Guerre au Soudan : des atrocités de nouveau commises au Darfour ?

Pendant que le conflit s’enlise et que l’attention se concentre sur la situation dans la capitale soudanaise Khartoum, des affrontements meurtriers et des exactions se multiplient dans le Darfour, à l’ouest du pays. La Cour pénale internationale ouvre une enquête sur de possibles nouveaux crimes de guerre. 

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Refugies soudanais au Tchad

Sur cette photo du 1er juillet 2023, des réfugiés soudanais, originaires en majorité de Khartoum et du Darfour occidental, qui ont fui le conflit au Soudan, se retrouvent ici dans le camp de réfugiés de Zabout, à Goz Beida, au Tchad.

© Marie-Hélène Laurent/PAM via AP
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Médiation : initiative togolaise sur le Darfour

Les autorités togolaises annoncent que des consultations entre toutes les parties impliquées au Darfour (politiciens, activistes politiques, universitaires ,société civile etc.) se tiennent à Lomé au Togo dimanche 23 et lundi 24 juillet, selon le ministère des Affaires étrangères togolais. 

L'objectif de la réunion est de fournir aux leaders du Darfour un cadre de discussion ouvert susceptible d’atténuer les effets de la guerre et préserver l'unité de sa société. Une pacification au Darfour pourrait ouvrir la voie à une solution négociée au Soudan.

La réunion de Lomé ne remet pas en causes les discussions de paix menées actuellement par l’Arabie Saoudite, les États-Unis, les Nations Unies et les efforts encours de l'IGAD (groupe régional d'Afrique de l'Est) et des pays voisins, précise la diplomatie togolaise.

Plus jamais ça au Darfour. Le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan a décidé de passer à l'action en ouvrant une nouvelle enquête pour crimes de guerre dans cette région soudanaise de l'ouest du pays. "Nous risquons [...] de permettre à l'Histoire de se répéter, la même histoire épouvantable qui a poussé ce Conseil à saisir la CPI en 2005 de la situation au Darfour".

L'annonce a été faite le 13 juillet dans un rapport du procureur de la CPI au Conseil de Sécurité de l'ONU. Depuis trois mois, le Soudan est replongé dans le chaos en raison d’une lutte acharnée pour le pouvoir entre le chef de l’armée, le général Abdel Fatah al-Burhane, et son rival, le général Mohamed Hamdan Daglo, leader des Forces de soutien rapide (FSR).

Tandis que Khartoum, la capitale soudanaise, est toujours le théâtre de combats, des affrontements violents ont également lieu au Darfour, région vaste comme la France, frontalière du Tchad. 

Depuis fin avril, le conflit a gagné le Darfour-Ouest puis le Darfour-Sud. "Lors d'échanges de tirs de roquettes entre l'armée et les Forces de soutien rapide (FSR), 16 civils ont été tués vendredi 21 juillet à Nyala", chef-lieu du Darfour-Sud, a déclaré le syndicat des médecins sur la base d'un "premier bilan provisoire".

D’après l’ONU, au moins 87 corps ont été découverts récemment dans une fosse commune à El Geneina, dans l’État du Darfour occidental, à l’ouest du Soudan. Les victimes, parmi lesquelles de nombreuses femmes et sept enfants, appartiennent toutes à la communauté Massalit. Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, l’avocat autrichien Volker Türk, a demandé jeudi 13 juillet à Genève, en Suisse, des investigations indépendantes sur ce massacre.

La responsabilité des Forces de soutien rapide

Dans un rapport publié le 11 juillet 2023, l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch affirme que les Forces de soutien rapide et des milices arabes qui leur sont alliées, ont sommairement exécuté plusieurs dizaines de personnes de la communauté massalit le 28 mai dernier, dans l’État du Darfour occidental.

Abdel-Fattah Burhan

Le chef de l'armée soudanaise, le général Abdel Fatah al-Burhane, lors d'un point de presse sur la crise soudanaise, à Khartoum, au Soudan, le 5 décembre 2022.

© AP Photo/Marwan Ali

Ce jour-là, des milliers de milices arabes et de combattants des FSR – une unité constituée en majorité d’anciens miliciens arabes du Darfour, les janjawid – ont attaqué la ville de Misterei, située à 7 kilomètres de la frontière tchadienne et peuplée essentiellement de Massalit. Les assaillants ont alors tué indistinctement des hommes, des femmes et des enfants, y compris parmi ceux qui tentaient de prendre la fuite. Selon le rapport de Human Rights Watch intitulé "Soudan: une ville du Darfour anéantie", les autorités locales ont déclaré avoir eu confirmation du décès de 97 personnes à la suite de cette attaque, parmi lesquelles des membres des forces d’autodéfense. Par ailleurs, les corps d’au moins 59 personnes ont été enterrés dans des fosses communes.

En juin 2023, le porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, Jeremy Laurence, pointait déjà du doigt les paramilitaires des Forces de soutien rapide dans l’assassinat de Khamis Abdallah Abakar, gouverneur de l’Etat du Darfour occidental. Selon l’agence onusienne citée par l'AFP, ce meurtre s’était produit « quelques heures seulement après son arrestation par les Forces de soutien rapide à El Geneina, capitale du Darfour-Ouest, où le conflit a pris une dimension ethnique. Le gouverneur Abakar était détenu par les Forces de soutien rapide, et elles étaient responsables de sa sécurité. » Khamis Abdallah Abakar a été tué le 14 juin 2023, quelques heures seulement après avoir critiqué les paramilitaires lors d’une interview téléphonique avec une chaîne de télévision saoudienne.

Le risque d’une escalade de la violence

Comme le souligne le rapport de HRW, le Darfour occidental est l’épicentre de cycles de violence et de déplacement forcé ciblant les communautés non-arabes depuis 2019. Et dès le début de la lutte pour le pouvoir à la mi-avril de cette année entre le général Abdel Fatah al-Burhane, et son rival, le général Mohamed Hamdan Daglo, les troupes régulières de l’armée soudanaise et la police locale ont quitté la ville de Misterei. Quelques semaines plus tard, autour de mi-mai, les Forces de soutien rapide et leurs alliés, les milices arabes, ont affronté le groupe d’autodéfense Massalit de la ville. C’est cette dynamique funeste qui a conduit à l’attaque du 28 mai et ses massacres.

Darfour

Sur cette photo d'archive du jeudi 1er juillet 2004, des femmes déplacées soudanaises se rassemblent au camp de réfugiés de Zam Zam, juste à l'extérieur de la ville d'El-Fashir, dans la région du Darfour, au Soudan, lors d'une visite de feu le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan.

© AP Photo/Karel Prinsloo

Au début du mois de juin dernier, les États-Unis ont condamné ces violences qui, selon Washington, rappellent les atrocités commises au Darfour dans les années 2000. A l’époque, le pouvoir central de Khartoum entendait venir à bout d’une rébellion dans la région. Dans un communiqué, Matthew Miller, le porte-parole du département d’État américain affirme que : « Des victimes et des groupes de défense des droits humains ont de façon crédible accusé les soldats des Forces de soutien rapide (FSR) et des milices alliées de viols et d’autres formes de violences sexuelles liées au conflit. Les atrocités commises aujourd’hui au Darfour occidental et dans d’autres zones sont un sinistre rappel des horribles événements qui ont conduit les États-Unis à déterminer en 2004 qu’un génocide avait été commis au Darfour. » En 2005, la CPI avait été saisie par le Conseil de sécurité et avait émis un mandat d'arrêt contre l'ex-président Omar el-Béchir, comprenant des allégations de génocide.

Depuis plusieurs mois, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU est également préoccupé par le risque d’escalade de la violence dans le Darfour. L’organisation onusienne estime par ailleurs que les hostilités entre les paramilitaires du général Mohamed Hamdan Daglo, et les forces armées soudanaises du général Abdel Fatah al-Burhane, ont contribué à déclencher les violences intercommunautaires dans la région. Celles-ci ont par exemple causé la mort d’environ 96 personnes à El Geneina, dans le Darfour occidental, depuis le 24 avril. Toujours selon les Nations unies, plus de 300 000 personnes ont été déplacées rien qu’au Darfour occidental, tandis que 217 000 autres ont fui vers le Tchad.