"Le Soudan du Sud est une tragédie humanitaire invisible", alerte le HCR

Depuis décembre 2013, le conflit au Soudan du Sud a fait des milliers de morts et forcé plus de quatre millions de personnes, soit un tiers de la population du plus jeune Etat du monde, à quitter leur foyer. Entretien avec Arnauld Akodjenou, coordinateur régional et conseiller spécial du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour la situation au Soudan du Sud.
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Déplacées au Soudan du Sud
©AP Images - Sam Mednick
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TV5MONDE : Près de cinq ans après le début du conflit au Soudan du Sud, quel est le bilan du HCR sur la crise humanitaire sud-soudanaise ? 

Arnauld Akodjenou : Nous avons affaire au plus jeune Etat du monde qui a moins de sept ans, et qui n'a connu la paix que pendant deux ans. Au-delà, ce fut la guerre. Le Soudan du Sud, c'est une population de 12 millions d'habitants, dont 4,5 millions qui sont aujourd'hui déplacés, soit plus d'un tiers de la population totale du pays. On dénombre ainsi 2,5 millions de réfugiés dans des pays limitrophes du Soudan du Sud (Ouganda, Soudan, Ethiopie, République démocratique du Congo, Kenya et République centrafricaine) et 2 millions de déplacés internes, dont quelques 210.000 personnes enfermées dans des camps à l'intérieur du Soudan du Sud.

 
Les PoC dans les divers Etats du Soudan du Sud (chiffres du mois de mai 2018) :

Unité - Bentiu                                    116.725
Equatoria Central - PoC I & III           39.405
Nil supérieur - Malakal                       24.417
Bahr el Ghazal - Wau                          20.780
Jonglei - Bor                                          2.296
La situation des déplacés dans les sites de protection des civils (PoC) est la plus dramatique car ils ne peuvent pas sortir des camps, ils ne peuvent même pas se déplacer. A Benthiu, par exemple, il y a entre 120.000 et 130.000 personnes aujourd'hui qui vivent dans le camp géré par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Les autres PoC sont dans la plupart des régions du pays, dans les Etats de Jonglei, Equatoria-Central, Unité, Bahr Le Ghazal, Nil supérieur. Ici et là, les populations fuient les combats, les violations des droits humains et les poches de famine, pour se réfugier dans des camps.


Qui sont les Sud-Soudanais les plus touchés par les violences ? 

Le Soudan du Sud est une tragédie humaine qui se distingue par le profil des victimes. Il faut savoir que parmi les réfugiés, 85% sont des femmes et des enfants, 63% sont des enfants de moins de 18 ans.
Ce n'est pas une tragédie humanitaire habituelle : en réalité, on a affaire à une crise de l'enfant réfugié. Certains ne vont pas à l'école depuis deux ans, autant dire que leur avenir, et avec eux l'avenir du pays, ne s'annonce guère brillant. Il faut rappeler aussi que la plupart des populations du Soudan du Sud étaient déjà de fait réfugiées depuis déjà deux décennies, depuis les années 1980 jusqu'à l'indépendance en 2011 : cela fait donc deux générations de réfugiés. C'est insupportable.



Comment se répartissent les réfugiés dans les pays voisins du Soudan du Sud ? 

Dans les six pays limitrophes, les réfugiés sont regroupés dans les endroits les plus reculés, les plus éloignés des capitales ou des agglomérations urbaines,  donc dans des zones où l'eau, l'électricité et les routes sont inexistantes ou presque inexistantes...  
 
Répartition des réfugiés sud-soudanais dans les pays voisins :

1,1 million  en Ouganda
800.000     au Soudan 
400.000     en Ethiopie
​120.000     au Kenya
100.000     en RDC
    3.000     en Centrafrique
Ces réfugiés souffrent de problèmes d'abris, d'eau et d'assainissement. Ils sont en manque d'équipements, d'accès aux soins élémentaires et d'éducation. Et ne parlons même pas d'activités génératrices de revenus.​.. Il faut tout de même saluer la générosité de ces six pays qui continuent de maintenir leurs frontières ouvertes pour les recevoir.
Le nombre de réfugiés devrait dépasser les 3 millions d'ici à la fin de l'année, faisant de la situation au Soudan du Sud la plus grande crise de réfugiés en Afrique depuis le génocide rwandais.
 

Quels sont aujourd'hui les moyens et les ressources dont disposent les agences onusiennes pour gérer cette crise ? 

Le HCR dispose de 2 000 personnes pour gérer les réfugiés dans les six pays limitrophes du Soudan du Sud. Le Haut commissariat a lancé un appel de fonds le 1er février dernier à Nairobi, pour une somme totale de 1,5 milliard de dollars. A ce jour, seulement, 8% de ce montant a été donné. Un autre appel de 1,7 milliard de dollars a été lancé au même moment pour les personnes dans le besoin à l’intérieur du pays. Seulement 12% des promesses de dons ont été tenues pour le moment.
Le Soudan du Sud est une tragédie humanitaire invisible. C'est la plus grande tragédie humaine en Afrique, la 2ème au monde après la Syrie, et pourtant les hommes politiques ne s'y intéressent pas. Les journaux, la presse, en parlent très peu. Il y a trop de demandes de dons sur un plan mondial et pas assez de visibilité sur la situation au Soudan du Sud.



Dans ces conditions, quelles sont les solutions de sortie de crise, selon vous, alors qu'on s'achemine vers une cinquième année de conflit ? 

La solution ne sera pas humanitaire. Elle sera politique. Mais les efforts de médiation de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) n'aboutissent pas pour le moment. On est rentré dans une phase de sanctions. L'Union africaine a récemment proféré des menaces de sanctions, reprises par le Conseil de sécurité de l'ONU qui a donné un mois aux parties pour s'asseoir à la table des négociations... Seule une solution politique peut ramener la paix au Soudan du Sud.

 
Les derniers efforts de médiation du confit au Soudan du Sud

Le Soudan du Sud a obtenu son indépendance du Soudan en 2011. Le pays s'est enfoncé dans une guerre civile en décembre 2013 quand le président Salva Kiir a accusé son ancien vice-président, Riek Machar, de fomenter un coup d'Etat. Après plus de quatre années de conflits, de nombreux médiations et accords de cessez-le-feu sans effet, début juin 2018, le Conseil de sécurité de l'ONU a menacé les factions belligérantes au Soudan du Sud de sanctions si elles ne parvenaient pas à mettre fin à la guerre civile qui ravage le pays.

La résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, présentée par les Etats-Unis, demande au Secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres de l'informer d'ici le 30 juin si le cessez-le-feu entré en vigueur en décembre tient toujours et si les deux parties "sont parvenues à un accord politique viable". Dans le cas contraire, le Conseil "examinerait" dans les cinq jours suivant la présentation du rapport l'instauration de sanctions contre le ministre sud-soudanais de la Défense, Kuol Manyang Juuk, et cinq autres responsables, ainsi qu'un possible embargo sur les armes.