En dehors de quelques informations dévoilées par la presse nationale, les lois adoptées par les députés des partis officiels, ne sont pas connues des Algériens. Il est question d’une activité qui est tout sauf transparente. Le chef d’Etat donne ses ordres au gouvernement après s’être réunis avec les militaires ; des députés retoquent les textes entre eux, les vident de leur substance en coulisse et les adoptent aux mépris des aspirations du peuple. Parmi ces lois liberticides, celle qui devait faciliter la création des associations et leur donner une certaine liberté d’action. Or, comme on peut le lire dans un
mémorandum du Réseau euro-méditerranéen pour les droits de l’homme (REMDH), « de nombreuses dispositions du texte présenté devant la chambre des députés sont de nature à restreindre drastiquement la liberté des associations algériennes. Nos préoccupations […] se situent principalement à 5 niveaux : 1) la procédure de création des associations soumise à autorisation préalable ; 2) le mode de financement des associations ; 3) les limitations à la coopération avec des organisations étrangères ; 4) le régime auquel sont soumises les associations étrangères et 5) les conditions particulièrement larges dans lesquelles les associations peuvent être suspendues ou dissoutes. » Un autre projet de loi déclare inéligible les non-diplômés et les binationaux qui représentent l’essentiel de l’élite intellectuelle algérienne.
Une tartufferie nationale En fait, l’ouverture se résume essentiellement à quatre « nouveautés ». La première d’entre elles consacre l’ouverture du champ audiovisuel. Jusque-là représenté par l’entreprise publique, où Dieu et Bouteflika se partagent l’essentiel du temps de la programmation, le paysage de la télévision devrait s’enrichir de quelques chaînes privées. Mais le ministre de l’Intérieur Daho Ould Kablia indique qu’une « autorité de régulation » devrait être mise en place pour surveiller ces chaînes dont la direction devrait être des
anciens de la chaîne publique. La seconde prévoit la création de nouveaux partis. Là aussi, cette fausse ouverture bénéficiera à de vrais faux nouveaux partis créés depuis plusieurs années par des proches de Bouteflika, comme l’ancien ministre de la Santé, Amara Benyounès, ou par des vieux du sérail dont l’ancien premier ministre Sid Ahmed Ghozali. Le « changement » promis par Bouteflika est, pour le régime, une occasion d’affermir ses étais. D’autres textes d’ouverture ont été
étonnamment amendés par les députés du Rassemblement National Démocratique (RND) et du Front de Libération Nationale (FLN), alors que le troisième parti de l’alliance gouvernementale, le MSP, s’est abstenu de voter. L’article 67 de la nouvelle loi électorale devait interdire le « nomadisme politique » des députés. Dans un pays où les « élus » sans conviction changent de parti au gré de leurs intérêts personnels, l’opposition voit le nombre de ses élus se réduire comme peau de chagrin au fil du temps. Abdelaziz Bouteflika voulait aussi forcer les ministres candidats aux législatives à démissionner trois mois avant les élections. Les partis au pouvoir ont déclaré cet article « inconstitutionnel ». « Ce sont des gens qui pensent à leurs intérêts, commente Nadia Amellal, journaliste au quotidien
Liberté. Ils veulent être à la fois ministres et députés ». De même, le projet de loi qui contraignait les organisations politiques à présenter 30% de femmes candidates aux élections locales et régionales a été vidé de sa substance. Les députés du FLN et du RND, plus soucieux pour leur fonction que pour la représentativité féminine, ont préféré
un quota proportionnel au nombre de sièges par localité. Nadia Amellal était au Parlement le jour où ces textes étaient en débat. Elle parle de « projets déviés de leur objectif initial. On a aussi vu des députés dénoncer des textes qu’ils ont fini par approuver. Quand le gouvernement a appris les amendements apportés par la Commission juridique, il a haussé le ton et rappelé à l’ordre les députés pour qu’ils votent les textes de lois tels qu’ils leur ont été donnés. »
Interrogations sur une fronde historique La fronde des députés issus des partis de l’alliance gouvernementale est plus que surprenante. On s’attendait à ce que les textes de Bouteflika passent comme une lettre à la poste. Depuis l’indépendance de l’Algérie, jamais des députés n’ont rejeté une décision présidentielle. Ils se sont toujours contentés de louer la sagesse du dirigeant du pays et d’approuver tout ce qu’il projette de faire. C’est donc une première dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Une première qu’on pourrait mettre sur le dos de la vénalité des élus par la fraude électorale attachés à leurs postes. Si cela demeure vrai, la refonte des textes, inspirée par le dirigeant du FLN Abdelaziz Belkhadem, a été suivie d’une autre décision, émanant cette fois du ministre de l’Intérieur. Daho Ould Kablia a déclaré le « Comité national de suivi du programme du président de la République »
illégal et a sommé les autorités locales à ne plus traiter avec cette organisation. Créé officiellement pour veiller à la bonne réalisation des projets du chef de l’Etat, le Comité en question est considéré par les médias et l’opposition comme une structure mise en place afin de
préparer la succession du général Saïd Bouteflika à son aîné Abdelaziz. Ce sont là deux événements majeurs advenus l’un après l’autre en dix jours. Révèlent-ils le début de la fin pour Abdelaziz Bouteflika ? Pour rejeter des propositions présidentielles, les députés ont sans doute pensé qu’une colère de leur chef serait sans aucun effet sur leur carrière. En d’autres termes, ils ont reconnu son impuissance à gérer l’Algérie dans les années à venir, allant jusqu’à l’enterrer vivant. Daho Ould Kablia va confirmer cette destitution symbolique par ce qui semble être un ralliement sans ambages aux militaires opposés au chef de l’Etat et à son frère. La question d’un départ avant l’heure de Bouteflika, voulu par un cercle du pouvoir, peut se poser. Ses opposants oseraient-ils aller au bout de leur volonté malgré le contexte révolutionnaire des pays voisins qui les menace également ? La démission de Bouteflika devrait être la dernière concession à faire si les Algériens entraient à leur tour en révolte. Elle aurait pour objectif d’apaiser la population et de satisfaire la Communauté internationale.
Une « révolte » en haut lieu Cependant, une telle révolte est loin d’être acquise. En effet, l’Algérie est sous une dictature différente de ce qu’on a pu voir en Tunisie et en Egypte où le président est la base sur laquelle repose le régime politique. A Alger, le véritable pouvoir est invisible et inatteignable. Toutefois, si ce calme perdure, il n’est pas à exclure que les ennemis de Bouteflika se sentent pressés de mettre un terme à son troisième mandat qui leur a été imposé par Paris. Dans ce cas, on pourrait s’attendre à ce qu’une « révolte » soit organisée en haut lieu pour le déstabiliser comme cela fut le cas en 1998 avec
l’assassinat du chanteur kabyle Matoub Lounès pour faire partir Liamine Zeroual. Dans tous les cas, s’il devait y avoir un changement en Algérie, ce serait sous l’inspiration du régime lui-même. En effet, ni les structures politiques ou syndicales qui forment le camp de l’opposition, ni la population ne sont actuellement en mesure de se mobiliser pour provoquer une révolution à l’image de ce qui s’est passé dans les pays voisins. Les partis politiques ont accumulé trop de détestations et de mésententes à tel point qu’il est difficile d’imaginer une rencontre, ne serait-ce que pour proposer un projet commun en mesure de mobiliser les Algériens. Si les véritables dirigeants du pays n’organisent aucun mouvement social qui finirait par perpétuer leur domination sous un visage plus convenable pour l’Occident, il faudra attendre les élections présidentielles de 2014 pour, peut-être, voir les Algériens rééditer l’exploit tunisien s’ils refusent qu’on leur impose encore une fois leur dirigeant. Encore faut-il que les partis de l’opposition permettent l’émergence de nouveaux leaders politiques.