Législatives algériennes : vieilles rengaines et nouveaux tubes

Lui qui fut si disert se fit silencieux, taiseux, absent de nos écrans comme si la charge lui pesait, enfin. Aujourd’hui, il parle; de nouveau présent il tente de retrouver la rue des Algériens pour les convaincre d’emprunter le chemin des urnes, ouvert, mais dont il craint la désertion ce 10 mai.
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Législatives algériennes : vieilles rengaines et nouveaux tubes
La campagne tournée en dérision sur internet : des jeunes du village d'El Tarf posent devant des panneaux vides.
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“S’il vous plaît, dégagez, prenez votre programme et partez. Khlass, c’est fini“

Comparant ce scrutin au 1er novembre 54, le président Abdelaziz Bouteflika, après treize ans de règne, trois mandats dont le dernier prendra fin en 2014, exhorte les électeurs à aller voter. Multipliant les déplacements, depuis Sétif, alors qu’il participe à la cérémonie commémorant les « massacres de 1945 », il dit : « Djyli tab Djnanou », une image en arabe populaire que l’on peut traduire par « ma génération est cuite.» Comme un aveu tardif de la nécessité de passer le relais. Mais le drame du pouvoir algérien, c’est que dans la course, personne ne veut prendre le bâton, personne ne veut de cet héritage fait de sang, de cadavres, d’injustice, de déni et de mensonges. Les Algériens veulent ouvrir le livre des comptes. « Qu’avons-nous appris de vous ? Le vol et la prison » accuse sur Youtube, Tarek Mameri. Agé de 23 ans, cet activiste au chômage est en passe de devenir le meilleur porte-parole de sa génération. Fils de Belcourt,  il est devenu célèbre en postant régulièrement sur internet ses vidéos/ réquisitoires contre le pouvoir. Arrêté par des policiers en civil, il a été relâché et inculpé pour « destruction de biens d’autrui et de documents officiels » et pour « incitation à l’attroupement et outrage à corps constitués ». Soit quatre chefs d’inculpation pour s’être filmé en train de détruire des panneaux d’affichage et de déchirer sa carte d’électeur. 

Bouteflika : “notre génération a les ailes brûlées“

Législatives algériennes : vieilles rengaines et nouveaux tubes
Tarik Mameri
Dans l’une de ses vidéos qui a fait du bruit sur internet, assis sur un trottoir dans le quartier de Belcourt, paisible, il dit : « J’envoie ce message à tous les dirigeants algériens, au Président, aux ministres et plus particulièrement à Abdelaziz Belkhadem, représentant officiel du président, lui qui tient l’état, le FLN et je ne sais plus quoi. C’est nous dont vous dites que nous sommes des casseurs, que quand nous perdons nous cassons et que quand nous gagnons nous cassons. Soit. Mais est-ce que tu t’es jamais demandé pourquoi cette jeunesse fait ça ? (…) Quand tu as pris le pouvoir en 97 et que tu es venu appliquer le programme de ton président j’avais dix ans. On était une page blanche, on ne connaissait rien de la vie. » Témoignant de ce que fut cette enfance, il rappelle : « nous allions à l’école en pleurant. », terrifiés par les spots appelant les algériens à la vigilance contre le terrorisme, qui passaient en boucle à la télévision nationale entre deux mangas, un match de foot et un discours du Président.    Discours du Président que, inséré entre deux matchs de foot, il a fini par écouter. Voici quelques années plus tard son bilan du « programme du président » : « Vous nous avez dit que vous alliez  nous bâtir un million de logements, 13 ans plus tard on s’est rendu compte que vous avez bâti un million de cellules de prison. Vous nous avez dit que vous allier créer de l’emploi, nous donner du travail et vous avez fermé les entreprises et les usines. Vous nous avez dit on va vous instruire, vous éduquer et depuis 2003 les profs sont en grève, cela fait 9 ans qu’ils sont en grève, c’est interminable. Vous nous avez dit désormais même quand on vous donnera un visa, vous ne quitterez pas le pays, et nous quittons ce pays avec des chambres à air en guise de barque. Vous nous avez dis que nous allions relever la tête, fiers d’être algériens et notre seul souhait c’est de ne pas être mangé par les vers de ce bled que nous voulons fuir. Vous nous avez rendus fous(…) On en a marre de vous et de votre programme du président et vous nous dites on va continuer. Khlass, c’est fini. Cette fois je vous le dis : je ne fuirai pas, je ne détruirai pas, par la voie pacifique, comme font les européens (…) ils sortent des mouchoirs, voilà moi aussi j’ai un mouchoir, [il le sort de sa poche et il l’agite, NDR], vous nous dites d’être pacifique, voilà c’est mon mouchoir pacifique, s’il vous plaît, dégagez, prenez votre programme et partez. Khlass, c’est fini. Il n’y a rien à continuer avec vous ». « Notre génération a les ailes brûlées » reconnaît le Président sans avenir…Pendant que son chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, également patron du RND, membre de la coalition présidentielle, nous invente un futur. N’ignorant rien de ce rejet massif et populaire qui fait trembler l’Algérie d’en haut, il a trouvé la parade et appelle les Algériens à voter… «Utile.» Mais utile contre qui ? Brandissant la menace de l’ingérence étrangère, de l’Otan, fort de l’aventure Libyenne, il propose en guise d’avenir : « c’est nous ou le chaos ». En campagne à travers le pays, il avertit : « « Soit on brandit le bulletin de participation, soit ils brandiront le principe d’ingérence dans les affaires internes au nom de la démocratie ».

Insurrection froide

Législatives algériennes : vieilles rengaines et nouveaux tubes
Montage des candidats de “l'alliance verte“ (islamiste) au pays des télétubbies, titré “carnaval au village“
On l’aura compris, les soulèvements populaires qui ont bouleversé le monde arabe, chassé Ben Ali, l’ami et le modèle, Moubarak pourtant l’ami des américains et surtout Kadhafi, le voisin qui fut craint et puissant  avant d’être lynché dans l’indifférence générale, plane sur ces élections.   Ce n’est pas un « printemps arabe », tente de convaincre  le premier ministre c’est « un déluge arabe ». «  Le peuple algérien doit être vigilant. Après avoir détruit l’Irak, divisé le Soudan, cassé la  Libye, embarqué l’Égypte dans l’anarchie, vient maintenant le tour du Mali ».  Ou encore : « Où était l’Occident lorsque les Algériens étaient assassinés et égorgés par les groupes terroriste à Bentalha et ailleurs ? ». Tantôt menaçant, tantôt cajolant, le régime algérien est mobilisé comme un seul homme pour amener les algériens aux urnes. « Votez blanc, mais votez », « C’est un devoir quasi religieux », entonne le ministre des Affaires religieuses, « Il faudrait interdire l’abstention » surenchérit Farouk Ksentini, président de ... l’observatoire national des droits de l’homme, pendant que la ministre de la Culture, Khalida Toumi, distribue généreusement l’argent public pour séduire les foules à coups de contrats aux artistes embedded. Ce ne sont plus des élections législatives qu’organise son gouvernement, mais un référendum populaire contre « l’ingérence étrangère. », « l’Occident ».  L’affiche officielle ne dit-elle pas : «  Le printemps c’est l’Algérie ». Elle montre un arbre mais un seul planté dans une urne transparente posé sur un champ en fleurs. Quel aveu ! En clair : avec ces élections ne se profilent aucun enjeu national.   Jamais le régime algérien n’avait autant rendu public sa dépendance aux puissances étrangères, la mise sous tutelle de la souveraineté nationale. Comment dès lors croire à la moindre souveraineté populaire ?  Les Algériens savent que ce qui leur est demandé en participant à ces élections sans enjeu pour la majorité est de soutenir le contrat à durée indéterminé auquel le régime postule, non pas auprès  de son peuple mais auprès des puissances étrangères qui font et défont les autocrates. Un régime qui, bien que mis sous haute surveillance, a gardé jusqu’à présent le soutien des grandes puissances à l’œuvre dans la région, Etats-Unis, France qui, unanimes, ont applaudi aux dernières « réformes »…  en attendant de voir si les Algériens les salueront avec le même enthousiasme. Enthousiasme qu’elles mesureront au taux de participation. Enfin sollicité, pris entre ces deux feux, tout porte à croire que le peuple d’Algérie, comme Tarik Mameri, choisira l’insurrection froide. Agitant « un mouchoir pacifique » depuis leurs trottoirs défoncés pour planter les panneaux électoraux, agitant  un mouchoir blanc pour dire « dégage », comme dans les stades on donne son congé à l’entraîneur incapable de mener une équipe à la victoire.

L'Assemblée sortante

L'Assemblée sortante
L'Assemblée Populaire Nationale sortante, élue en 2007 avec 35 % de participation.
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