Fil d'Ariane
Les mines, la santé, l'énergie, les infrastructures, aucun secteur n'échappe aux appétits des hommes d'affaires turcs qui multiplient les partenariats, vendus comme des accords "gagnant-gagnant".
Se détournant peu à peu de ses marchés européens traditionnels, la Turquie a déjà quintuplé ses échanges commerciaux avec l'Afrique, de 5,4 milliards de dollars en 2003, date de l'arrivée au pouvoir de M. Erdogan, à 25,4 milliards en 2020.
De retour d'une tournée en Angola, au Togo et au Nigeria - au moment où ses relations se tendaient une fois de plus avec les Etats-Unis, le Canada et huit pays européens - le président turc vient d'annoncer, lors d'un Forum économique sur l'Afrique à Istanbul la semaine dernière, son intention de tripler encore ces échanges.
(Re)voir : Togo : le président Erdogan renforce la présence de la Turquie
L'un des domaines aussi stratégiques que délicats de cette coopération porte sur la défense, dans laquelle la Turquie a engrangé récemment, avec ses drones, de vrais succès commerciaux et militaires, comme en Libye.
La Turquie est pour nous un ami fiable qui veut investir en Afrique
Kitila Mkumbo, ministre tanzanien du Commerce et de l'Industrie
"Les industries de défense offrent de nouvelles opportunités" a souligné Mursel Bayram, professeur à l'Université des sciences sociales d'Ankara. "Mais la Turquie peut aussi apporter son expérience dans de nombreux domaines tels que l'agriculture et la santé, par exemple en construisant des hôpitaux comme au Soudan, en Somalie et en Libye", a-t-il nuancé.
M. Erdogan - qui a un jour présenté la Turquie comme une nation "afro-eurasienne", en raison d'une relative proximité avec la Libye à travers la Méditerranée, a déjà visité 30 des 54 pays d'Afrique. Le nombre d'ambassades turques sur le continent est d'ailleurs passé de 12 à 43 depuis 2002 et la compagnie nationale, Turkish airlines, y dessert désormais plus de 60 destinations.
"La principale raison de notre intérêt croissant pour l'Afrique, c'est qu'on en voit le potentiel", confie à l'AFP le président du Conseil des relations économiques extérieures de Turquie, Nail Olpak. Il cite notamment le besoin pressant du continent en infrastructures, de l'électricité aux ponts, à l'eau potable ou au traitement des déchets, des domaines où l'industrie turque excelle.
Des entreprises turques ont déjà construit une mosquée au Ghana, un stade couvert au Rwanda, une piscine olympique au Sénégal et travaillent actuellement sur un aéroport au Soudan. Par ailleurs, l'Algérie est devenue l'un des principaux fournisseurs de gaz naturel à Ankara, lui permettant de "réduire notre dépendance à la Russie et à l'Iran", relève M. Bayram.
Pour les responsables africains, les sociétés turques offrent des emplois et des biens à des prix compétitifs, souvent favorablement comparés aux concurrents chinois, les investisseurs omniprésents sur le continent. "La Turquie est pour nous un ami fiable qui veut investir en Afrique", a lancé le ministre tanzanien du Commerce et de l'Industrie, Kitila Mkumbo, lors du Forum d'Istanbul, auquel participaient une quarantaine de ministres turcs et africains.
La patron du Bureau des investissements ougandais, Morrison Rwakakamba, souhaite que les Turcs s'intéressent à l'agriculture et à l'agro-industrie dans son pays. "Avec la Turquie, la relation se fonde sur des intérêts mutuels et un partenariat gagnant-gagnant, ce qui est déjà un bon point de départ", a-t-il déclaré.
Les populations locales sont davantage impliquées, avec aussi parfois un échange de savoir-faire
Federico Donelli, chercheur en relations internationales à l'Université de Genève
Et le moment est particulièrement propice avec une livre turque au plus bas qui rend les exportations encore plus compétitives. "Cela monte en flèche", confirme Muzaffer Suat Utku, vice-président des relations internationales de la banque d'investissements Aktif Bank, qui se présente comme la "banque du commerce extérieur avec l'Afrique". "Nos exportateurs et nos investisseurs sont sans arrêt en réunion en Afrique", a-t-il indiqué.
Certains analystes font valoir que la Turquie a aussi beaucoup mieux géré ses relations en Afrique que la Chine, dont les projets ont souvent endetté les pays en développement.
"Si on compare entre la Turquie et la Chine, on voit la différence pour les habitants", relève Federico Donelli, chercheur en relations internationales à l'Université de Genève.
"Les populations locales sont davantage impliquées, avec aussi parfois un échange de savoir-faire", ajoute-t-il.
La politique étrangère de M. Erdogan a régulièrement suscité des tensions avec l'Occident, ses critiques l'accusant de manquer de stratégie. Mais en Afrique, les experts estiment que le président turc adopte une approche beaucoup plus réfléchie. "C'est un plan à long terme, pas du court terme", affirme M. Bayram en faisant valoir les investissements dans la santé, l'éducation, la formation et la place des femmes.