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©TV5MONDE / Commentaire : N. Loppy - Montage : M. Mormil
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Les "mines de la mort" au Maroc : 3ème journée de manifestations à Jerada

Les habitants de l'ancienne ville minière de Jerada, dans le nord-est du Maroc, manifestent depuis plusieurs jours pour dénoncer "l'injustice" et la "marginalisation", après la mort de deux jeunes dans un puits clandestin d'extraction de charbon.
​A Jerada, commune déshéritée du nord du Maroc, des centaines de mineurs risquent leur vie pour extraire clandestinement du charbon. Il y a quelques jours, Abderrazak a miraculeusement échappé à la mort. Mais deux de ses compagnons, Houcine et Jedouane, n'ont pas eu cette chance.

Âgés de 23 et 30 ans, ces frères sont morts vendredi 22 décembre en effectuant des prélèvements dans les galeries clandestines d'une mine de charbon désaffectée. Leurs corps ont été extraits samedi. Ces décès ont suscité colère et émoi au sein de la population locale qui se dit "marginalisée" et manifeste depuis dimanche contre les autorités pour l'avoir laissée à l'"abandon".  Depuis vendredi, cette ville de quelques dizaines de milliers d'habitants est en "effervescence". 

Mardi 26 décembre 2017, pour la troisième journée d'affilée, les habitants ont manifesté leur colère contre leur "marginalisation" et réclamé du travail. Lundi, ils étaient des milliers à défiler pour dénoncer "l'abandon" de la ville et "les conditions de vie difficiles" de ses habitants, a indiqué à l'AFP Said Zeroual, un responsable local de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH). En signe de solidarité, "toute la ville observe une grève générale", a-t-il ajouté.​

"Injustice" et "marginalisation"

Les manifestants ont notamment dénoncé "l'injustice" et la "marginalisation" de cette localité située à une soixantaine de kilomètres de la ville d'Oujda, capitale de la région de l'Oriental. Ils ont repris des slogans du mouvement de contestation du Hirak, qui a agité tout au long de l'année écoulée la région voisine du Rif (nord), selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. 

Le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani, s'est dit disposé à "recevoir les parlementaires de la région cette semaine ou la semaine prochaine pour débattre des problèmes que connaît la zone"
Les deux mineurs ont été enterrés lundi 25 décembre 2017 en début d'après-midi, en présence de plusieurs centaines d'habitants, tandis qu'un important dispositif sécuritaire était déployé devant le cimetière Achouhada. Abderrazak Daioui, 22 ans, était avec les deux frères au moment de l'accident.

"Nous sommes descendus à 85 mètres sous terre. Houcine et Jedouane étaient juste au-dessous de moi. L'un d'eux a creusé horizontalement et a touché un puits d'eau. Nous avons été inondés. Je me suis accroché à ma corde et j'ai réussi à remonter. Eux n'ont pas eu cette chance", raconte à l'AFP le jeune homme. 
 
Il n'y a pas d'alternative, pas de travail. C'est pour ça que je risque ma vie. ​Abderrazak Daioui, 22 ans, mineur clandestin à Jerada
Vivant dans une modeste maison à la construction inachevée, Abderrazak vit dans la misère. Il affirme prendre en charge financièrement son père de 80 ans --lui-même un ancien mineur-- ses six frères, sa femme et sa fille. "Je gagne entre 100 et 150 dirhams par jour (entre 9 et 13 euros)", se lamente cet homme qui "descend depuis 3 ou 4 ans", et qui "boit beaucoup de lait" pour contrer, selon une croyance populaire, les effets de la poussière qu'il inhale. 

Jerada, ville des mines clandestines

La ville de Jerada est connue pour avoir longtemps abrité une importante mine de charbon, où travaillaient encore quelque 9.000 ouvriers au moment de l'annonce de sa fermeture à la fin des années 1990. L'activité minière constituait alors la principale ressource des habitants, dont le nombre est passé depuis cette date de 60.000 à moins de 45.000. 

Malgré la fermeture de l'activité,  ils sont près d'un millier à s'aventurer quotidiennement dans des mines désaffectées pour extraire à la main du charbon, qui sera vendu à des négociants locaux, sans aucune protection et au péril de leur vie. Des puits clandestins surnommés les "mines de la mort". 

"Les accidents mortels sont fréquents" dans ces mines, déplore encore Abderrazak qui y a "vu périr son oncle et deux jeunes de sa famille""Chaque année, deux à trois hommes meurent en silence dans les mêmes conditions. Faute d'alternatives économiques, des jeunes souvent diplômés sont contraints de creuser des mines clandestines", explique un acteur associatif local, cité par le média en ligne Yabiladi.

Selon des données du Haut commissariat au plan (HCP), l'organisme statistique marocain, Jerada est l'une des communes les plus pauvres du Maroc. Des projets économiques avaient été mis en oeuvre par l'Etat après la fermeture de la mine, mais selon Said Zeroual, un responsable local de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), ils n'étaient "pas suffisants".
 
la ville n'a pas d'autres ressources, il n'y a pas d'emplois, pas d'usines. Les gens vivent dans la précarité.Saïd Zeroual - Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH)
Dans cette ville pauvre, 80 ans d'extraction du charbon ont également laissé des séquelles chez les mineurs. La silicose, maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation de fines poussières de charbon, est visiblement courante chez les travailleurs des mines, selon des témoignages recueillis sur place.

A l'entrée de la ville, une vingtaine de patients, des mineurs retraités pour la plupart, viennent consulter à "l'unité de pneumologie et de la silicose" de l'hôpital de Jerada. 
Mohamed El Berkani, la soixantaine, a travaillé au fond du puits pendant 23 ans. "Ce centre a été créé spécialement pour les travailleurs de la mine atteint de la silicose", affirme-t-il.  "Les mineurs crachent leurs poumons jusqu'à crever. Alors ils nous donnent des médicaments pour calmer les douleurs".