Fil d'Ariane
« Le Rwanda a le droit légitime et souverain de défendre son territoire et ses citoyens, et pas seulement d’attendre qu’une catastrophe se produise », déclare la porte-parole du gouvernement du Rwanda Yolande Makolo. Le 4 août, le gouvernement publie un communiqué en réponse à un rapport transmis au Conseil de sécurité de l’ONU. D’après ce rapport, l’armée rwandaise a « lancé des interventions militaires contre des groupes armés congolais et des positions des Forces armées congolaises. »
Rwanda’s Response to unvalidated allegations by UN Group of Experts. pic.twitter.com/uFJUxF9f6n
— Yolande Makolo (@YolandeMakolo) August 4, 2022
Les experts de l’ONU affirment que des militaires congolais ont pris part à plusieurs attaques contre des soldats congolais dans la province du Nord-Kivu. Depuis plusieurs mois, cette province est le théâtre de combats entre les rebelles du M23 et l’armée congolaise.
Le M23 (pour Mouvement du 23 mars) est principalement composé d’anciens soldats de l’armée congolaise. Ils se sont rebellés contre le gouvernement congolais, qu’ils accusent de marginaliser leur minorité ethnique tutsi. Ils ont repris les armes fin 2021 car selon eux, Kinshasa ne respecte pas les accords sur la démobilisation et la réinsertion de ses combattants.
Le rapport du Groupe d’experts bat en brèche les dénégations des autorités rwandaises et détaille, preuve à l’appui, l’implication directe du Rwanda « unilatéralement ou conjointement avec les combattants du M23 » dans l’est de la RDC. Le quotidien français Le Monde a eu accès à une copie du rapport confidentiel. Les experts ont mené des « inspections sur place », mais aussi analysé les « images disponibles », permettant d’attester de la présence des militaires rwandais lors d’attaques contre les soldats congolais, entre novembre 2021 et juillet 2022.
Le 25 mai, la plus grande base militaire congolaise dans la région du Rutshuru était sous un feu nourris d’obus de mortier et d’armes automatiques. Selon le Groupe d’experts, « le M23 et les RDF ont conjointement attaqué le camp des FARDC à Rumangabo. » Sur quoi se basent-ils pour émettre cette affirmation ? « À plusieurs reprises, des images aériennes ont montré de grandes colonnes comptant jusqu’à 500 hommes armés à proximité des frontières de la RDC, du Rwanda et de l’Ouganda, se déplaçant de manière très organisée et portant une tenue et un équipement militaire standardisé (uniformes et casques très similaires à ceux des RDF) », précise le rapport. Estimées à environ 900 et 1 000 hommes, les colonnes rwandaises ont « coupé la RN2 pendant plusieurs jours » et « attaqué et délogés les FARDC de leurs positions » le long de cette route.
Le 13 juin, la ville de Bunagana, située à 50km au nord de Goma est prise par les rebelles du M23 après des affrontements. Il s’agit d’un carrefour commercial à la frontière ougandaise.
Des témoins oculaires et des chercheurs ont rapporté une complaisance passive, a minima, de l’armée ougandaise à la frontière, qui a permis aux combattants du M23 de traverser la frontière. Rapport d’experts missionés par les Nations Unies
La veille de l’attaque, des images de drone fournies par la Monusco, des vidéos et des photos amateurs et des témoins oculaires établissent la présence des FAR et/ou du transfert de leurs équipements au M23, aux alentours de Bunagana ou au sein même de la ville. « Des témoins oculaires et des chercheurs ont rapporté une complaisance passive, a minima, de l’armée ougandaise à la frontière, qui a permis aux combattants du M23 de traverser la frontière ».
La tension entre la RDC et le Rwanda n’est pas nouvelle. Depuis la période suivant le génocide des tutsis de 1994 au Rwanda, les deux pays entretiennent des relations conflictuelles, avec quelques périodes d’accalmie. Cette année-là, de nombreux Hutus rwandais, accusés d’avoir massacré des Tutsi, sont arrivés en RDC par l’est. Quelques années plus tard, la deuxième guerre du Congo a fait 4 à 4,5 milions de victimes, selon un rapport de l'International Rescue Committee. Le Rwanda est accusé d'ingérence dans ce conflit.
En mai et juin, les attaques du M23 ont causé la mort de plusieurs dizaines de civils. Plus de 170 000 personnes ont été contraintes d’être déplacées. Les dirigeants d’Afrique de l’Est se sont mis d’accord sur la mise en place d’une force régionale pour tenter de mettre fin au conflit. Des pourparlers entre le Rwanda et la RDC ont eu lieu au début du mois de juillet.
Le 6 juillet, un sommet entre les présidents rwandais et congolais est organisé à Luanda, capitale de l’Angola. Au terme des discussions, les deux camps ont conclu à un cessez-le-feu. « J’ai le plaisir d’annoncer que nous avons obtenu des résultats positifs (…) dans la mesure où nous nous sommes mis d’accord sur un cessez-le-feu, entre autres mesures », annonce le président angolais Joao Lourenço au terme de la rencontre. Cependant, l’implication de soldats rwandais dans des combats entre l’armée congolaise et le M23, tel qu’affirmé par l’ONU, pourrait mettre à mal ce cessez-le-feu.