La multinationale Bolloré est épinglée par des ONG pour ses parts dans la Socfin, une entreprise domiciliée au Luxembourg, accusée d'"accaparer des terres" et de polluer l'environnement dans plusieurs pays d'Afrique.
Les actionnaires du groupe Bolloré arrivés ce jeudi 1er juin 2017 devant le siège de la multinationale à Puteaux pour l'Assemblée générale annuelle de l'entreprise ont été accueillis par des manifestants, des slogans et... des poissons morts. Un rassemblement destiné à les alerter sur les mauvaises pratiques présumées de l'une des sociétés dont Bolloré est actionnaire : la Socfin, la Société financière des caoutchoucs.
A l'origine de cette action coup de poing, une coalition d’organisations françaises et internationales (Attac, ReAct, Sortir du colonialisme, GRAIN, Confédération Paysanne, ActionAid France, Survie, Unef, etc.) et des associations de ressortissants africains.
Sur les pancartes des manifestants, on pouvait lire tour à tour "Bolloré : entreprise irresponsable", "Plantations Socfin/Bolloré = poissons morts, eaux polluées!", "La Socfin piétine les droits des communautés", ou encore "Sans dialogue, pas de paix". Parallèlement, plusieurs militants, actionnaires du groupe Bolloré, étaient présents à l’intérieur de l’AG pour demander au PDG du groupe, Vincent Bolloré, de s’expliquer...
Le groupe Bolloré est actionnaire à 38,8% de la Socfin, une société basée au Luxembourg et spécialisée dans les plantations de palmiers à huile et d’hévéas, autrement dit du caoutchouc. La Socfin gère environ 189.000 hectares de plantations, à travers le monde.
Or cela fait plusieurs années que la société est accusée de pratiques douteuses par des communautés locales d'Asie et d'Afrique (Cameroun, Côte d'Ivoire, Sierra Leone, Liberia entre autres). La liste dressée par les riverains est longue et varie de pays en pays, mais les communautés dénoncent notamment la pollution des eaux et des rivières due à l'agriculture industrielle et à l'emploi de pesticides, l'absence de transparence sur la cartographie des terres de la Socfin, et des achats controversés de terres agricoles qu'elles qualifient d'"accaparement des terres", le tout, selon elles, sans contrepartie ou presque.
Des accusations que la Socfin dément formellement. "Le Groupe Socfin n’'accapare' pas les terres des villageois ; on nous la propose ou on la demande quand des missions exploratoires ont démontré la faisabilité économique, environnementale et sociale", précise l'entreprise sur son site internet. "Le Groupe Socfin ne loue ni n’achète les terres aux villageois. Toutes les transactions foncières se font avec l’Etat qui possède les terres de manière légale. L’occupation des terres se fait généralement sur base de baux emphytéotiques de 25 ou de 99 ans selon les législations locales."
La multinationale assure par ailleurs qu'elle indemnise les communautés, soit en payant pour la perte de l’usage des terres ou la perte de leurs plantations existantes, soit en réinstallant les villageois sur une autre parcelle de terre à l’intérieur de la concession aux frais de l'entreprise, soit en les laissant rester sur leurs terres et y disposer d’un espace vital pour continuer des cultures traditionnelles et vivrières.
Des déclarations de bonnes intentions selon les associations des riverains des pays concernés qui se sont regroupées en 2013 au sein de l'"Alliance internationale des riverains des plantations Socfin/Bolloré" avec l’appui de l’ONG française ReAct basée à Grenoble. Aujourd'hui, selon Bastien Roland, chargé de campagne chez ReAct, cette alliance représente "plusieurs milliers de paysans" du Cameroun à la Sierra Leone, en passant par la Côte d’Ivoire et le Liberia, tous en lutte contre les pratiques présumées de la société Socfin.
Selon ces riverains, les plantations de la Socfin s'étendent de manière exponentielle. "Les surfaces plantées des sociétés africaines (RDCongo, Liberia, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sierra Leone, Nigeria) de la Socfin sont passées de 129.658 à 185.324 ha entre 2009 et 2015, soit une augmentation de plus de 40% qui s’est faite le plus souvent au détriment des communautés locales", affirme la coalition à l'initiative du l'action coup de poing, dans un communiqué publiée jeudi.
Pour obtenir gain de cause, l'Alliance souhaite pousser le groupe Bolloré à faire pression sur la Socfin afin d'ouvrir le dialogue sur la rétrocession des terres et leurs compensations financières et sociales, notamment en matière d'accès à la santé, à l’eau ou à l’électricité. Les militants dénoncent aussi des promesses restées lettre morte, disent-ils, sur la construction de centres médicaux et d’écoles.
"De nombreuses terres, utilisées pour l’agriculture familiale ont été cédées sous la pression de Socfin. Un grand nombre de personnes se sont retrouvées sans ressources, dans la pauvreté, sans obtenir les emplois promis et avec des compensations extrêmement faibles", expliquait déjà l'un de leurs représentants Shiaka Musa Sama à Jeune Afrique en octobre 2014. A l'époque, des négociations avaient eu lieu en présence d'une représentante du groupe Bolloré.
Une initiative peu suivi d'effet selon les ONGs, d'où ce rassemblement jeudi en France qui a fait écho à plusieurs manifestations, marches et actions réalisées cette semaine au Cameroun, au Liberia, en Côte d'Ivoire et au Luxembourg.
Durant l’AG du groupe Bolloré ce jeudi, deux questions ont pu être posées devant les actionnaires sur le dossier qui oppose les communautés riveraines à Socfin. Selon Marielle Benchehboune, militante et membre de la coalition, Vincent Bolloré se serait engagé à œuvrer pour le rétablissement du dialogue entre la Socfin et les représentants des riverains des plantations. "
Sur son site, le groupe Bolloré s'engage à respecter l'environnement et "à exercer ses métiers en portant une attention particulière à la préservation des espaces naturels et de la biodiversité". La Socfin précise également sur son site qu'elle s'engage pour le développement durable et "a toujours prêté une attention particulière à l'amélioration des conditions de travail des employés mais également aux aspects sociaux et environnementaux des plantations". L'entreprise a en outre adopté une nouvelle politique de gestion responsable en 2016.
Contacté jeudi sur ce dossier par TV5MONDE, le groupe Bolloré a déclaré ne pas souhaiter donner suite à notre demande.