Fil d'Ariane
Les Maliens sont appelés aux urnes dimanche 18 juin pour approuver ou non une nouvelle Constitution, soumise par la junte au pouvoir à un référendum. Mais une opposition hétéroclite la conteste, et une insécurité persistante compromet sa tenue dans de nombreuses régions.
Photo d'archive - Illustration. Élection présidentielle malienne de 2018. AP/ Annie Risemberg.
Le vote du référendum est le premier organisé par les colonels depuis qu'ils ont pris par la force en août 2020 la tête du pays. Il est un jalon saillant sur le chemin censé conduire à un retour des civils à la direction des affaires en mars 2024, en vertu des engagements pris par les militaires eux-mêmes.
Moins de neuf mois avant le terme annoncé, de fortes incertitudes subsistent, dont la place qu'occuperont l'actuel numéro un, le colonel Assimi Goïta, et les militaires dans le Mali de demain.
Les Maliens se prononceront dimanche 18 à partir de 8h (locales et GMT) sur le projet constitutionnel à l'aide de bulletins verts pour le oui, rouges pour le non. Les résultats sont attendus dans les 72 heures qui suivent.
(Re)voir : Référendum au Mali : les avis restent partagés
Les autorités se sont beaucoup investies en faveur de cette réforme qui doit pallier les insuffisances de la Constitution de 1992. Celle-ci est volontiers désignée comme un facteur de la faillite de l’État face à la multitude des crises, expansion djihadiste, pauvreté, ruine des infrastructures ou délabrement de l'école.
La Constitution proposée fait la part belle aux forces armées. Elle met en exergue la "souveraineté", mot d'ordre de la junte depuis son avènement puis la rupture avec l'ancienne puissance dominante française, ainsi que la lutte contre la corruption, associée à l'ancien régime. Elle légitime les autorités traditionnelles et rehausse le statut des multiples langues nationales. Elle crée un Sénat.
Elle se distingue surtout en renforçant les pouvoirs du président. Elle prévoit l’amnistie pour les auteurs de coups d’État antérieurs à sa promulgation, et alimente les spéculations persistantes sur une éventuelle candidature du colonel Goïta à la présidentielle. Les colonels avaient initialement pris l'engagement de ne pas se présenter.
La réforme cristallise l’opposition d’un bloc hétérogène.
D’influentes organisations religieuses s’opposent au maintien de la laïcité. Dans le nord, les anciens rebelles dénoncent les termes de la Constitution et risquent d'empêcher le vote dans leur fief de Kidal. À la différence des djihadistes, ils avaient signé un important accord de paix avec l’État .
Une partie de la classe politique voit d’un mauvais œil le renforcement de l’exécutif.
"Nous avons assisté à une personnalisation du pouvoir, à un culte de la personnalité. Or, si une nouvelle Constitution se met en place, elle doit redresser ces dérives, équilibrer les pouvoirs au lieu de les concentrer dans les mains du seul président", dénonce Sidi Touré, porte-parole du Parti pour la renaissance nationale (Parena).
"Le projet de Constitution a été fait par les Maliens", s’est défendu le chef de la junte lors d’un meeting de campagne. Il a assuré que le texte était "le résultat d'un travail consensuel de toutes les sensibilités".
Au-delà de la légitimité du texte, celle du scrutin fait débat. Les électeurs pourraient être empêchés de voter dans plusieurs régions en proie à l’insécurité, notamment dans le centre et le nord où les groupes djihadistes continuent de mener des attaques sanglantes.
"Le Mali a des défis plus urgents, il faut rassembler les Maliens pour la guerre contre le terrorisme, pour la guerre contre la pauvreté", juge Sidi Touré.
Un chercheur s'exprimant sous couvert de l'anonymat - comme de nombreux interlocuteurs désormais - fait valoir que l'ancienne Constitution a bon dos. "Le problème de la constitution de 1992, c’est qu’elle n’a jamais été vraiment appliquée (...) elle ne peut pas être la cause de la crise".
La participation s’annonce faible.
"Globalement les Maliens ne votent pas. Depuis 1992, on dépasse rarement les 30 % de participation", rappelle Abdoul Sogodogo, spécialiste en sciences politiques.
Les observateurs jugent acquise la victoire du "oui".
"Les Maliens se disent que les présidents issus des régimes démocratiques n’ont pas forcément brillé. La corruption a atteint un certain niveau. Les gens veulent voir autre chose", assure Brema Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako.
Les partisans de la réforme misent sur la forte popularité prêtée au colonel Goïta et aux autorités dites de transition.
"Certains acteurs présentent ce référendum comme un soutien à la transition, ce qui fait que le débat sur le contenu est occulté", souligne Abdoul Sogodogo.