Fil d'Ariane
Le pape effectue sa première visite dans ce pays d'Afrique de l'Est majoritairement chrétien, qui a obtenu son indépendance en 2011 après des décennies de lutte avec le Soudan, à majorité musulmane.
Mais l'accession à l'indépendance du plus jeune État de la planète n'a pas apporté la paix et François arrive vendredi 3 février pour une visite de trois jours dans un pays dévasté par la violence.
Le pays a plongé en 2013 dans une sanglante guerre civile de cinq ans opposant Salva Kiir et Riek Machar. Celle ci a fait 380 000 morts et des millions de déplacés. Les armées des deux camps sont accusées de crimes de guerre. En 2019, un an après un accord de paix, le pape avait reçu les deux frères ennemis au Vatican.
Dans un geste qui avait marqué les esprits, il avait embrassé les pieds des deux dirigeants, aujourd'hui au pouvoir dans le cadre d'un gouvernement d'union nationale (avec Salva Kiir au poste de président et Riek Machar à celui de vice-président).
"Votre peuple aspire aujourd'hui à un avenir meilleur, qui ne peut se concrétiser que par la réconciliation et la paix", avait-il lancé. Mais quatre ans plus tard, la violence perdure, alimentée par les élites politiques.
"Des gens continuent à être tués, partout dans le pays", souligne Ferenc David Marko, chercheur au groupe de réflexion International Crisis Group. Avec la violence endémique actuelle, "les choses sont pires qu'elles ne l'étaient au plus fort du conflit", estime-t-il.
Au Soudan du Sud, la population et la communauté internationale espèrent que la visite du pape de 86 ans pourra redonner de l'élan au processus de paix.
François sera accompagné de Justin Welby, l'archevêque de Canterbury, chef spirituel de l'Église anglicane, et de Iain Greenshields, personnalité la plus importante de l'Église d'Ecosse.
"Je veux croire que cette visite sera un tournant", affirme le père James Oyet Latansio, secrétaire général du Conseil des églises du Soudan du Sud. La communauté internationale, qui craint que la fragile et interminable transition du pays ne s'effondre cette année, espère que François aura plus de chance de faire passer le message.
"Il est dans une configuration unique pour, je pense, s'engager avec les dirigeants du pays" pour que celui-ci "connaisse une paix durable", déclarait en janvier lors d'une conférence de presse l'envoyé spécial de l'ONU au Soudan du Sud, Nicholas Haysom.
Selon des observateurs, cette visite permettra également de mettre en lumière le travail difficile effectué par l'Eglise dans des zones sans aucun service gouvernemental et où les humanitaires sont souvent attaqués, voire tués.
Ce déplacement attirera également l'attention sur la situation dans un pays où neuf millions de personnes, soit les trois-quarts de la population, ont besoin d'aide humanitaire.
"Cette visite montrera que tout est possible. Le changement est possible et la transformation est possible", espère le père Latansio.
Les leaders religieux ont "une crédibilité et une autorité morale énormes" dans ce pays très pieux, souligne John Ashworth, missionnaire à la retraite avec plus de 40 ans d'expérience au Soudan et au Soudan du Sud.
L'Eglise a négocié la paix et nourri, protégé et guéri des civils de tous camps en l'absence totale du gouvernement ou d'aide internationale.
"La seule institution qui est restée sur le terrain avec la population a été l'Eglise", rappelle John Ashworth. Lorsque la guerre civile a éclaté en 2013, le clergé a de nouveau défendu les civils et dénoncé les crimes.
Des églises recueillant des civils ont été attaquées et des prêtres assassinés, dans un retournement "choquant" contre une sacro-sainte institution, souligne Christopher Tounsel, professeur agrégé d'histoire à l'université de Washington et spécialiste du christianisme au Soudan du Sud.
Les chefs religieux ont été exclus des pourparlers de paix, réduisant à peau de chagrin leur influence politique et leur possible rôle de médiateur pour la paix.
"L'Eglise a toujours une voix qui est respectée, mais plus autant qu'avant", estime John Ashworth.
Selon des observateurs, Salva Kiir, fervent catholique qui avait été particulièrement ému par le geste du pape au Vatican, est plus susceptible d'être le plus sensible au message du Pape.
Mais le président est aussi engagé dans de grandes manœuvres politiques - cherchant à consolider son pouvoir et écarter de potentiels rivaux alors que les rangs de Riek Machar se divisent - qui interrogent sur la portée de la visite papale.
"Je me demande si la visite du pape François pourra vraiment insuffler un véritable changement", s'interroge Christopher Tounsel, "ou si ce sera juste un voyage plus symbolique".