Le 1er novembre 1954, le FLN algérien célèbre sa naissance par une proclamation officielle accompagné d'une série d'actions armées spectaculaires, occasionnant une dizaine de morts civils et militaires. C'est le début, ultérieurement reconnu, de la guerre d'Algérie.
Jour des morts
C'est un village kabyle de 1800 âmes, bâti sur une crête à 40 kilomètres de Tizi Ouzou, face à la montagne du Djurdjura : Ighil Imoula. Hormis la majesté du site, rien ne le distingue particulièrement et il serait resté dans l'oubli si les commémorations algériennes officielles de l'insurrection de 1954 ne l'en avaient brusquement tiré pour revisiter, de célébrations en reportages, son passé ici glorieux. Entre les murs d'une de ses modestes maisons fut clandestinement imprimé dans les derniers jours du mois d'octobre 1954 le libellé fondateur annonçant le déclenchement d'une lutte de libération nationale, mieux connue en France sous le nom de "guerre d'Algérie". Un document qui signe l'acte de naissance du FLN (Front de libération national), énonce les objectifs de la révolution, ses moyens de lutte et même les conditions d'un cessez-le-feu.
Le texte en a été rédigé quelques jours plus tôt par les dirigeants du mouvement naissant, à Alger. Un journaliste acquis à la cause est chargé de la saisie. Le stencil est apporté par un autre militant à Ighil Imoula - village d'alors 800 habitants mais déjà foyer réputé de sédition - où une ronéo a été installée, au dessus d'une boutique. Elle y tourne tout une nuit. "Pour couvrir le bruit de la machine et détourner l'attention du garde champêtre et autres 'chaouchs' (indicateurs) émargeant au service du renseignement de l'ennemi, rapporte le quotidien historique du FLN 'el Moudjahid', des 'clients' ont été chargés de faire le maximum de bruit, en simulant un jeu de tombola. En réalité, ces joueurs de tombola n'étaient autres que des militants de la cause nationale, dont la proclamation énonçait: "Quant à nous, résolus à poursuivre la lutte, nous donnons le meilleur de nous-mêmes à la patrie".
Echo limité
Et le 1er novembre, en effet, les armes parlent, tandis qu'est diffusée la proclamation ronéotée. Soixante-dix opérations, en une trentaine de points du territoire algérien. Elles visent particulièrement des cibles militaires. Mais outre quatre soldats français, six civils sont tués, dont deux musulmans.
Parmi eux, des victimes choqueront singulièrement l'opinion française : un jeune couple d'instituteurs arrivés quelques semaines plus tôt de métropole pour enseigner dans un obscur village des Aurès. Leur autocar Citroën poussif est arrêté vers 7 h du matin par un groupe d'insurgés, dans les gorges de Tighanimine. Dans une altercation qui s'ensuit avec un caïd (officiel algérien) armé présent dans le véhicule, ils sont abattus par une rafale qui ne leur était, a priori, pas destinée. L'instituteur décède ; son épouse survit.
Ces attentats n'ont paradoxalement qu'un retentissement limité en métropole, où ils sont perçus comme des actes isolés, sinon de banditisme. Leur condamnation est en apparence unanime, tant par la presse locale - Albert Camus compris – que par le Parti communiste algérien ou divers mouvements nationalistes connus. Marquant pourtant rétrospectivement le début de la guerre d'indépendance proprement dite, ils n'en sont pas moins aussi un aboutissement, et l'expression d'une radicalisation sourde.
Fossé
En 1954, l'Algérie est considérée comme partie intégrante de la France, contrairement aux colonies de l'Union française. Elle est territorialement divisée en départements et surtout, sa population en deux catégories principales : huit millions de musulmans disposant d'un statut d'indigènes et relevant du droit coranique coutumier ; près de 950 000 citoyens français, venus de métropole ou du bassin méditerranéen, ou encore juifs naturalisés en 1870. On les nomme "Français d'Algérie", "Européens" ou "pieds-noirs". S'y ajoutent environ 50 000 musulmans ayant acquis la citoyenneté et pour cela renoncé à leur statut coranique.
Malgré le rapport de un à huit, les deux communautés élisent le même nombre de représentants. Elles sont aussi – et peut-être plus encore- séparées par d'immenses inégalités sociales et culturelles : normes salariales, sécurité sociale, scolarisation... Un musulman sur dix parle français (beaucoup moins que … aujourd'hui, après 52 ans d'indépendance). Les clivages sont attisés par le refus constant de la majorité des Européens et assimilés de toute concession.
Radicalisation
Les indépendantistes, pourtant, restent minoritaires et peu soutenus dans la population musulmane. Les mouvements nationalistes sont divisés entre MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) de Messali Hadj , UDMA (Union démocratique du manifeste algérien) de Ferhat Abbas et Oulémas (religieux). En mars 1954, un groupe de militants fonde le Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA) autour du responsable du MTLD en métropole, Mohamed Boudiaf (qui, devenu chef de l'État, périra dans un attentat près de quarante ans plus tard, au début d'une autre guerre, civile celle-là). Il obtient le ralliement de Belkacem Krim, qui mène depuis 1947 une rébellion en Kabylie. Une direction de six membres est mise en place, bientôt rejointe par trois autres, dont Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed. Le CRUA est remplacé en octobre 1954 par le FLN, dirigé par ses neuf membres historiques.
Le contexte international est encourageant. La France vient de subir une défaite retentissante en Indochine avec la bataille perdue de Dien Bien Phu (mai 54) suivie, en juillet, des accords de Genève qui consacrent la victoire du Vietminh et son retrait de la région. Rejoignant une tendance mondiale, une décolonisation se dessine dans nombre de possessions françaises dont la Tunisie et le Maroc. Refusant le dogme asséné de l'exception algérienne, les fondateurs du FLN voient dans cette conjonction un encouragement à se lancer dans une lutte armée plus organisée qu'elle ne l'a été jusqu'alors, et assumer l'objectif de l'indépendance. Pour se signaler de façon marquante et irrémédiable, ils décident une opération spectaculaire de grande envergure, avec des attaques multiples et simultanées sur l'ensemble du territoire. La date du 1er novembre est choisie, peut-être en raison de sa signification chrétienne. Ce sera la Toussaint rouge.
Sourds
Les réactions de la classe politique française sont à la fois sans surprise et à la mesure d'une surdité prévalente, dépourvue de doutes. Considéré comme l'homme de la paix en Indochine et par la suite comme visionnaire emblématique de la gauche, le chef du gouvernement Pierre Mendès France déclare le 12 novembre suivant à l'Assemblée nationale : "Il n'y aura pas de la part du gouvernement ni hésitation, ni atermoiement, ni demi-mesure dans les dispositions qu'il prendra pour assurer la sécurité et le respect de la loi. Il n'y aura aucun ménagement contre la sédition, aucun compromis avec elle, chacun ici et là-bas doit le savoir. À la volonté criminelle de quelques hommes doit répondre une répression sans faiblesse car elle est sans injustice".
Sa fermeté fait écho à des propos non moins définitifs tenus une semaine plus tôt par son ministre de l'Intérieur, François Mitterrand : "l'Algérie, c'est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne" (7 novembre). Ce dernier avait prononcé deux jours plus tôt une formule plus lapidaire encore, promise à la postérité : "la seule négociation, c'est la guerre".
Elle durera, en effet, huit ans et s’achèvera par un retrait français complet et désastreux, populations civiles comprises, d'une Algérie devenue indépendante.
A la fin de la guerre d'Algérie, plus d'un million de pieds noirs arrivent en métropole. Dans son ouvrage Pieds noirs, les bernés de l'histoire (Edition Archipel), le journaliste et écrivain Alain Vincenot raconte leur histoire et Andrée Bachoud, historienne née en Algérie apporte son témoignage.