Le Mali compte près de 400 000 Chrétiens qui forment, loin derrière les Musulmans et un peu après les animistes, la troisième communauté du pays (3 à 4 % de sa population). Certains ont préféré fuir les régions du Nord où de multiples exactions se sont produites après leur conquête par les factions islamistes alliées à Al Qaïda pour un sud où la tolérance demeure la règle. Nommé en mission à Mopti - dernière ville avant la zone occupée par les djihadistes et chef-lieu d'une région d'importantes communautés chrétiennes, le Père français Bernard Robert a été contraint - du fait, surtout de sa nationalité - de se replier à Bamako. Il nous livre son témoignage.
Office dominical à la cathédrale de Bamako, le 2 décembre 2012 (photo Pascal Priestley)
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“Le dialogue est la seule porte pour construire un Mali qui tienne debout“
Le Père Bernard Robert, célébrant la messe à Bamako (photo Pascal Priestley).
Comment les Chrétiens de la région de Mopti, d'où vous arrivez, vivent-ils la pression islamiste toute proche ? Il y a une pression, c'est vrai, mais il vivent relativement en paix. La ligne de démarcation passe à 30 ou 50 kilomètres au nord de Mopti. Tant qu'elle n'est pas arrivée à Mopti ou au sud de Mopti...Les grosses communautés chrétiennes sont en pays Dogon du côté de Bandiagara, Barapirelli, Pel, Ségué. Elles se sentent en sécurité et vivent tranquilles. A Mopti ou Sevaré on est un peu plus dans l'inquiétude mais tout de même pas très anxieux. La plus grande partie du Mali se trouve désormais sous le pouvoir de groupes armés dits « islamistes » et sous leur loi. Cela n'inquiète t-il pas les Chrétiens, même ceux vivant dans la partie sud du pays ? Il y a deux tendances. Il y a ceux qui disent « on ne va pas nous reconnaître, nous les Chrétiens. On risque de nous mettre dehors, on se crispe ». Il y a une autre tendance qui est plus généralisée et plus « malienne », et c'est la mienne en venant ici, qui est de dire « les Musulmans sont nos frères. On partage depuis très longtemps, on discute entre nous, on vit ensemble. On va continuer à vivre ensemble. Ne nous laissons pas crisper par cette situation militaire ». Les Chrétiens jouent-ils un rôle dans les actuelles tentatives de négociation entre diverses parties ? Oui, ils pèsent de tout leur poids pour que le dialogue prévale sur toute action militaire. Même si elle est nécessaire, une action militaire ne crée pas de dialogue. Un jour ou l'autre il faut déposer les armes, se mettre autour de la table et parler.
Messe à Bamako, le 2 décembre 2012 (photo Pascal Priestley)
Pesant un peu moins de 3% de la population, représentent-ils un interlocuteur considéré ? On entend souvent dire ici « les Chrétiens représentent 2 % ou 3 % en nombre mais 50 % en impact social ». Cela signifie que leur engagement dans le pays en matière de santé, d'éducation et dans bien d'autres domaines en font une part égale aux Musulmans. Ce n'est pas pour se mesurer ou dire « je suis aussi fort que toi » mais pour dire que nous avons notre place ici. Et la place des Chrétiens, même très minoritaire est une place importante. Elle pèse dans le dialogue. Et quand les évêques et les Chrétiens appellent au dialogue, ils sont entendus. Par tous ? Nous avons eu un peu peur au moment de la mise en place d'un ministère du culte [institué en août dernier et considéré par beaucoup comme une concession à l'islamisme, NDLR] et on rencontre, c'est vrai, des Chrétiens qui doutent du dialogue avec nos frères Musulmans. C'est vrai qu'il y a des intégristes chez les Musulmans comme chez les Chrétiens et dans toute religion. Mais il faut entendre l'ensemble des Musulmans qui, eux, sont pour le dialogue et aujourd'hui, le dialogue s'engage. Il est la seule porte pour construire un Mali qui tienne debout, qui n'explose pas. Le Mali traverse une crise très forte depuis près d'un an, presque une descente aux enfers mais c'est dans les grandes épreuves qu'on retrouve les grands hommes. Je crois que c'est dans cette grande épreuve qu'on va sans doute trouver, j'espère, les hommes et les femmes qui vont donner un Mali nouveau. C'est vrai qu'il faut imaginer la vie citoyenne, politique, communautaire autrement que cela a été fait depuis cinq ou dix ans. Je crois que c'est possible.