Fil d'Ariane
Dans un nouveau bilan, le ministre de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré, évoquait samedi soir de 29 tués et une trentaine de blessés. Par ailleurs, "176 personnes ont pu être secourues", a-t-il dit.
Le Burkina Faso était sous le choc dimanche alors que les forces de sécurité poursuivaient des opérations de ratissage à la recherche d'éventuels jihadistes en fuite.Les forces de l'ordre étaient en action dimanche matin dans toute la capitale burkinabè et la sécurité et le contrôle des hôtels ont été renforcés.
"On a peur. Celui qui n'a pas peur n'est pas normal. Ce sont des gens avec des armes", affirme Souleymane Ouedraogo, qui habite près de la zone où a eu lieu l'attaque. "Ici, il y a l'armée, mais ailleurs..."
Les corps de trois jihadistes ont été identifiés, tous des hommes, selon le ministre Simon Compaoré. De nombreux témoignages font état de plus de trois assaillants et les enquêteurs cherchent à vérifier ces affirmations.
Plusieurs témoins aussi évoqué la présence de deux femmes, alors que les autorités ont réfuté cette thèse pour le moment. Le ministre de la Sécurité intérieure a précisé que les assaillants étaient "très jeunes" -"le plus âgé ne doit pas avoir plus de 26 ans"- et qu'ils étaient arrivés à bord de véhicules immatriculés au Niger.
Sur les lieux de l'attaque, le périmètre de sécurité a été élargi et la zone n'était pas accessible. Des enquêteurs avec des gants blancs en plastique étaient visibles dans les rues autour de l'hôtel Splendid et du café-restaurant Cappuccino, principales cibles des jihadistes.
Militaires et gendarmes tenaient à distance des groupes de badauds venus sur les lieux pour "pleurer nos morts et comprendre ce qui s'est passé", selon Jean Compaoré, un chrétien venu sur les lieux du massacre.
A ses côtés, Lamnine Thietambo, un musulman. "Nous mangeons dans le même plat", dit Jean Compaoré: "Au Burkina, nous n'avons pas problème religieux. On vit ensemble. On n'a pas de problème ethnique. Il y a 63 ethnies qui vivent ensemble. Les jihadistes viennent d'ailleurs".
Son compagnon musulman confirme: "On est amis. Les jihadistes, ce n'est pas la religion. Ce ne sont pas des croyants. Ils tuent tout le monde, des innocents. Ce ne sont pas des musulmans". "Nous serons plus vigilants, mais ça ne peut pas nous empêcher de vivre avec nos autres frères ailleurs, que tu sois noir ou blanc, que tu sois chrétien ou musulman.", assure Daouda Moumoula.
Les badauds clament aussi leur colère. "On dit qu'ils viennent du Niger. Normalement les frontières sont contrôlées. Comment ça a pu arriver ?", interroge Jean Compaoré.
"Il n'y pas une attaque sans complicités", réagit un badaud.
Plus loin, d'autres critiquent les forces de l'ordre. "Ils ont tardé pour arriver", dit un homme sous couvert d'anonymat alors que militaires burkinabè ont mis plusieurs heures pour s'organiser, selon des témoignages concordants.
La nuit de l'attaque, les premiers membres de forces de l'ordre arrivés sur place - certains par conscience, sans y avoir été envoyés par leur hiérarchie - n'avaient pas d'armes ou seulement des armes de poing.
Un homme souligne que "les armes des militaires sont moins bonnes que celles des jihadistes. Il faut moderniser l'armée".
"On va prendre un coup"
Beaucoup craignent aussi l'impact économique des attentats. "Les touristes étaient nos amis. C'est triste tous ces morts. Ça va être dur pour nous maintenant", affirme Souleymane Soro, vendeur de rue, qui se trouvait sur l'avenue N'Krumah théâtre de l'attaque vendredi soir. "Quand ça a commencé à tirer, on a fui. C'était dangereux".
Dans un autre quartier, Lassané Kabré estime: "Sur le plan économique, on va prendre un coup. C'est le mauvais moment, parce qu'on sort d'une crise qui nous a franchement affaibli sur tous les plans.", regrette-t-il
La plupart des tués sont des Blancs, a indiqué une source proche du parquet, selon laquelle au moins cinq Burkinabè figurent aussi parmi les victimes. Ces dernières seraient de 18 nationalités différentes, d'après une source sécuritaire burkinabè. Six Canadiens, deux Français, deux Suisses et un Américain figurent parmi les morts, ont annoncé respectivement les autorités de ces pays.
L'action a été revendiquée dans la nuit par le groupe jihadiste Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), qui l'a attribuée au groupe Al-Mourabitoune du chef jihadiste Mokhtar Belmokhtar, selon SITE, une organisation américaine qui surveille les sites internet islamistes.
Par ailleurs, un couple d'Australiens a été enlevé vendredi dans le nord du Burkina Faso, un rapt revendiqué samedi par un responsable du groupe jihadiste malien Ansar Dine. Selon lui, les deux étrangers sont aux mains de jihadistes appartenant à "l'Emirat du Sahara", un groupe lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)."Notre poste diplomatique à Accra, au Ghana, travaille avec les autorités locales au sujet d'un enlèvement présumé", a déclaré à l'AFP un porte-parole australien des Affaires étrangères, sans autre précision.
L'attentat de Ouagadougou a débuté par l'irruption vendredi à 19H45 de plusieurs assaillants dans l'hôtel Splendid, un établissement de luxe au cœur de Ouagadougou fréquenté par des Occidentaux et des employés des Nations unies.Un journaliste de l'AFP a pu distinguer au début de l'attaque trois hommes armés et enturbannés, un témoin indiquant de son côté avoir vu quatre assaillants "enturbannés et de type arabe ou blanc".
Un premier assaut a été donné par les forces burkinabè, soutenues par des militaires français, vers 02H00. Les environs de l'hôtel se sont transformés en champ de bataille, avec de nombreux véhicules en flammes tout comme la façade de l'hôtel.
A l'aube, l'assaut s'est poursuivi en face de l'hôtel dans le café-restaurant Cappuccino, également lieu de rendez-vous de la communauté expatriée.
"Les gens étaient couchés, il y avait du sang partout. Ils tiraient sur les gens à bout portant", a expliqué Yannick Sawadogo, un des rescapés de l'hôtel. "On les entendait parler et ils marchaient autour des gens et tiraient encore sur des personnes qui n'étaient pas mortes. Quand ils sont sortis, ils ont mis le feu, on a profité de leur départ pour sortir par les fenêtres brisées", a-t-il ajouté.
Stationnées dans la banlieue de Ouagadougou dans le cadre de la lutte anti-jihadiste dans le Sahel, les forces spéciales françaises ont participé à l'assaut. Et Washington, qui dispose également de 75 militaires dans le pays, a indiqué avoir apporté un soutien.
Cette attaque constitue un défi pour le pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré, récemment élu après une transition chaotique. Il a appelé le peuple burkinabè au "courage", à la "vigilance", et un deuil national de 72 heures devait être observé à partir de dimanche.
Dans un discours radio-télévisé, le chef d'Etat a reconnu samedi soir que le Burkina était "sous le choc", car "pour la première fois de son histoire", il a "été victime d'une série d'attaques terroristes barbares, ignobles, d'une ampleur sans précédent, et d’une lâcheté inouïe".
"Il y avait des signes avant-coureurs (...) C'était une question de temps avant que cela n'arrive", analyse Cynthia Ohayon, experte à l'International Crisis Group (ICG), pour qui cet attentat vise clairement le symbole démocratique incarné dans la région par le Burkina Faso.
Le Burkina, "point d'appui permanent" de l'opération militaire française Barkhane, a déjà été la cible de plusieurs opérations jihadistes ces derniers mois. Pays à majorité musulmane, il a été touché pour la première fois de son histoire par le jihadisme en 2015. Plusieurs attaques, dont la plus spectaculaire a coûté la vie à trois gendarmes et un civil en octobre, se sont produites près de la frontière avec le Mali.