La polémique ne retombe pas. Dimanche 20 mai, dans plusieurs grandes villes marocaines, des manifestations ont eu lieu contre le projet de ligne à grande vitesse.
Retrouvez nos explications sur ce projet pharaonique et éminemment politique.
La “Datavizualisation“ de STOP-TGV : tout ce qui pourrait être fait avec 25 milliards de dirahm et qui manque au Maroc
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Le débat avec le ministre des transports Abdelaziz Rebbah et le collectif Stop TGV ! , le 19 avril dernier, aura fait long feu : le ministre, piqué au vif par le titre d'un article de la revue de presse présente à l'entrée de la salle, qualifiant le TGV de "vol", a tourné les talons et refusé de participer. La polémique autour du premier train à grande vitesse du continent africain n'en finit pas d'enfler : mais que se passe-t-il donc pour qu'une ligne de TGV crée autant de tensions ?
Une maquette du futur TGV marocain.
Un projet de 2 à 3 milliards d'euros sans appel d'offre et sans concertation
Le collectif Stop TGV ! a de nombreux reproches à adresser au projet de ligne à grande vitesse devant relier à l'horizon 2015 Tanger à Casablanca (via Rabat), puis les villes touristiques du sud. Le principal est d'ordre financier puisque la facture coûtera entre 2 et 3 milliards d'euros à l'Etat marocain. Le montage financier repose sur des prêts de l'Etat français, de la Banque européenne d'investissement, et différents fonds saoudiens et koweitiens, mais jamais ce projet n'a été soumis au parlement ou discuté avec des représentants de la société civile : le TGV marocain est largement dénoncé par ses détracteurs comme un caprice du roi, doublé d'une pression française en manque de contrats pour ses grandes entreprises.
Quitte à ce que le France se mette en difficulté vis-à-vis des règles de concurrence et de subventions d'Etats en vigueur dans l'Union européenne, puisque l'entreprise allemande Siemens, intéressée par ce contrat, n'a jamais pu concourir : aucun appel d'offre n'a été effectué pour le TGV marocain. Le projet date d'octobre 2007 et semble directement lié à la politique commerciale française des contrats d'avions de combat Rafales que le président Sarkozy tentait de vendre alors, en vain. Le Figaro illustrait l'échange de bons procédés qui fut effectué après que le royaume eut préféré acheter des avions de chasse F-16 américains au lieu des Rafales français de la manière suivante : "Pour compenser l’échec des négociations commencées en avril 2006 (de l'achat de Rafales, ndlr), le Maroc devrait selon le quotidien commander une ligne TGV pour relier les villes de Casablanca et/ou Essaouira à Marrakech. Ceci impliquerait du coup les sociétés Alstom et SNCF International. Cette commande pourrait permettre un maintien de la visite de Nicolas Sarkozy au Maroc prévue après le 20 octobre." Le chantage diplomatique pourrait donc être au coeur de ce projet à 3 milliards d'euros, selon ses détracteurs, qui voient dans la phrase du maintien ou non de la visite du chef d'Etat français, une menace à peine voilée au sujet de la commande du TGV après l'achat des F-16 au concurrent américain par le royaume chérifien.
Les soutiens au projet de ligne TGV voient le Maroc en Europe
Le gouvernement marocain et ses soutiens estiment que le royaume s'ouvre la possibilité de relancer le projet d'Union pour la méditerranée avec cette ligne de TGV : modernisme, prestige, créations d'emplois, développement du tourisme et vision à long terme sont invoqués pour défendre ce chantier, qui une fois terminé, permettra aux marocains de rallier Tanger à Casablanca en 2h10 au lieu de 4h45 actuellement. Mais le collectif Stop TGV! avance des arguments massues à l'encontre de cette promotion gouvernementale : ces investissements sont plus en accord avec des pays membres du G8 qu'un pays comme le Maroc. Rapporté au PIB marocain, la ligne TGV commandée par Mohammed VI équivaudrait, en France, à un investissement de 58 milliards d'euros. Autant dire qu'aucun gouvernement ne signerait pour un chantier d'un tel montant. Les seules nations ayant sauté le pas des trains à grande vitesse sont des nations de très grande ampleur et dont le revenu par habitant est sans commune mesure avec celui du Maroc :
Le Maroc fait partie des pays les moins bien classés en indice de développement humain (130ème place sur 180 en 2009 ), et ce sont les manques dans les secteurs de la santé, de l'éducation qui le pénalisent au premier chef. C'est ce constat qui fait monter au créneau les représentants du collectif Stop TGV! au vu des possibilités qu'offriraient les 2 ou 3 milliards d'euros engouffrés dans la ligne TGV s'ils étaient utilisés à la construction d'écoles, d'hôpitaux, à l'amélioration des voiries, ou à créer des emplois. C'est ainsi que le collectif donne des repères chiffrés pour mieux comprendre ce que cette somme pourrait offrir à la population :
La rentabilité de ce TGV n'a pas été oubliée par le le collectif : celle-ci a été calculée par l'ONCF et se situe autour de deux fois et demie au dessus de la française : un exploit, qui plus est quand on sait que l'Office national des chemins de fer marocain refuse pour l'heure de donner le moindre chiffre sur le prix moyen du futur billet de TGV. Le collectif estime que cette ligne, réservée à une petite élite locale et étrangère ne bénéficiera pas à la majorité des marocains qui n'aura pas les moyens de se payer un billet.
Une obligation constitutionnelle
La nouvelle constitution, proposée par le roi Mohammed VI sous la pression du mouvement du 20 février et acceptée par référendum, stipule des nouvelles dispositions très importantes dont le collectif Stop TGV! s'est emparé. L'aspect principal de cette nouvelle constitution est celui "du droit donné aux citoyens de pouvoir s’opposer à des décisions publiques ou à des lois par le biais de pétitions." De plus le travail associatif et le rôle des ONG qui étaient totalement absents de la dernière Constitution sont aujourd'hui reconnus et renforcés. Le ministre des transports s'est donc déplacé en relation avec ces nouvelles dispositions, mais son refus de débattre renvoie à des questions sur l'utilité d'une nouvelle Constitution avec un pouvoir peu regardant sur ses nouvelles obligations.