Comme l'écrit Josette Audin dans sa lettre au président de la République, son mari n'a pas été la seule victime des exécutions sommaires et de la torture. Selon les historiens, près de 3000 personnes (principalement des Algériens) auraient disparu au cours de la
bataille d’Alger, de 1957 à 1958. Exécutions, gégène (torture à l'électricité) ou "crevettes Bigeard" (personnes jetées d'un avion ou hélicoptère) se sont poursuivis jusqu'à la fin de la guerre en 1962.
Bien qu’elle fût cachée et aujourd’hui exempte de toute condamnation par l’Etat français, la torture en Algérie a bien été dénoncée durant la guerre. D'abord par ses opposants, les anticolonialistes tels Francis Jeanson ou
Henri Curiel qui se battaient aux côtés des indépendantistes du FLN, en "
portant leurs valises", par des officiers déserteurs tels
Jean-Louis Hurst dit Maurienne, mais aussi par des avocats de la métropole qui défendaient les
militants algériens torturés, tels
Gisèle Halimi ou
Jacques Vergès. Et bien sûr, on peut citer le comité Audin, créé dès la fin de l’année 1957, et constitué entre autres du mathématicien
Laurent Schwartz, du biologiste
Luc Montagnier, de l’historienne
Madeleine Rebérioux, de l’universitaire Michel Crouzet, du documentariste
Jacques Panijel, du mathématicien
Albert Châtelet, et l’historien
Pierre Vidal-Naquet, auteur du livre
L’affaire Audin (éditions de Minuit). Enfin, en 1958, également dans la clandestinité est imprimé et publié par les éditions de Minuit, en français et en anglais, un livre qui restera associé à l'utilisation de la torture en Algérie :
La question, de Henri Alleg, communiste lui aussi, arrêté lui aussi au lendemain du "rapt" de Maurice Audin, et torturé lui aussi. Le livre qui dénonce les exactions de l'armée française commence ainsi : « En attaquant les Français corrompus, c’est la France que je défends. »
Les deux versions de la mort de Maurice Audin
Dans son livre, l’historien évoque bien la mort sous la torture de Maurice Audin, mais il fait bien plus. Sorti, clandestinement, un an seulement après la disparition du jeune scientifique, l’ouvrage décortique et démonte le « scénario » officiel de l’évasion, dénonçant une mise en scène acceptée aujourd’hui par tous les historiens. Selon la version de Pierre Vidal-Naquet, fondée sur des témoignages de fonctionnaires français en poste à Alger à l’époque, Maurice Audin aurait été étranglé « dans un accès de colère » par un des parachutistes d’El Biar, le lieutenant André Charbonnier, au cours d’un interrogatoire. André Charbonnier a été élévé au rang d'officier de la Légion d’honneur le 28 février 1960. Il est décédé en 1995.
Cependant, une autre piste mène vers le colonel Yves Godard, dont les archives personnelles ont été publiées en partie dans le livre
Le camp de Lodi (éditions Stock), de Nathalie Funès, et dans le Nouvel Observateur du 1er mars 2012. Cet ancien commandant de la zone Alger-Sahel, haut gradé de l’armée à l’époque, désigne Gérard Garcet, sous-lieutenant du commandant
Paul Aussaresses, comme « l’agent d’exécution » de Maurice Audin. Le jeune anti-colonialiste aurait été exécuté par erreur, à la place d’
Henri Alleg, ancien directeur du journal Alger Républicain, communiste et fervent défenseur de l’Algérie indépendante, détenu au même endroit et à la même période que Maurice Audin. Selon les informations du Nouvel Observateur, Gérard Garcet vit aujourd’hui en Bretagne.
Pour Josette Audin, ces versions doivent être recoupées. Et il reste surtout, selon elle, des archives non exploitées…