Liberia : le bilan contrasté d’Ellen Johnson Sirleaf

La première présidente africaine élue, Ellen Johnson Sirleaf cède sa place au terme de deux mandats présidentiels soit douze années au pouvoir. Dans son bilan en demi-teinte, il lui est surtout reproché de ne pas avoir combattu assez la corruption et suffisamment oeuvré pour les femmes. 
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Ellen Johnson Sirleaf fin de mandat
Ellen Johnson Sirleaf, première présidente élue en Afrique est restée 12 ans au pouvoir au Liberia. 
©AP Photo/ Sylvain Cherkaoui
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La première cheffe d’Etat africaine tire sa révérence. En douze ans de présidence, « La Dame de fer » est parvenue à maintenir une paix fragile dans un pays meurtri par 14 ans de guerre civile. Mais « Maman Ellen » ne sera pas parvenue à améliorer le sort ainsi que la représentativité des femmes dans son pays.

Quand elle accède au pouvoir au 2006, Ellen Johnson Sirleaf écope d'un pays traumatisé et exsangue après des guerres civiles qui ont duré de 1989 à 2003 et fait plus de 250 000 morts. Elle se retrouve à la tête d’un système corrompu et d’une dette colossale effacée cinq ans plus tard. 
 

Un bilan contrasté, contesté

Si elle est parvenue à maintenir la paix dans le pays pendant plus d’une décennie de présidence, sa politique n'a pas été suffisante, aux yeux de certains, pour lutter contre la corruption, faire des réformes constitutionnelles ou encore réhabiliter les infrastructures. 

« Elle a déçu mais maintenir la paix pendant deux mandats, c'est un exploit. Probablement toute son énergie a été consacrée à cela, estime Christophe Naigeon, auteur de Liberia (Edition Taillandier). Il était l'invité de TV5MONDE. Maintenant c'est bien, le jeu démocratique fonctionne. Les différents groupes de population disent qu'ils n'ont pas eu assez, mais on est vraiment dans le jeu démocratique. Ce qui est extraordinaire quand on connaît l'histoire de ce pays. »

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A savoir sur Ellen Johnson Sirleaf

  • Née en 1938 à Monrovia, cette économiste a été formée en administration publique aux Etats-Unis, à Harvard.
  • A deux reprises, elle devient ministre des Finances des présidents William Tubman et William Tolbert.
  • Elle est condamnée à dix ans de prison sous le régime militaire de Samuel Doe et sera forcée à l’exil.  
  • Elue en 2006, elle devient la première femme cheffe d’Etat en Afrique.
  • En 2011, elle devient prix Nobel de la Paix aux côtés de sa compatriote Leymah Gbowee et de la Yémenite Tawakkol Karman. Une récompense attribuée peu de temps avant sa réélection pour un second mandat. 

Même si la croissance a repris dans le pays, le taux de pauvreté reste très élevé. Aujourd’hui, près de 64% des Libériens vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon le Programme Alimentaire Mondial

L’épidémie d’Ebola qui a fait plus de 4800 morts ainsi que la chute des cours du fer et du caoutchouc, deux matières premières exportées par le Liberia, ont porté un coup dur à l’économie du pays.

Certains critiques accusent aussi la présidente de népotisme en plaçant son fils Charles à la tête de la Banque centrale et son autre fils Robert à la compagnie pétrolière nationale. Ce dernier ayant démissionné un an plus tard, cédant aux pressions. 

« L’un de mes fils était déjà là et je ne l’en ai pas retiré », justifiait la présidente dans une interview au journal britannique The Guardian. « L’autre a été placé à un poste stratégique. (…) Il a amené de grosses compagnies américaines. » 

Si elle n’est pas parvenue à développer suffisamment le pays, les observateurs s’accordent à dire qu’elle a rétabli la liberté d’expression dans le pays. 

Quelle politique pour les femmes ?

L'une des plus grandes déceptions de sa présidence concerne les femmes. Élire une femme à son poste ne garantissait par pour autant des avancées majeures pour les Libériennes.

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Elle-même ne se considère d'ailleurs pas féministe « un extrémisme », qualifiait-elle dans une interview donnée au Guardian en juillet dernier. Quand la journaliste lui parle de féminisme comme d’une équité assurée entre les hommes et les femmes elle assure « vivre cela ». Sans plus. 
 

Sirleaf a échoué.

Les féministes libériennes Robtel Neajai Pailey et Korto Reeves Williams


Deux féministes libériennes Robtel Neajai Pailey et Korto Reeves Williams lui reprochent son manque d’engagement en faveur des femmes dans une tribune publiée par le site Al Jazeera. Elles insistent notamment sur le manque de représentativité des femmes en politique et ce, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. « Sirleaf a échoué », martèlent-elles, en ne nommant que quatre femmes sur vingt-un ministres. Un gouvernement dans lequel d’importants ministères ont été donnés, selon elles, à des hommes incompétents. 

Je représentais une brèche dans le plafond de verre en Afrique. 

Ellen Johnson Sirleaf sur CNN

Alors qu'Ellen Johnson Sirleaf assurait dans une interview au Washington Post en 2016 qu'« avec les libertés que nous avons créées, le Liberia ne peut plus régresser. La tradition de la domination masculine a été mise à mal », son discours dans les médias est différent à quelques mois de la fin de son mandat.

« Nous n’avons pas assez travaillé sur la parité en particulier sur la participation politique. (Seulement 16% des candidats à la présidentielle et au législatives sont des femmes, contre 11% en 2011, ndlr) Et cela m’attriste parce que je représentais une brèche dans le plafond de verre en Afrique », raconte-t-elle dans une interview donnée à CNN. 

Dans leur tribune, les deux féministes libériennes reconnaissent cependant qu’Ellen Johson Sirleaf a instauré de nouvelles politiques de protection des femmes et des petites filles victimes d’agressions sexuelles avec une procédure judiciaire accélérée. Mais celle-ci peine à être mise en place et ne reste pas accessible à toutes. 

Vers une nouvelle génération ?

Contrairement à d’autres chefs d’Etat, Ellen Johnson Sirleaf n’aura pas essayé de modifier la Constitution pour accéder à un troisième mandat. L’occasion de laisser la place aussi à une nouvelle génération. Vingt candidats sont en lice pour ce nouveau scrutin présidentiel qui se déroule ce mardi 10 octobre 2017. 2,1 millions de Libériens sont appelés aux urnes. 

Alors qui pour lui succéder ? Parmi les candidats figure un colistier historique de la présidente, son héritier politique : Joseph Boakai, 72 ans.

Quant aux femmes, seule MacDella Cooper s'est lancée dans la campagne. Cette ancienne mannequin de 40 ans, novice en politique, s’est démarquée des autres candidats pendant en affichant son soutien au mariage homosexuel. Une position risquée sur un continent encore très conservateur sur le sujet. 

L’autre canditate est en fait colistière de la vedette du foot George Weah. Il s’agit de Jewel Howard-Taylor, l’ex-épouse du président libérien Charles Taylor qui a entraîné la guerre civile dans le pays. Sénatrice respectée, elle fait partie des femmes d’influence du pays. Encore trop peu nombreuses visiblement à oser se lancer en politique.