Le Somaliland, une "sécession réussie" mais un État non reconnu internationalement

Depuis le début du mois de mars, le calme semble revenu à Las Anod au Somaliland. Mais en un mois d’affrontements autour de cette ville, on dénombre officiellement 210 morts et surtout 100.000 réfugiés partis pout l’Éthiopie voisine. Cette nouvelle poussée de fièvre remet en lumière cette région du Somaliland, autoproclamée indépendante depuis 1991 et réputée pour son calme politique habituel. Eclairage avec Axelle Djama, doctorante en anthropologie, autrice d’une thèse consacrée aux forces de sécurité au Somaliland.
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Somaliland drapeau et habitantes AP
Le Somaliland, s'il n'est pas reconnu comme tel, s'est toutefois doté de tous les artefacts d'un Etat indépendant. Ici, une femme et un enfant devant un mur orné du drapeau du Somaliland.
© AP Photo/Brian Inganga, File
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TV5MONDE : Quel est le statut du Somaliland vis à vis de la Somalie ?

Axelle Djama, doctorante en anthropologie : 
Le Somaliland est un État qui s'est autoproclamé indépendant le 18 mai 1991. Cette année-là, il se sépare de la Somalie suite à des années de guerre civile qui ont opposé le régime de Mohamed Siad Barre (président de la Somalie de 1969 à 1991) et des groupes séparatistes du Somaliland, en particulier le Somali national Mouvement, le SMM, dont les leaders ont ensuite proclamé l'indépendance en rétablissant les anciennes frontières coloniales du Somaliland britannique et de la Somalie italienne. 

TV5MONDE : La réhabilitation de cette frontière correspond-elle à des considérations communautaires ?  

Axelle Djama : En fait, dans les régions somalies, de manière générale, c'est le clan. qui est la base de l'organisation sociale. Ce sont des familles, en quelques sortes, réparties sur l'ensemble du territoire. Quand on parle des régions somalies, il s’agit non seulement du Somaliland et de la Somalie mais plus généralement d’une partie de la Corne de l’Afrique. Les populations somalies sont aussi réparties dans plusieurs territoires d'Éthiopie, du Kenya, ou encore à Djibouti, qui est majoritairement Somalie. 

Somaliland célébrations indépendance 2016 AP
Le Somaliland a autoproclamé son indépendance le 28 mai 1991. Ici, en 2016, une procession pour célébrer les 25 ans de cette indépendance jamais officiellement reconnue.
© AP Photo/Barkhad Dahir

Le Somaliland fonctionne comme un État malgré l'absence de reconnaissance internationale. 

Axelle Djama, chercheuse.

TV5MONDE : À propos du Somaliland, l’expression “sécession réussie” revient fréquemment. Il est vrai que depuis 1991, le Somaliland est extrêmement structuré et pacifié. 

Axelle Djama : Oui, c'est un territoire qui, depuis 1991, a plus ou moins réussi à reconstruire des institutions, des administrations et puis surtout à rétablir la paix après de longues années de guerre civile. On parle de sécession réussie puisque c'est une des régions de Somalie -si on considère la Somalie comme encore unifiée au sens de l'ONU- qui est la plus stable.
On parle aussi d'état de fait puisque c'est un territoire qui a ses propres administrations. Une propre administration politique, des institutions de sécurité, une école, une monnaie, une devise nationale, un hymne, un drapeau, des douanes, un passeport, des visas... Bref, tout un tas d'artefacts étatiques. Il fonctionne comme un État malgré l'absence de reconnaissance internationale.  

Territoire semi-désertique de 175.000 km2, le Somaliland est frontalier de Djibouti et de l'Ethiopie. Hargeysa, sa capitale, compte un peu plus d'un million d'habitants. La population globale est estimée à moins de 5 millions d'habitants. Le Somaliland vit de l'élevage et du commerce. La source principale des revenus du gouvernement est le port de Berbera.
Le Somaliland dispose d'un site internet gouvernemental riche en informations.

Carte Somalie Somaliland Puntland
© TV5MONDE

TV5MONDE : Sur le plan sécuritaire, le Somaliland est également épargné par le terrorisme shebab qui ensanglante le reste de la Somalie presque quotidiennement. 

Axelle Djama : Le Somaliland a connu un attentat en 2008, puis plus aucune attaque islamiste depuis. Il doit pourtant exister des cellules de Shebabs au Somaliland, mais elles ne sont pas actives. Et puis surtout, elles ne parviennent pas à mettre en place leur projet de terrorisme. Le mouvement ne parvient pas du tout à s'implanter sur le territoire, il ne parvient pas non plus à recruter.  

Le mouvement shebab ne parvient pas du tout à s'implanter sur le territoire du Somaliland. Il ne parvient pas non plus à recruter.  

Axelle Djama, chercheuse

C’est assez difficile à expliquer mais l’on peut émettre des hypothèses. La première est cette difficulté des Shebabs à pénétrer le territoire qui serait due à des quadrillages territoriaux par la police et les forces de sécurité plutôt efficaces. Les services de renseignement aussi semblent relativement performants. 

Et puis il y a aussi une difficulté à recruter dans les communautés locales et civiles en raison d'une certaine satisfaction de la situation. Ce qui fait le terreau des Shebabs dans le sud de la Somalie, ce sont les conditions des populations qui sont désastreuses en termes de moyens, d'accès aux services publics, etc... À l'inverse, au Somaliland, les administrations délivrent tant bien que mal un certain nombre de services publics qui permettent aux populations de vivre dans des conditions plus sereines que dans le sud de la Somalie.  

Querelles territoriales

En février 2023, des affrontements ont éclaté autour de la ville de Las Anod près de l'Etat voisin du Puntland. Comme l'explique RFI, cette ville  "est une source de conflit entre le Somaliland et son voisin, le Puntland. Ayant changé plusieurs fois de mains depuis l'effondrement de l'État somalien en 1991, la ville est un carrefour commercial et stratégique très ancien, revendiqué par les deux gouvernements". Pour Axelle Djama, ce conflit est "dormant" mais il finit régulièrement par éclater à l'occasion d'éléments déclencheurs comme, cette fois,  l'assassinat d'un opposant politique à Las Anod en décembre 2022. "C'est un conflit qui s'inscrit dans la longue durée", estime Axelle Djama., ajoutant qu'il "met en lumière tous les enjeux territoriaux, identitaires et politiques de la région". La ville de Las Anod, épicentre de cette crise, est revendiquée par le Somaliland et par son voisin le Puntland qui, s'il a décrété son autonomie, défend néanmoins son attachement à une Somalie fédérale.

TV5MONDE : Si elle a autoproclamé son indépendance depuis plus de trois décennies, la région du Somaliland ne bénéficie pour l’heure d’aucune reconnaissance internationale officielle. Bénéficie-t-elle néanmoins de soutiens internationaux ? Le ministre somalilandais des Affaires étrangères a ainsi signé en 2020 un accord de reconnaissance mutuelle avec son homologue taïwanais. 

Axelle Djama : Il y a en effet des centres d'intérêts communs avec Taïwan en particulier. Mais au-delà, il y a tout un tas d'investisseurs étrangers qui mettent en place des projets de développement ou des projets économiques. Je pense au port de Berbera qui est administré par la société émiratie DP World. 

Outre les acteurs économiques, il y a aussi des acteurs politiques qui ferment les yeux de manière un peu opportuniste sur cette situation un peu limite du point de vue du droit international, considérant que c'est une zone pacifiée et stratégiquement intéressante, bien située. 

Il y a donc des représentations de l'Éthiopie et de la Grande-Bretagne au Somaliland, mais aussi de la Turquie. Des liens également diplomatiques se sont noués malgré l’absence de reconnaissance internationale. 

Somaliland port de Berbera AP
Le port de Berbera est le poumon économique du Somaliland.
© AP Photo/Brian Inganga

TV5MONDE : Le Somaliland est frontalier de Djibouti et de l’Ethiopie. Comment le voisinage perçoit-il cette vaste entité indépendantiste ?  

Axelle Djama : Comme je le disais, c’est relativement pragmatique. Une fois encore, c’est une zone stable et les acteurs internationaux n'ont pas intérêt à entrer en conflit ouvert avec le Somaliland ou même à nier cette entité, comme si elle n'existait pas. Certes, on constate des changements dans l'attitude en fonction du contexte international ou des changements d'administration dans les différents pays – je pense notamment à l'Ethiopie - mais de manière générale, les Etats frontaliers, sont pragmatiques, et essaient de garder des bonnes relations et de ne pas s'ingérer dans les disputes entre le Somaliland et le reste de la Somalie. 

C’est une zone stable et les acteurs internationaux n'ont pas intérêt à entrer en conflit ouvert avec le Somaliland.

Axelle Djama, chercheuse

Ce pragmatisme est lié notamment au commerce. Comme vous le savez, l'Éthiopie n’a pas d'accès à la mer et dépend entièrement du port de Djibouti ou d'Asmara en Érythrée, mais les relations sont compliquées. Addis Abeba tend donc à diversifier ses accès à la mer en nouant des relations avec le Somaliland et son port de Berbera en particulier. 

TV5MONDE : D’un point de vue économique, outre son positionnement stratégique en bordure du Golfe d’Aden, sur quelles ressources peut compter le Somaliland ? 

Axelle Djama : Il en a très peu. Quand on parle de sécession réussie, le Somaliland est en effet un exemple de stabilité sur le plan sécuritaire mais il ne faut pas être aveugle sur la réalité économique. C’est un Etat de fait assez pauvre. La majorité des ressources provient de la taxation et surtout des retours financiers de la diaspora et des investissements étrangers. Il y a peu de ressources pour investir dans des services publics et quand il le fait, cela repose beaucoup sur des investissements privés.