En Côte d’Ivoire les médias satiriques ont le vent en poupe. Et pour cause, le journal
Gbich créé en 1999 connaît toujours un véritable succès. Il y a presque deux ans,
L’éléphant déchaîné apparaît puis c’est au tour de la radio ivoirienne Nostalgie de créer sa propre émission satirique : Afterwork. Ces médias pas comme les autres sont particulièrement bien ancrés en Côte d’Ivoire. Explications.
Il y a 15 ans, Lassane Zohoré et Illary Simplice créaient le journal satirique ivoirien Gbich. Aujourd’hui encore, il connaît un véritable succès en Côte d’Ivoire. « On se dit qu’on peut faire passer beaucoup de messages par l’humour », explique Lassane Zohoré, créateur et caricaturiste de Gbich. « Gbich » veut dire « paf ! » ou « bing ! ». C’est une onomatopée qui évoque le bruit d’un coup de poing et qui traduit l’envie du journal d’être percutant. Même pendant la crise postélectorale ivoirienne en 2010 « on proposait des dessins, c'était le meilleur moment ! Parfois il y a des choses graves mais on essaie quand même de rire avec », raconte le créateur de Gbich. Face au succès et à l’influence de Gbich, certains médias se sont lancés dans la satire. L’Elephant Déchaîné (sur le modèle du Canard Enchaîné français) a vu le jour il y a deux ans. Avec moins de dessins mais plus d’articles, il ne concurrence pas directement Gbich. Lors de sa création en 2012, le directeur de publication du bi-hebdomadaire, Antoine Assalé Tiémoko, avait confié au site d’information Afrik.com : « Le but est de diffuser l’information autrement que ce que l’on a l’habitude de voir. J’avais envie de montrer une presse différente en Côte d’Ivoire ».
Le concept satirique, bien que déjà existant sur les ondes ivoiriennes, a été largement récupéré par la radio Nostalgie avec son émission « Afterwork ». Pendant plus de deux heures, encadrés par un journaliste, cinq chroniqueurs imitent de nombreuses personnalités politiques africaines : Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Goodluck Jonathan (Nigéria), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Paul Biya (Cameroun)… Pour justifier son initiative, Jean-Jacques Varold, créateur et animateur de l’émission raconte : « La politique nous a beaucoup fait souffrir dans ce pays. Je me suis dit que, pour une fois, si un chef d'Etat était imité à la radio ça changerai un peu les choses ». Alassane Ouattara, l’actuel président ivoirien, possède plusieurs surnoms dans l’émission comme Alasco Bill (en référence à Buffalo Bill puisque le président à fait ses études aux Etats-Unis, ndlr) ou le président gentleman. Pour le créateur du journal Gbich, « c’est une bonne émission et elle fonctionne bien. Elle permet de renforcer davantage la démocratie et la liberté de ton est assez intéressante à souligner. On est pas loin des Guignols de l'info ».
Extrait de l'émission “Afterwork“ sur la radio ivoirienne Nostalgie
Présentateur : Jean-Jacques Varold Chroniqueurs-imitateurs : - Chuken Pat - Tonton Jo - Koloko Germain - Mala Adamo
Pas (ou peu) de censure ? Lors de son interview avec Afrik.com, Antoine Assalé Tiémoko, directeur de publication de L’Eléphant déchaîné, évoquait la censure. « La Côte d’Ivoire reste un pays où l’on ne peut pas tout dire. Le gouvernement a changé mais la répression et la censure sont toujours présentes. On reçoit toujours autant de menaces, des appels et des courriers d’anonymes ». Un constat qui n’est pas totalement de l’avis de Lassane Zohoré. En 15 ans d’existence, Gbich n’a jamais été censuré, au contraire, la rédaction a même reçu la visite de l’ancien président Laurent Gbagbo (qui sera par la suite arrêté, puis transféré à la Haye en 2011, où il doit être
jugé par la CPI pour crimes contre l'humanité). Elle a été récemment invitée par le chef d’Etat Alassane Ouattara pour fêter ses 72 ans. En Côte d’Ivoire, « nos confrères nous appellent les « enfants gâtés de la presse. Parfois, certains d’entre eux disent des choses qui sont censurées alors que nous, nous disons la même chose en dessin, et on ne nous embête pas trop » avoue-t-il. Malgré cela, la rédaction a parfois reçu quelques menaces, notamment de militants politiques, suite à des dessins jugés trop « provocants ».
L’humour, plat traditionnel ivoirien « Ceux qui connaissent les Ivoiriens savent que c'est un peuple qui aime bien l'autodérision, qui aime se moquer de ses propres problèmes. On a une culture de l'humour », assure Lassane Zohoré. Le peuple ivoirien aurait donc un fort prisme pour l’humour, ce qui expliquerait le franc succès des médias satiriques. « Nous avons un très bon retour de la population. Pour vous donner un exemple : avant la création de l'émission, en fonction de leur tendance politique, les ivoiriens étaient comme chien et chat. Maintenant, les gens changent d'avis : certains nous appellent pour nous dire qu'avant ils n'aimaient pas Alassane Ouattara mais que, grâce à l'émission, il devient un personnage sympathique », affirme Jean-Jacques Varold. S’il ne parvient pas à déterminer ce qui explique cet intérêt ivoirien pour l’humour ou la satire, le créateur de Gbich se souvient que « petit, je regardais des émissions comiques à la télévision ». Il est tombé dans la marmite dès son plus jeune âge. Selon lui, le « zouglou » (genre musical initié par la jeunesse ivoirienne qui porte des messages souvent humoristiques) est aussi la preuve que les Ivoiriens « ont l’habitude de rire de tout, même quand c’est très sérieux ». Si beaucoup d’autres pays africains possèdent des canards satiriques, Lassane Zohoré insiste sur la « particularité de l’humour ivoirien. J'ai voyagé dans pratiquement tous les pays autour de la Côte d’Ivoire et tous relèvent cette particularité ».
En Côte d’Ivoire, les médias satiriques continuent de se développer et d’asseoir leur influence sur la population. C’est dans ce contexte que la direction du journal Gbich compte lancer Gbich Fm, une radio 100% humoristique. Elle devrait voir le jour en 2015, année des prochaines élections présidentielles ivoiriennes. De quoi nourrir les ondes de cette future radio.
Quelques journaux et médias satiriques africains
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