le prototype devrait être reproduit dans un premier temps à hauteur de 20 exemplaires par une entreprise tunisienne et équiper d’autres centres hospitaliers universitaires. C’est la première fois qu’une telle machine est fabriquée en Tunisie », explique Aref Meddeb.
Nous n'avons pas réussi à obtenir une réponse du ministère de la Santé pour obtenir plus de précisions sur l'ampleur de l'appel d'offres. Combien d'entreprises et d'établissements d'enseignement supérieur ont candidaté ? Quelle sera la quantité de ces machines produites à terme ? Quel est le montant de l'investissement ?
Des outils d'intelligence artificielle pour détecter le coronavirus
Cette École d’ingénieurs n’est pas un cas isolé. D’autres établissements d’enseignement supérieur ont mis la main à la pâte. L’École d’ingénieurs Insat, (Institut national des sciences appliquées et de technologie), rattachée à l’Université de Carthage, a, elle, développé un outil d’intelligence artificielle en libre accès et qui permet de diagnostiquer instantanément le nouveau coronavirus à parti de simples radiographies des poumons.
Cet outil a été développé également au Canada et en Chine mais il n’est pas en accès libre contrairement au logiciel tunisien selon les ingénieurs de l’École.
L'intelligence artificielle permet ainsi de classifier un grand nombre d'images en un temps très court, avec un faible coût.
«Le résultat est obtenu en deux clics. Il suffit de charger l'image puis de la soumettre à l'analyse, qui donne un score de reconnaissance de la maladie Covid-19», a expliqué à l'AFP Moustapha Hamdi, universitaire et concepteur de cet outil.
«Nous sommes en train d'affiner la détection pour les cas où il y a très peu de symptômes», ajoute t-il. Les hôpitaux tunisiens ont commencé à utiliser cet outil inédit. C’est un moyen de test permettant de se passer des kits de dépistage coûteux.
Des compétences et des ressources humaines dans les technologies
Le gouvernement compte sur des produits fabriqués dans le pays, estime pour sa part Aref Meddeb, directeur de l’Ecole d’ingénieur de Sousse. «
L’Etat a enfin compris que le pays possédait enfin les ressources humaines pour développer des outils efficaces capables de lutter contre le virus. Les universités sont là, les écoles d’ingénieurs aussi. On nous a rarement autant donné de moyens en nous demandant d’être inventifs », explique Aref Meddeb. Ces encouragements ne sont pas désintéressés de la part du gouvernement.
« Le gouvernement est confronté à la hausse des prix des équipements médicaux avec cette crise sanitaire mondiale. Il cherche à limiter les coûts, du simple masque aux respirateurs », ajoute l’universitaire
. Les prix sur les équipements médicaux ont augmenté car au niveau mondial la production n’a pas suivi la demande. Importer une machine d’oxygénothérapie reste bien coûteux qu’en développer une sur place et la produire en Tunisie », ajoute Aref Meddeb.
Produire en Tunisie
Les moyens de l’État tunisien restent en effet limités. Le Fonds Monétaire International (FMI) a versé 745 millions de dollars à la Tunisie, le 11 avril dernier. Face aux difficultés financières, le gouvernement encourage donc toutes les initiatives technologiques susceptibles de limiter les coûts. "
La crise nous a mis à nu", reconnaissait ainsi le Premier ministre tunisien Elyes Fakhfakh, dans une interview donnée le 19 avril dernier sur la chaîne, Al Wataniya 1. Mais cette crise selon le chef du gouvernement a mis en lumière "
des compétences solides" dans le domaine des technologies de l'intelligence artificielle ou de la robotique.
Un robot pour faire respecter le confinement
Anis Sahbani dirige l’entreprise tunisienne Enova Robotics. L’entreprise produit des robots, notamment pour la police et emploie une vingtaine de personnes à Sousse. « Nous nous sommes développés dans tout ce qui concerne l’économie de la sécurité en Tunisie, notamment pour les entreprises privées. Avec le Covid nous avons pu convertir nos robots et grâce à l’intelligence artificielle ils sont utilisés dans la lutte contre le virus », décrit le chef d’entreprise.
Un des robots de l’entreprise télécommandé par la police, patrouille dans les rues pour faire respecter le confinement. C'est ce que montre cette vidéo du compte Facebook du ministère de l'Intèrieur. Le confinement a été levé progressivement dans le pays à partir du 4 mai dernier.
Un autre de ces robots-gardiens autonomes est utilisé pour permettre aux malades en état grave de parler avec leurs proches via une tablette posée sur le robot. Et un autre est développé pour aider, via une intelligence artificielle, à faire un premier tri des patients arrivant à l'hôpital, selon la gravité des symptômes. Ce robot est encore en cours de développement et il devrait équiper l’hôpital d’Ariana, dans le Grand Tunis, spécialisé dans la prise en charge des patients atteints du coronavirus.
« La lutte contre le virus a permis de montrer certains savoirs technologiques. Mais une fois le virus passé le gouvernement continuera t-il de soutenir ces secteurs ? C’est une vrai question », poursuit Anis Sahbani. Le Premier ministre répond oui à cette interrogation. "Après le coronavirus, on va reconstruire sur ces bases technologiques », insistait Elyes Fakhfakh.
Mettre fin à la fuite des cerveaux
Le gouvernement veut lancer une foire pour présenter les différentes innovations et technologies médicales fabriquées en Tunisie pour les vendre auprès d’industriels. L’enjeu est affirmé. Il faut créer un secteur industriel dans la santé et ses technologies associées. Il faut ainsi mettre fin à la fuite des cerveaux.
Le chef d'entreprise Anis Sahbani, parti un temps en France, a fait lui le choix de revenir en Tunisie. Mais son cas reste rare. La Tunisie forme en effet chaque année des milliers d’ingénieurs et de médecins. Mais, faute de perspectives nombre d'entre eux partent à l'étranger et y restent.