Fil d'Ariane
Si elle est parvenue à maintenir la paix dans le pays pendant plus d’une décennie de présidence, sa politique n'a pas été suffisante, aux yeux de certains, pour lutter contre la corruption, faire des réformes constitutionnelles ou encore réhabiliter les infrastructures.
« Elle a déçu mais maintenir la paix pendant deux mandats, c'est un exploit. Probablement toute son énergie a été consacrée à cela, estime Christophe Naigeon, auteur de Liberia (Edition Taillandier). Il était l'invité de TV5MONDE. Maintenant c'est bien, le jeu démocratique fonctionne. Les différents groupes de population disent qu'ils n'ont pas eu assez, mais on est vraiment dans le jeu démocratique. Ce qui est extraordinaire quand on connaît l'histoire de ce pays. »
Même si la croissance a repris dans le pays, le taux de pauvreté reste très élevé. Aujourd’hui, près de 64% des Libériens vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon le Programme Alimentaire Mondial.
L’épidémie d’Ebola qui a fait plus de 4800 morts ainsi que la chute des cours du fer et du caoutchouc, deux matières premières exportées par le Liberia, ont porté un coup dur à l’économie du pays.
Certains critiques accusent aussi la présidente de népotisme en plaçant son fils Charles à la tête de la Banque centrale et son autre fils Robert à la compagnie pétrolière nationale. Ce dernier ayant démissionné un an plus tard, cédant aux pressions.
« L’un de mes fils était déjà là et je ne l’en ai pas retiré », justifiait la présidente dans une interview au journal britannique The Guardian. « L’autre a été placé à un poste stratégique. (…) Il a amené de grosses compagnies américaines. »
Si elle n’est pas parvenue à développer suffisamment le pays, les observateurs s’accordent à dire qu’elle a rétabli la liberté d’expression dans le pays.
L'une des plus grandes déceptions de sa présidence concerne les femmes. Élire une femme à son poste ne garantissait par pour autant des avancées majeures pour les Libériennes.
Elle-même ne se considère d'ailleurs pas féministe « un extrémisme », qualifiait-elle dans une interview donnée au Guardian en juillet dernier. Quand la journaliste lui parle de féminisme comme d’une équité assurée entre les hommes et les femmes elle assure « vivre cela ». Sans plus.
Sirleaf a échoué.
Les féministes libériennes Robtel Neajai Pailey et Korto Reeves Williams
Deux féministes libériennes Robtel Neajai Pailey et Korto Reeves Williams lui reprochent son manque d’engagement en faveur des femmes dans une tribune publiée par le site Al Jazeera. Elles insistent notamment sur le manque de représentativité des femmes en politique et ce, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. « Sirleaf a échoué », martèlent-elles, en ne nommant que quatre femmes sur vingt-un ministres. Un gouvernement dans lequel d’importants ministères ont été donnés, selon elles, à des hommes incompétents.
Je représentais une brèche dans le plafond de verre en Afrique.
Ellen Johnson Sirleaf sur CNN
Alors qu'Ellen Johnson Sirleaf assurait dans une interview au Washington Post en 2016 qu'« avec les libertés que nous avons créées, le Liberia ne peut plus régresser. La tradition de la domination masculine a été mise à mal », son discours dans les médias est différent à quelques mois de la fin de son mandat.
« Nous n’avons pas assez travaillé sur la parité en particulier sur la participation politique. (Seulement 16% des candidats à la présidentielle et au législatives sont des femmes, contre 11% en 2011, ndlr) Et cela m’attriste parce que je représentais une brèche dans le plafond de verre en Afrique », raconte-t-elle dans une interview donnée à CNN.
Dans leur tribune, les deux féministes libériennes reconnaissent cependant qu’Ellen Johson Sirleaf a instauré de nouvelles politiques de protection des femmes et des petites filles victimes d’agressions sexuelles avec une procédure judiciaire accélérée. Mais celle-ci peine à être mise en place et ne reste pas accessible à toutes.
Contrairement à d’autres chefs d’Etat, Ellen Johnson Sirleaf n’aura pas essayé de modifier la Constitution pour accéder à un troisième mandat. L’occasion de laisser la place aussi à une nouvelle génération. Vingt candidats sont en lice pour ce nouveau scrutin présidentiel qui se déroule ce mardi 10 octobre 2017. 2,1 millions de Libériens sont appelés aux urnes.
Alors qui pour lui succéder ? Parmi les candidats figure un colistier historique de la présidente, son héritier politique : Joseph Boakai, 72 ans.
Quant aux femmes, seule MacDella Cooper s'est lancée dans la campagne. Cette ancienne mannequin de 40 ans, novice en politique, s’est démarquée des autres candidats pendant en affichant son soutien au mariage homosexuel. Une position risquée sur un continent encore très conservateur sur le sujet.
L’autre canditate est en fait colistière de la vedette du foot George Weah. Il s’agit de Jewel Howard-Taylor, l’ex-épouse du président libérien Charles Taylor qui a entraîné la guerre civile dans le pays. Sénatrice respectée, elle fait partie des femmes d’influence du pays. Encore trop peu nombreuses visiblement à oser se lancer en politique.