L'affaire Grace Mugabe vire au casse-tête diplomatique

Les autorités du Zimbabwe ont requis l'immunité pour la Première dame du pays Grace Mugabe, mise en cause par d'embarrassantes accusations d'agression contre un mannequin en Afrique du Sud qui menacent de virer au casse-tête diplomatique.
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Grace Mugabe, l'épouse du président du Zimbabwe
La Première dame du Zimbabwe, Grace Mugabe, à un rassemblement politique le 21 juillet 2017 à Lupane, au Zimbabwe
©AP Photo / Tsvangirayi Mukwazhi
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Après de longues heures d'incertitudes, le ministère sud-africain de la Police a annoncé mercredi que Mme Mugabe avait invoqué l'immunité et qu'elle se trouvait toujours sur son territoire, démentant qu'elle avait regagné Harare. "Les avocats de la suspecte et les représentants de son gouvernement ont sollicité verbalement les enquêteurs (de la police) pour leur signaler que la suspecte souhaitait invoquer l'immunité diplomatique", a indiqué le ministère.

Grace Mugabe est accusée d'avoir, le soir du 13 août 2017 dernier, frappé et blessé au visage Gabriella Engels, une mannequin de 20 ans qui se trouvait dans le même hôtel qu'elle avec des amis, dans le quartier huppé de Sandton à Johannesburg. La victime présumée, Gabriella Engels, a déposé plainte le lundi 14 août 2017. La jeune femme a déposé plainte pour coups et blessures, assurant avoir été entaillée au front.

Mannequin de profession, elle assure qu'elle était avec des amis lorsque l'épouse du président zimbabwéen, qui se trouvait dans une chambre proche de la leur, est venue les agresser dimanche soir. "On était tranquillement dans notre chambre et elle est arrivée pour nous frapper. J'ai le front ouvert. Je suis mannequin et je gagne de l'argent grâce à mon look", a raconté Gabriella Engels au quotidien sud-africain The Times.

Une photo circulant sur les réseaux sociaux montre la victime présumée avec une large coupure au milieu du front. Selon une proche de Gabriella Engels qui a requis l'anonymat, Mme Mugabe cherchait ses deux fils qui se trouvaient en réalité dans la chambre voisine. "On ne sait pas pourquoi elle est devenue si violente", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Pas de coopération avec la police ?         

Selon les détails livrés mercredi par le ministère de la Police, Mme Mugabe avait initialement convenu avec les autorités sud-africaines de se présenter d'elle-même mardi dans un commissariat de Johannesburg. Cet "arrangement" devait lui permettre de présenter sa "version des faits" avant que le parquet ne se prononce sur l'ouverture éventuelle d'une enquête, a ajouté le ministère.
    
Mais la "suspecte" a renoncé à se présenter, arguant d'une protection diplomatique en tant qu'épouse du président. Plusieurs médias ont rapporté dès mardi soir sur la foi de sources anonymes que la première dame avait discrètement regagné la capitale de son pays Harare. Le ministère sud-africain de la Police les a démenties en assurant qu'elle se trouvait toujours en Afrique du Sud, sans toutefois dévoiler le lieu de sa villégiature.

Elle "n'a pas quitté la République (sud-africaine)" et a informé les autorités de sa présence au sommet de la Communauté de développement des pays d'Afrique australe auquel son époux doit participer ce week-end à Pretoria, selon le ministère. Robert Mugabe a quitté dès mercredi soir Harare pour Pretoria en vue de cette réunion, a rapporté la télévision nationale zimbabwéenne, sans mentionner l'affaire impliquant sa femme. 

Grace Mugabe se trouvait en Afrique du Sud pour se faire soigner une blessure au pied, selon les médias de son pays. Comme son mari, elle se rend parfois à l'étranger pour des raisons médicales, les services de santé de son pays étant en pleine déliquescence. ​Sollicitée par l'AFP, un porte-parole du ministère sud-africain des Affaires étrangères, Clayson Monyela, avait indiqué que son déplacement était "une visite privée dans laquelle le gouvernement ne pouvait être impliqué". Grace Mugabe n'est pas sous le coup d'un mandat d'arrêt, a précisé la police mardi 15 août 2017. 
 
"Les citoyens étrangers doivent comprendre qu'ils ont des responsabilités, surtout ceux qui ont des passeports diplomatiques. Je ne peux pas me rendre au Zimbabwe, tabasser quelqu'un et attendre que l'affaire disparaisse".Le ministre sud-africain de la police, Fikile Mbalula, le 15 août 2017
Selon plusieurs sources, le statut de Première dame ne confère aucune immunité diplomatique à Grace Mugabe et elle peut être jugée comme n'importe quel citoyen.
L'Afrique du Sud est un allié du Zimbabwe qui refuse traditionnellement de s'immiscer dans la politique de son voisin. 

Surnommée "Gucci Grace" ou "Disgrace"

L'affaire entache en tout cas un peu plus l'image déjà très controversée de la première dame...

L'idylle entre Robert Mugabe, président et maître incontesté du Zimbabwe et Grace Mugabe s'est semble-t-il nouée en 1987, alors que la jeune femme n'était encore qu'une de ses nombreuses secrétaires. Leur liaison n'est révélée qu'à la mort de la première épouse de Robert Mugabe en 1992. Le couple l'officialise alors en 1996 lors d'une luxueuse cérémonie à laquelle participe le président sud-africain de l'époque et héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela. 

 
Grace et Robert Mugabe lors de l'anniversaire du président
Grace et Robert Mugabe lors des célébrations du 92ème anniversaire du président zimbabwéen à Harare, en février 2016
©AP Photo / Tsvangirayi Mukwazhi
Née le 23 juillet 1965, Grace Marufu a eu trois enfants avec Robert Mugabe, de 41 ans son aîné, et un quatrième d'un précédent mariage. Longtemps, elle s'est contentée de jouer les Premières dames de luxe. Baptisée "Gucci Grace", "la première acheteuse" ou encore "Disgrace", elle s'attire les critiques pour sa passion pour les vêtements de luxe, ses extravagantes dépenses, ses voyages et un goût prononcé pour les affaires financières.

L'épouse du président zimbabwéen est ainsi régulièrement épinglée pour et son implication supposée dans des scandales de corruption dans un pays plombé par une grave crise économique. L'an dernier, son nom est apparu dans une affaire de diamants. Elle avait fait saisir des propriétés d'un homme d'affaires après un différend au sujet d'une bague de 1,35 million de dollars qu'elle lui avait commandée, avant de changer d'avis.

Coups de colère et réputation sulfureuse

Ses coups de colère sont célèbres. Comme en 2009, où elle frappe un photographe britannique qui prenait des photos d'elles dans un hôtel de luxe à Hong Kong.
Lors d'un entretien accordé à la télévision publique sud-africaine SABC, elle a assuré ne plus se préoccuper de ce que les autres pensent d'elle. "J'ai la peau dure, ça m'est égal", dit-elle, "mon mari dit que l'ignorance est source de félicité".

La première dame du Zimbabwe a toutefois fait récemment des efforts pour tenter d'adoucir son image. Ses inconditionnels la surnomment désormais "Dr Amai (Docteur Mère)", "l'unificatrice" ou encore "la reine des reines". Longtemps vue comme une femme sans relief intéressée par le seul luxe, elle a émergé depuis 2014 comme l'un des principaux prétendants à la succession de son nonagénaire de mari...

Successeure potentielle de Robert Mugabe? 

Grace Mugabe s'est invitée avec fracas sur la scène politique nationale il y a trois ans en s'en prenant publiquement à la vice-présidente de l'époque, Joice Mujuru, alors pressentie pour prendre la relève de son mari. Sans détour, la Première dame l'a accusée de complot et de corruption et précipité la disgrâce de celle qui était pourtant l'une des héroïnes historiques de la guerre d'indépendance.

Depuis trois ans, Grace Mugabe dirige la branche féminine de la Zanu-PF, le parti au pouvoir depuis l'indépendance du Zimbabwe en 1980, et parcourt le pays en fustigeant tous ceux qui ne se rangent pas derrière le chef de l'Etat. En 2015, elle a affirmé que son époux briguerait sa succession en 2018 quoi qu'il arrive, même en chaise roulante.
 
Grace et Robert Mugabe
Le couple présidentiel du Zimbabwe, Robert et Grace Mugabe, lors d'un rassemblement politique à Chinhoyi le 29 juillet 2017
©AP Photo / Tsvangirayi Mukwazhi
A 52 ans, son influence sur Robert Mugabe, à la santé vacillante, et ses caprices en font une première dame très redoutée : elle est désormais présentée comme l'une des favorites pour remplacer son mari à la tête du pays. Même si pour l'heure, le président zimbabwéen, qui est à 93 ans le plus vieux dirigeant en exercice de la planète, n'a pas l'intention de céder sa place: il est d'ores et déjà candidat à sa propre succession pour les élections de 2018.

Les observateurs de la vie politique locale la disent soutenue par un groupe de jeunes militants réputé pour ses actions violentes, baptisé par certains le "G - 40". Mais sa personnalité reste très controversée au sein-même de la Zanu-PF au pouvoir. "Elle n'a pas de base populaire et détonne au sein des dirigeants du parti. (...) Normalement ils se recrutent parmi les combattants historiques du parti ou doivent avoir travaillé sans relâche pour lui", estime le commentateur politique Earnest Mudzengi. 
 
"Elle s'est fait beaucoup d'ennemis et continue encore à s'en faire à l'heure actuelle, il suffit de regarder l'ampleur des purges au sein de la Zanu-PF."
Earnest Mudzengi, commentateur politique
Certains analystes doutent toutefois qu'elle ambitionne la succession directe de Robert Mugabe. Ils ne veulent voir dans sa récente omniprésence que la volonté de protéger les intérêts de sa famille après le départ du chef de l'Etat.