Afrique

« Les cendres du Darfour », un roman de Fabienne Le Houérou

Le Darfour semble aujourd'hui oublié. Cet Etat soudanais, presque aussi grand que la France, a pourtant été le théâtre de violences inouïes de 2003 à 2009. Dans son dernier roman, Les cendres du Darfour, l'historienne Fabienne Le Houérou revient sur ce conflit. Elle y raconte l'exil d'une paysanne four dont le village a été entièrement détruit par une bande de Djanjawids.

« Il n'y a pas eu génocide au Darfour, les enjeux sont politico-financiers »

Comment êtes-vous venue à écrire l'histoire de Sonia, cette réfugiée four ?
Chargement du lecteur...
Dans ce contexte de violence extrême, les femmes, comme Sonia, sont-elles plus menacées que les hommes ? Dans les camps de réfugiés au Darfour, les femmes sont plus vulnérables que les hommes. Celles qui, comme Sonia, se retrouvent sans mari sont l'objet de tous les chantages. On est quand même dans une société où la parole et la loi sont masculines. Donc, quand il n'y pas d'homme pour dire la loi, la femme et ses enfants sont beaucoup plus vulnérables. Mais dans une contexte de persécution, les choses sont un peu différentes. Au Darfour, il y a eu une violence inouïe. Les femmes ont été martyrisées et violées. Mais les animaux aussi ont été violés. Des choses atroces ont été faites aux bêtes, ce qui a d'ailleurs beaucoup frappé l'imaginaire des ces populations rurales. Sonia m'a raconté qu'elle avait vu « un arbre de Noël », un arbre avec toutes les têtes de ses vaches et moutons accrochées aux branches. Il y avait une ivresse de tuer, une perte d'humanité immense. Et dans cette barbarie extrême, la femme n'est pas plus vulnérable que n'importe quelle chose qui vit.
Au Darfour, comme dans d'autres conflits africains, le viol a été utilisé comme arme de guerre. Comment fonctionne cette arme de la honte ?
Chargement du lecteur...
À travers son périple du Darfour à l'Egypte, Sonia acquiert de l'autonomie. Est-ce à dire que la guerre et l'exil ont pour effet de libérer les femmes ? Cela peut être l'un des effets positifs de la migration forcée. L'exil modifie en profondeur l'identité des individus en les mettant face à des expériences inédites. Tous les jours, Sonia et Fattouma, la voisine qu'elle prend son son aile, sont confrontées à la nouveauté et doivent faire des choix nouveaux. Dans ce contexte, Sonia, elle, parvient à transformer son handicap en capital et se retrouve dans de nouveaux rapports de genre. Elle se met à parler aux hommes et à parler politique, ce qui est le summum de l'indécence quand on est une femme dans la société soudanaise ; c'est comme si elle proférait des vulgarités... Par contre, Fattouma ne réussit pas cette mutation. Au contraire, elle se replie sur elle-même. Il n'y a donc pas toujours libération. Tout dépend du caractère de l'individu. Qui sont ces Djanjawids qui ont ravagé les villages du Darfour comme celui de Sonia ? Djawad veut dire cheval en arabe. Ce sont un peu des diables à cheval. Issus des tribus nomades baggara, les Djanjawids sont une milice téléguidée par le pouvoir soudanais, comme l'étaient déjà les Mirahilin quand Sadeck el-Madhi était à la tête du gouvernement à la fin des années 80. Le Soudan est un immense pays qui a connu de nombreux confits. L'armée a donc beaucoup de mal à tout contrôler. Elle ne peut pas être partout. Les Soudanais ont donc prise cette mauvaise habitude de la sous-traitance. Ils recrutent des miliciens dans des tribus arabisées pour qu'ils fassent leur sale boulot. Le lien avec l'armée soudanaise est évident. Les Djanjawids ont des camions et des armes à feu de l'armée soudanaise. Ils appliquent systématiquement la même stratégie. Ils attaquent les villages à l'aube quand tout le monde dort et frappent avec une violence inouïe. En quelques heures, tout est réduit en cendres. Ils brûlent et insultent les villageois en les traitant de noirs et d'esclaves. C'est le récit de Sonia mais aussi des autres réfugiés que j'ai interrogés. C'est toujours le même scénario. C'est là où l'on pense que les choses ont été planifiées à l'avance sinon les récits ne se ressembleraient pas autant. Pourquoi dites-vous, dans votre ouvrage, que cette guerre du Darfour est radicalement nouvelle ? En effet, on est en complète rupture avec les guerres antérieures. C'est la première guerre climatique du XXI siècle. Certains anthropologues tentent d'expliquer le conflit par des différences socio-ethniques entre arabes et noirs, nomades et sédentaires, pasteurs et cultivateurs... Mais cela fait des siècle au Soudan qu'on a des tribus très différentes avec des conflits qui prennent la forme de razzia. On fait irruption dans un village, on pille et on s'en va. Mais dans le cas de la guerre actuelle, il faut remonter à la grande sécheresse des années 80 pour comprendre les mutations socio-économiques en jeu. La sécheresse a entraîné la disparition d'une grande partie du cheptel et a donc affaibli les nomades baggara dont l'honneur repose sur le nombre de bêtes qu'ils possèdent. Les règles du jeu social ont muté et les tribus ont été déstructurées. De nouveaux marginaux sont apparus, les Djanjawids. Ils n'ont pas réussi à trouver leur place au sein de la communauté traditionnelle tant sur le plan politique qu'économique. Ils se sont sociabilisés sous de nouvelles formes en faisant la guerre.
Pourquoi, dans votre livre, refusez-vous le terme de génocide ? Vous dites qu'il est impropre. C'est horrible ce qui se passe. Ce sont des crimes contre l'humanité mais pas un génocide. Ici je me place d'un point de vue, non pas éthique et philosophique, mais uniquement juridique. Pour qu'il y ait génocide, il faut qu'il y ait destruction systématique et il faut le prouver. Dans le cas du Darfour, ce n'est pas si facile que ça de le prouver et ce n'est pas un crime contre une race. On ne tue pas les Fours parce qu'ils sont Fours. Des tribus noires africaines, qui ne revendiquent aucune « arabité », se sont ralliées au gouvernement soudanais et n'ont jamais été inquiétées. Il ne s'agit donc pas d'une politique raciste en soi. On veut éliminer les Fours parce qu'ils ont osé se rebeller contre le pouvoir central et qu'ils possèdent des territoires riches en minerais, en eau et en pétrole. Les enjeux sont donc beaucoup plus politico-financiers que raciaux. J'ai pu accéder à des cartes qui montrent bien que la zone 3 du Darfour a été rétrocédée à la Chine pour qu'elle puisse y exploiter le pétrole. Les Chinois sont les premiers partenaires économiques et diplomatiques du Soudan. Ils sont très actifs dans ce pays dont la production pétrolière ne cesse de croitre. Où en est aujourd'hui le Darfour et le processus de paix ? Des accords de paix ont été signés en 2009. Le moment fort de la guerre est passé. Les persécutions de populations sont terminées. Nous sommes désormais dans un conflit de basse intensité comme le disent les experts. Le gouvernement soudanais n'a plus les moyens politiques et financiers de soutenir une guerre ouverte. Cela dit, les violences perdurent. En mai 2009, des étudiants darfouris ont été massacrés à Khartoum. Dans les camps, il y a encore des morts. Très peu de réfugiés sont retournés sur leur terre. De nombreuses ONG ont quitté le Soudan ; treize ont même été obligées de partir sur ordre du gouvernement après la condamnation d'Omar el-Béchir par le Tribunal pénal international. On est désormais dans une guerre sournoise où rien n'est déclaré.

À lire

“Les cendres du Darfour“ de Fabienne le Houérou - Edition Encre d'Orient

Sonia mène une vie paisible auprès de Yahia son époux et de ses quatre enfants, non loin de Jebel Marra, massif montagneux au centre du Darfour. Un matin tranquille, des cavaliers incendient son village, son troupeau, sa maison. Son mari est tué. Elle s'enfuit avec ses enfants et Fattoumata, une amie qui, comme elle, a tout perdu. C'est le début d'un long périple douloureux qui les conduira en Égypte.

Le conflit au Darfour, dates clé

Juin 1989 - Coup d’État du général Omar el-Bechir, soutenu par les islamistes. Novembre 1997 -Les États-Unis décrètent un embargo contre le Soudan. Février-mars 2003 - Violents combats dans le Darfour entre les milices gouvernementales et les rebelles. Septembre 2004 - L'ONU menace le gouvernement soudanais de sanctions pétrolières. Janvier 2005 - Signature d’un accord de paix entre l’APLS et le gouvernement soudanais. Mai 2006 - Khartoum et le Mouvement de libération du Soudan (MLS) signent un accord, rejeté par deux autres fractions minoritaires du Darfour. Les combats continuent. Décembre 2006 -Le Soudan accepte, du bout des lèvres, le déploiement d’une force d’interposition ONU - Union africaine au Darfour. Février 2007 - Au sommet France-Afrique de Cannes, le Soudan s’oppose au déploiement de casques bleus. Février 2009 - Signature entre le gouvernement soudanais et JEM, mouvement rebelle le plus puissant, un accord de paix préliminaire. Mars 2009 -Un mandat d'arrêt est lancé par la Cour pénale internationale contre le président soudanais Omar el-Béchir qui est accusé de crimes contre l'humanité.

Ressources pétrolières du Darfour

Carte de Philippe Rekacewicz du “Monde diplomatique“ - mars 20007
Carte de Philippe Rekacewicz du “Monde diplomatique“ - mars 20007