Six millions et demi d'électeurs, 1 086 candidats répartis en 480 listes pour 147 sièges de députés : trois mois après la présidentielle, les Maliens sont à nouveau appelés aux urnes ce dimanche 24 novembre pour le premier tour des élections législatives au terme d'une campagne sans incident majeur. A défaut de susciter les passions ou de comporter de grands enjeux, le scrutin parachève le retour à la légalité constitutionnelle. Il symbolise la convalescence encore fragile mais aussi le chemin parcouru d'un pays il y a quelques mois encore, au bord de l'effondrement.
Le chemin et ses pierres
Rien à signaler, c'est peut être le message. Le contraste est saisissant entre le calme presque indifférent qui entoure les législatives maliennes et la séquence dramatique qui les précède à peine, un peu vite oubliée : coup d’État militaire suivi de la débandade d'une armée au pouvoir qui, sous le prétexte de sauver le pays le conduit au bord du gouffre. Conquête éclair du Nord - deux tiers du pays, en fait - par une improbable coalition d'indépendantistes touaregs à demi-naïfs, de trafiquants de drogue opportunistes et d'islamistes en quête de nouvelles bases autant que de guerre sainte. Intervention in extremis à la demande officielle d'un pouvoir désespéré de l'ancienne puissance coloniale évidemment animée de ses propres motifs. Reconquête du Nord en quelques semaines. Restauration d'un semblant d’État légal couronnée par l'organisation d'un scrutin qualifié alors par beaucoup d' « impossible ». Élection finalement peu contestée d'un Président qui, s'il jouit des faveurs voyantes de ses alliés, ne peut en être qualifié de simple marionnette et paraît, au passage, avoir dompté les infatigables putschistes. Tout cela en dix-huit mois, moins de neuf depuis l'intervention française.
Ombres
On objectera – et les intrépides Cassandre ne s'en privent pas – bien des ombres au tableau. Le territoire n'est pas entièrement libéré du point de vue malien. Kidal, hier encore bourgade du Sahara ignorée de tous, est devenue à la fois symbole d'une souveraineté incomplète et un abcès dangereux comme l'a rappelé l'assassinat – fut-il inspiré par un mobile crapuleux - des journalistes de RFI. Les groupes armés n'ont pas été éradiqués. Une part des jihadistes s'est repliée à l'abri de telle ou telle frontière ; d'autres restent tapis dans le désert, voire dans des villages de la boucle du Niger, attendant l'occasion de se reformer. L'armée malienne demeurant loin du stade opérationnel, la force africaine (MISMA) étant à peu près mort-née et la MINUSMA qui lui succède sous label onusien encore balbutiante, les troupes françaises partiront comme on s'en doutait moins vite que souhaité, sauf à risquer de voir perdre le terrain repris. Leur présence un moment triomphale devient moins populaire, notamment à Bamako où l'on reproche à Paris (depuis le premier jour mais de façon aujourd'hui plus audible) ses complaisances avec les « bandits du Nord », comprendre les Touaregs du MNLA toujours ennemis malgré les accords signés cet été à Ouagadougou. Pour réels qu'ils soient, la plupart de ces grincements étaient, si l'on peut dire, écrits dès le premier jour de la contre-offensive et ne suffisent pas à qualifier d'échec le processus en cours. Aucun militaire n'a sérieusement annoncé de l'opération Serval qu'elle réglerait en quelques mois un conflit politique mais aussi une guerre asymétrique, par nature plus complexe qu'une prise de contrôle de villes ou de territoire, ni que ses trois mille hommes – voire aujourd'hui la MINUSMA - sécuriseraient de façon pérenne chaque parcelle d'un pays grand comme trois fois la France. Souligner régulièrement qu'il subsiste ou que reviennent au nord du Mali des djihadistes s'appuyant ponctuellement sur des réseaux sympathisants relève un peu de la platitude. Que les maîtres du Nord d'hier aient perpétrés en dix mois un certain nombre de coups d'éclats bruyants ou sanglants (une dizaine de morts civils et militaires depuis le mois de septembre), des suicides un peu ridicules et même l'assassinat de nos confrères ne suffit pas à en faire des vainqueurs (fût-ce selon leurs critères) ni à valider à chaque réapparition le fameux « enlisement » français ou échec international tant annoncé.
Convalescence
Donné pour presque mort il y a moins d'un an, le Mali a depuis plutôt démenti les pronostics et survit aux événements avec un aplomb qui laisse rêveur. Qu'il ait été bien aidé en cela par des armées étrangères n'y change rien : mobiliser des alliés agissants n'est pas à la portée de tous, comme d'autres pays d'Afrique en font l'expérience. Sa position géographiquement et politiquement stratégique a certes pesé mais c'est, en somme, un actif : le monde ne peut ignorer le Mali ou se désintéresser de son sort. Priorité de sa convalescence, la reconstruction de l’État demeure certes bien loin d'être aboutie mais enfin, le Président Ibrahim Boubacar Keita exerce bel et bien le pouvoir sur l'essentiel du territoire utile. Un pouvoir faible si l'on considère la modestie de ses moyens, une situation militaire dans le nord qui lui échappe largement et la présence étrangère déterminante, mais légale et légitime au vu de ses 75 % de voix - reconnues - de l'élection présidentielle, et délivré enfin de l'ombre embusquée du Général Sanogo, cette fois enfin poussé hors du jeu (voir ci-contre). Quelle que soit l'issue du scrutin, le parlement sorti des urnes le 24 novembre ou au second tour ne changera pas grand chose à cette architecture. Avec ou sans majorité, IBK gouvernera. Si elles se tiennent sans heurts avec une participation raisonnable, les élections seront à la fois un échec et un succès. Échec, car le millier de candidats qui s'y présente sur 480 listes – pour l'essentiel une génération politicienne discréditée - n'annonce guère la régénérescence tant souhaitée de la classe politique malienne. Succès, car symboliquement le scrutin législatif parachève le remise en place des principales institutions constitutionnelles du pays. Évitant la guerre civile espérée par les djihadistes, la société malienne avait dans l'adversité résisté à l'éclatement. Formellement au moins, la république, cette fois, est de retour.
Le scrutin
6,5 millions d'électeurs, 147 sièges de députés, deux tours, 1086 candidats répartis en 480 listes. Les partis politiques ont la plupart du temps choisi de nouer des alliances au niveau local. Parmi les principales formations, le rassemblement pour le Mali (RPM) cherche à donner une majorité au président Ibrahim Boubacar Keita; l'URD joue une seconde manche après avoir perdu la présidentielle au second tour; l'ADEMA qui détient la majorité à l'assemblée nationale sortante s'efforce de la conserver. Ce parti, l'un des plus anciens et des mieux implantés, s'était déchiré au moment de la présidentielle, une partie de ses dirigeants ayant choisi de soutenir IBK, une autre Soumaïla Cissé. Le RPM pourrait être obligé de devoir s'allier avec d'autres, en particulier avec l'ADEMA. Le scrutin de dimanche sera surveillé par des centaines d'observateurs nationaux et internationaux, dont ceux de l'Union européenne. Un second tour est prévu le 15 décembre si nécessaire.
Sanogo : la chute du putschiste
Trois jours après le second tour de l'élection présidentielle le capitaine Amadou Sanogo était promu général. On pouvait alors redouter que l'auteur du putsch de 2012 qui avait fait tomber le Président Amadou Toumani Touré et précipité le Mali dans le chaos ne reste au centre du jeu politique. Trois mois plus tard, une nouvelle mutinerie dans son bastion du camp militaire de Kati, sans que son rôle soit très clair, fut celle de trop. Le nouveau président Keita déclarait dans un discours à la Nation que "Kati n'allait plus faire peur à Bamako", exigeant de l'armée qu'elle agisse en ce sens... ce qui, cette fois, fut fait. Désarmé, le "général" Sanogo est chassé de Kati. Il reste libre, mais plusieurs des siens sont arrêtés. Convoqué cette semaine par la justice pour être entendu sur plusieurs meurtres et diverses violences perpétrées sous son autorité, il a refusé de se présenter au juge d'instruction, arguant de sa qualité d'ex-chef d’État. Sa capacité de nuisance semble en tout cas très atteinte.
A Kidal et dans le Nord
L'incertitude demeure quant à la tenue du scrutin à Kidal, berceau des Touaregs et de leur rébellion du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), où règne la confusion malgré la présence des forces françaises, maliennes et de la Minusma et où deux journalistes français de RFI ont été tués le 2 novembre. Quatre sièges sont à pourvoir dans sa région (30.000 électeurs inscrits sur 6,5 millions dans tout le Mali), mais aucun candidat n'y a vraiment mené campagne, encore moins les leaders des grands partis politiques qui ont évité de s'y rendre depuis Bamako. Jeudi, la rébellion touareg du MNLA a évacué deux bâtiments publics de la ville après plusieurs mois d'occupation, décision contestée par certains de ses partisans qui ont saccagé des édifices. L'ONU est intervenue; le calme est revenu après des discussions avec des hommes du MNLA. De son côté, l'armée française poursuit sa traque des djihadistes. Si elle n'a pu à ce jour s'emparer des assassins (identifiés) des deux journalistes de RFI, elle a tué la semaine dernière le numéro deux du groupe dirigé par l'Algérien Mokhtar Belmokhtar (organisateur en janvier de l'attaque sanglante du site gazier d'In Amenas, dans le sud de l'Algérie) lors d'une opération dans la région de Tessalit dans laquelle plusieurs autres membres d'AQMI ont été "neutralisés".