L’Égypte va-t-elle intervenir en Libye au nom de sa lutte contre les Frères musulmans ?

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Des soldats du gouvernement de Tripoli combattent contre des milices islamistes à Syrte en avril 2016.
AP Photo/Manu Brabo
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L’Égypte va-t-elle intervenir militairement en Libye ? Les députés égyptiens ont approuvé ce lundi 20 juillet une possible intervention armée en Libye si les forces du gouvernement de Tripoli, soutenues par la Turquie, continuent leur avancée vers l'est du pays. Une nouvelle escalade dans un conflit où une dizaine de pays sont déjà impliqués ? Près de dix ans après la chute de Kadhafi, aucune solution politique n'est en vue.

Pourquoi l’Egypte se dit-elle prête à intervenir militairement en Libye ?


La Libye, qui dispose des réserves de pétrole les plus abondantes d'Afrique, est déchirée par une lutte d'influence entre deux pouvoirs rivaux : le Gouvernement d'union nationale (GNA), reconnu par l'ONU et basé à Tripoli, et le maréchal Khalifa Haftar, qui règne sur l'Est et une partie du Sud. Et l'heure est à la reprise violente des combats entre les deux parties. Les troupes du maréchal Haftar ont été vaincues dans la banlieue de Tripoli. Le GNA entend reprendre définitivement l'avantage en lançant une grande offensive. Le GNA a indiqué que la bataille des villes de Syrte et d’Al Djofra est imminente, ajoutant que le but est le contrôle de tout le territoire libyen.

Cette annonce inquiète le principal voisin de la Libye, l'Egypte. Les députés égyptiens ont approuvé ce lundi 20 juillet une possible intervention armée en Libye si les forces du gouvernement de Tripoli, soutenues par la Turquie, continuent leur avancée vers l'est du pays, a indiqué le Parlement. La Chambre a approuvé à l'unanimité l'envoi "d'éléments de l'armée égyptienne dans des missions de combat hors des frontières de l'Etat égyptien, pour défendre la sécurité nationale égyptienne", selon un communiqué du Parlement. Cette annonce n'est pas surprenante selon Luc Debieuvre de l'IRIS, spécialiste de la Libye. "L’Egypte est prête à intervenir car le régime du maréchal Sissi a réellement peur que la Turquie mette la main sur le pays", estime Luc Debieuvre.

"La Turquie, au mépris des réactions de la Communauté internationale, déverse des tonnes d’armes au profit du GNA, basé à Tripoli. Un navire militaire  français dans le cadre d’une mission de l’OTAN a ainsi été visé par une manœuvre de la marine turque alors qu’il cherchait à contrôler la cargaison d’un cargo soupçonné de détenir une cargaison d’armes", insiste le chercheur. "La Turquie est réellement rentrée dans une logique d’expansion en Méditerranée orientale. Elle veut contrôler le gaz et le pétrole de cette région", estime le chercheur. De son coté, souligne toujours Luc Debieuvre, "le régime du Maréchal Sissi a en horreur les Frères musulmans. Il a renversé d’ailleurs le président egypotien Mohamed Morsi, issu de cette mouvance." Le GNA de Tripoli est aux mains des Frères Musulmans. La Turquie soutient les Frères musulmans et donc il est impératif pour l’Egypte de soutenir le maréchal Haftar. "L’Egypte intervient également parce que le maréchal Haftar est actuellement en difficulté militaire après son échec militaire devant Tripoli. Cette position de faiblesse depuis un mois inquiète Le Caire", insiste Luc Debieuvre.

Qui soutient qui ?  Le conflit libyen en proie aux ingérences étrangères.

Il existe  "une ligne de fracture idéologique, celle de l’appartenance  ou celle de la lutte contres les Frère musulmans", selon Luc Debieuvre. Et Cette fracture nourrit l’ingérence des acteurs régionaux dans le conflit qui oppose le gouvernement de  Tripoli et celui de Tobrouk du Marechal Haftar. "Le GNA tenu par la mouvance des Frères musulmans est soutenu par la Turquie mais aussi par le Qatar dont le chef actuel des Frères musulmans se trouve à Doha en exil après avoir fui l’Egypte. L’Egypte qui s’oppose aux Frères musulmans et aux visées turques en Libye est, elle, soutenue par les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Le conflit libyen s‘inscrit dans ces oppositions entre acteurs régionaux", décrit ce spécialiste de la Libye contemporaine.  La communauté internationale, par  l’intermédiaire de l’ONU reconnait le gouvernement de Tripoli. Mais les puissances que l’on lie à la notion de communauté internationale n’ont pas les mêmes intérêts.
 
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La Turquie et le Qatar soutiennent le gouvernement de Tripoli de Fayze El-Saraj. Le régime du maréchal Khalifa Haftar a pour alliés la Russie, l'Arabie saoudite, la France et l'Egypte.
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"L'Italie, par exemple soutient le GNA car l’Italie a des intérêts pétroliers. La France qui a un temps soutenu le maréchal Haftar aujourd’hui fait profil bas. Elle a avec le Royaume-Uni une part de responsabilité dans le chaos actuel qui règne en Libye, suite à son intervention en 2011. Elle vend également beaucoup d’armes au Qatar, soutien du GNA. La Russie, qui déteste les Frères musulmans soutient elle  Khalifa Haftar", indique Luc Debieuvre. Une chose est marquante, celle de la fin du jeu classique d’alliances, selon le chercheur. "On le voit très bien avec les Etats-Unis qui ont besoin de leur allié saoudien pour tout ce qui concerne le pétrole et qui en même temps cherchent à maintenir la Turquie dans le giron de l’OTAN. Washington essaie de ménager ses alliés."

Vers une intensification du conflit ?

Les troupes du maréchal Haftar ont lançé une offensive contre le gouvernement de Tripoli en décembre 2019. Les forces et les milices de Fayez El Sarraj ont repoussé les offensives du maréchal Haftar. Plus de 2000 personnes ont trouvé la mort. Près de 280 000 personnes ont fui pour échapper aux combat. Et l'heure est  à la contre offensive.

"La Turquie veut mettre fin au régime de Haftar via le gouvernement de Tripoli et faire main basse sur les hydrocarbures du pays mais les Emirats arabes unis et l'Egypte ne l'entendent pas comme cela. Le risque d'escalade est réel. Les armes, les troupes étrangères et les mercenaires affluent dans le pays", décrit Luc Debieuvre.  Des forces soudanaises ont arrêté quelque 160 personnes qui s'apprêtaient à traverser la frontière libyenne pour combattre comme "mercenaires" dans le pays en guerre. C'est ce qu'a indiqué dimanche un groupe paramilitaire lié au gouvernement soudanais. Le 28 juin, les forces de sécurité soudanaises avaient déjà arrêté au Darfour 122 "mercenaires", dont huit enfants soudanais, se rendant en Libye pour combattre comme "mercenaires".