Fil d'Ariane
“Il n’a fait que son métier”. C’est par ces mots que l’une des sœurs du journaliste algérien Rabah Kareche, Nacera Oukil, qui vit à Paris, commente cette incarcération. Elle fait suite à la publication d’un de ses articles pour le journal algérien Liberté, relayant une manifestation organisée par des citoyens contre le nouveau découpage administratif et la création de nouvelles wilayas, dans la région Touareg de Tamanrasset, dans le sud algérien.
Pour Nacera Oukil, cette incarcération est “un passage à l’acte” qui survient après de longs mois d’intimidation contre Rabah Kareche. “Depuis juin 2019, il y a eu un véritable acharnement contre mon frère. Il a souvent été convoqué, auditionné par la police pour qu’il dévoile ses sources”, explique la jeune femme. “Rabah est professionnel. Il ne publie jamais un article sans s’assurer de la véracité des faits et des propos. Il est prêt à parcourir des distances pour vérifier lui-même les informations”, poursuit-elle.
En effet, selon le journal Liberté, pour lequel Rabah Karech travaille, il lui est reproché la “création d’un compte électronique consacré à la diffusion d’informations susceptibles de provoquer la ségrégation et la haine dans la société”, la “diffusion volontaire de fausses informations susceptibles d’attenter à l’ordre public” et “l’usage de divers moyens pour porter atteinte à la sûreté et l’unité nationale”. L’un des rédacteurs en chef de Liberté, Hamid Saidani confirme ces pressions subies par Rabah Kareche. “D’une certaine manière, cela vient ponctuer ces intimidations qu’avait connues notre journaliste. Mais jusque-là, cela n’avait jamais dépassé le stade des auditions auprès de la police, et des services de sécurité. Cela n’était jamais allé au stade de la justice”, déclare-t-il.
Son mandat de dépôt a donc surpris tout le monde, y compris ses collègues. "On a été choqué qu’un journaliste soit en prison pour ses écrits, alors qu’il n’a fait que rendre compte d’une manifestation organisée par des citoyens algériens contre ce nouveau découpage administratif”, explique Hamid Saidani. “Visiblement c’est un sujet qui dérange les autorités locales”, ajoute-t-il. La direction du journal Liberté a d'ailleurs publié un communiqué après l'arrestation de son correspondant à Tamanrasset.
La région de l'Ahaggar, dans les environs de Tamanrasset est une zone sensible, frontalière de nombreux pays, considérée comme à risques. Rabah Kareche y couvrait de nombreux sujets, selon son rédacteur en chef. "Liberté est un des seuls organes de presse à avoir un correspondant sur place. Rabah a beaucoup travaillé sur les questions liées aux migrants, à la traite humaine. À chaque fois, ça a donné lieu à des auditions auprès de la police. Ça faisait partie de ces intimidations pour le forcer à ne pas traiter ces questions", déclare Hamid Saidani. "À aucun moment, on ne pouvait s'attendre qu'on envoie en prison un journaliste pour avoir couvert une manifestation de citoyens", s'étonne-t-il.
Pour la soeur du journaliste, il s'agit bien d'une tentative d'intimidation. "Ils ont montré ce qui peut arriver si jamais on conteste la moindre décision, la moindre action des autorités", déclare Nacera Oukil. "C'est une volonté de faire taire les journalistes, et on bafoue leur liberté d'expression et celle de la presse", poursuit-elle.
SA PLACE N’EST PAS EN PRISON
— Liberté (@JournaLiberteDZ) April 21, 2021
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Les chefs d'accusation sont d'ailleurs un des moyens de museler la presse, selon Hamid Saidani. "Les autorités ont fait leurs propres interprétations avec des accusations infondées. Ça ne tient pas debout, on accuse un journaliste de porter atteinte à l'ordre public, à la sûreté nationale. L'interprétation de la loi est abusive, on peut y mettre tout et n'importe quoi, ça reste très vague", déplore le rédacteur en chef de Liberté. Pour lui, ce genre d'accusation est même contraire à la loi. "La nouvelle Constitution algérienne, adoptée le 1er novembre 2020, et surtout son article 50 parle de la liberté de la presse. Il est écrit noir sur blanc que le délit de presse ne peut etre sanctionné par une peine privative de liberté", affirme-t-il.
Certains manifestants du Hirak à Alger brandissaient des photos de Rabah Kareche, ce vendredi 23 avril. Même si ce dernier ne couvrait pas ce vaste mouvement de contestation, son action va dans le même sens, selon sa soeur, Nacera Oukil. "Voir l'image de mon frère dans les marches du Hirak a du sens. Le but est le même : libérer le pays d'un gouvernement oppresseur", déclare-t-elle.
Un rassemblement pacifiste était organisé, ce dimanche 25 avril, devant le siège du journal Liberté, à Alger, en soutien à Rabah Kareche. De nombreux journalistes, activistes, responsables associatifs étaient présents pour demander sa libération. Une action que les collègues de Rabah Kareche sont prêts à réitérer. "On continuera à le faire aussi longtemps qu’il le faudra", déclare Hamid Saidani.
Rassemblement de soutien au journaliste emprisonné Rabah Kareche devant le siège du journal Liberté à Alger #FreeRabahKareche pic.twitter.com/a1dEVqKz88
— Khaled Drareni (@khaleddrareni) April 25, 2021
Mardi 27 avril, les avocats de Rabah Kareche, arrivés la veille d'Alger ont appris que la demande de liberté provisoire a été refusée. Il restera donc en prison pendant au moins deux mois, le temps que les élections législatives, prévues en juin passent, selon sa soeur. Cette dernière s'inquiète de l'état de santé de Rabah Kareche : "Son épouse a pu le voir, il est bien traité et a le moral, car il sait qu'il n'a rien à se reprocher. Elle a pu lui apporter ses médicaments car il est diabétique instable, c'est pour cette raison que nous avions fait cette demande".
"Rabah, c’est un vrai journaliste, il connait les risques du métier. il est droit dans ses bottes, il sait qu’il n’a rien fait de mal", déclare son rédacteur en chef. Même s'il admet une "inquiétude grandissante" auprès des journalistes et des activistes, ou citoyens, Hamid Saidani atteste cepandant une envie de contestation d'autant plus forte dans le pays. "À chaque fois qu’il y a de la repression pour étouffer la contestation populaire, cela la renforce. On ne peut pas empêcher les gens d’exprimer ce qu’ils pensent, que ce soit dans la rue, sur les réseaux sociaux, ou dans les rares médias qui leur donnent la parole", affirme-t-il. "Quand on veut parler de certaines choses, il faut prendre la mesure des risques qu’on encourt", conclut-il.