Fil d'Ariane
En langage de courtiers, on parle de « qualité africaine ». A l’issue d’une enquête réalisée en 2017 sur les cargaisons de 44 pétroliers en partance pour l’Afrique de l’Ouest, le constat de l’Inspection néerlandaise pour l’environnement humain et les transports (ILT) est implacable : les carburants destinés au marché ouest-africain sont composés de substances hautement cancérigènes telles que le manganèse et le benzène, ainsi que de produits pétrochimiques non autorisés dans une grande partie du monde. De l’essence et du diesel de très mauvaise qualité dont la teneur en soufre est « 300 fois supérieure aux standards européens », précise l’ILT.
Ce dernier résultat recoupe celui de la précédente enquête « Dirty Diesel » (Diesel sale) de Public Eye. Rendue publique en septembre 2016, l’organisation suisse révélait que le diesel pouvait contenir jusqu’à près de 400 fois plus de soufre que la teneur admise en Europe. « Ces géants du négoce profitent de la faiblesse des standards dans certains pays pour y vendre des carburants qui ne pourraient jamais être commercialisés en Europe », explique l’organisation. Avant d’ajouter, « si ces pratiques sont légales, elles n’en restent pas moins illégitimes. »
Les Pays-Bas, d’où sont exportés près de 50 % de ces produits vers l’Afrique de l’Ouest via les ports d’Amsterdam et de Rotterdam, « endossent (avec cette enquête) leur responsabilité dans ce commerce qui affecte de millions d’individus », estime Public Eye. A l’inverse, l’organisation pointe l’absence de réaction officielle des autorités suisses où les principaux négociants ont leur siège. Une dizaine de ces géants du courtage pétrolier sont directement visés par la police de l’environnement hollandaise comme Vitol, Litasco, Gunvor, Trafigura ou encore l'anglo-suisse Glencore. Quant aux compagnies pétrolières, la française Total et l'anglo-néerlandaise Shell sont citées comme les principales responsables des mélanges de produits pétroliers. Des opérations parfois réalisées en pleine mer près des côtes africaines et de métropoles comme Dakar au Sénégal ou Lagos au Nigeria, « où se concentre une partie des 7 millions de personnes qui meurent chaque année à la suite de pathologies provoquées par la pollution d’un air trop chargé en particules fines, selon l’Organisation mondiale de la santé », rapporte Le Monde. Des conséquences dévastatrices en matière de santé publique et d’environnement, pendant que les industriels, eux, en tirent le maximum de bénéfices.
Et si les pays d’Afrique de l’Ouest prenaient un autre virage ? A l’image du Ghana qui, depuis le 1er juillet 2017, importe uniquement des carburants à faible teneur en soufre : maximum 50 parties par million (mpp) contre 3 000 mpp auparavant – les normes européennes sont fixées à 10 ppm depuis 2009 – s’alignant ainsi sur les recommandations du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
Pays producteur de pétrole, « le Ghana a décidé un changement radical tout en ayant trouvé une solution pour sa raffinerie qui ne parvient pas à produire des carburants conformes à cette nouvelle législation, explique au Monde, Marc Guéniat de Public Eye. Plutôt que de fermer sa raffinerie, il l’oblige à mélanger sa production avec du carburant importé pour se conformer aux normes, ce qui peut être un modèle pour les autres pays de la région. » Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Togo ou encore le Nigeria n’ont, pour le moment, pas réussi à tenir à temps leur engagement de réduire, d’ici à juillet 2017, les limites de teneur en soufre et de mettre aux normes leurs raffineries. Les raisons ? Les pressions des lobbies pétroliers mais aussi « les risques de hausse des prix des carburants à l’importation qui se répercuterait sur le consommateur », souligne Le Monde. Pas si simple d’en finir avec la « qualité africaine ».