Une nouvelle session de négociations entre les Parlements rivaux libyens se déroule depuis lundi 8 juin, au Maroc. Sous l'égide de l'ONU, ces pourparlers sont jugés décisifs pour mettre fin à la guerre civile en Libye. L'émissaire des Nations-unies espère aboutir sur un accord pour former un gouvernement d'union nationale.
Le Parlement libyen (ou Parlement de Tobrouk), reconnu par la communauté internationale, s'est dit mécontent, mardi 9 juin, du projet d'accord proposé par l'ONU aux autorités rivales libyennes, réunies au Maroc. Il conteste notamment les "prérogatives données au Conseil supérieur de l'Etat", selon son porte-parole.
Pourtant, quelques heures plus tôt, l'émissaire de l'ONU, Bernardino Leon, avait déclaré que la quatrième mouture du projet, soumise lundi 8 juin, avait été accueillie de manière "positive" par les délégations libyennes.
M. Leon tente, depuis plusieurs mois, d'aboutir à la création d'un gouvernement d'union nationale afin de sortir la Libye de la guerre qui sévit depuis 2011, après la chute de Mouammar Kadhafi. Il espère arriver à un accord avant le début du ramadan, autour du 17 juin. De nombreux observateurs parlent de "négociations de la dernière chance".
Deux autorités rivales contre l'Etat islamique
La Libye est actuellement divisée en deux autorités : deux gouvernements et deux Parlements rivaux. L'un dans la capitale Tripoli sous la coupe de Fajr Libya, coalition de milices dont certaines islamistes. L'autre, dans l'est de la Libye, est le seul reconnu par la communauté internationale. Il est appelé "gouvernement de Tobrouk" et repose sur les forces du général Haftar.
Ces deux autorités rivales font face à la montée en puissance du groupe Etat islamique, qui a annoncé, mardi 9 juin, avoir pris la ville de Syrte, après s'être battu contre les forces de Fajr Libya. Les djihadistes contrôlent déjà l'aéroport et une centrale thermique de cette ville, selon le Centre américain de surveillance des sites islamistes SITE.
Pression internationale
Les délégations lybiennes sont sous la pression de la communauté internationale, inquiète de l'implantation de l'EI dans le pays. A l'issue de leur sommet qui s'est conclu, lundi, en Allemagne, les pays du G7 ont exhorté les gouvernements libyens à prendre des "décisions politiques audacieuses".
Ce mercredi 10 juin, à Berlin, les délégations rivales poursuivent leur dialogue avec l'émissaire de l'ONU. Le Parlement de Tobrouk, qui s'est dit mécontent du projet d'accord, ne sera pas officiellement représenté lors de cette rencontre avec des dirigeants internationaux.
4 questions à Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen
Pourquoi parle-t-on de « négociations de la dernière chance » ?
C’est la dernière tentative de négociation, après trois tentatives. Les Nations Unies ont dit que ce serait la dernière. De plus, l’émissaire de l'ONU a épuisé toutes les moutures de projets, qui a chaque fois, ont été modifiés par les belligérants.
Vous l'avez dit, ce n'est pas la première tentative de l'ONU. Qu’est-ce qui bloque dans les négociations ?
Il y a des milices révolutionnaires, de l’est à l’ouest de la Libye, qui posent des conditions draconiennes et qui bloquent ce processus de négociations. Proposer un gouvernement de compétence nationale et d’union nationale, cela signifie qu'un gouvernement doit disparaître, qu'il faut fonder une nouvelle armée. Le plan des Nations-Unies est graduel, mais très ambitieux.
Ce plan signifie aussi la fin des privilèges donnés par les révolutionnaires qui ont acquis une nouvelle stature, une promotion sociale, grâce à la guerre. Cela veut dire également la fin des privilèges de plusieurs militaires et hommes politiques. A l'est de la Libye, le général Haftar n’aura aucune place à jouer, et évidemment cela fait grincer des dents dans cette région.
Dernier élément, l’influence internationale est très importante. On connait les relations entre l’Egypte et la Libye. L’Egypte qui est finalement partante pour une intervention militaire, n’a jamais montré un quelconque enthousiasme quant à une feuille de route politique en Libye.
Quels sont les enjeux derrières ces pourparlers ?
L'enjeux est de dissoudre les deux gouvernements qui se disputent et qui ne contrôlent pas grand chose. Il faut dissoudre les deux parlements, les milices militaires et les faire intégrer dans une nouvelle entité militaire. Mais surtout, il faut doté la Libye d’une nouvelle entité politique. Aujourd’hui, le seul élément positif dans la réunion de Rabat, est le fait, qu'en Libye, il y a une situation financière catastrophique et le menace de l’Etat islamique mais aussi un engagement plus sérieux de la part du conseil de sécurité pour soutenir Monsieur Bernardino Leon, l'envoyé spécial de l'ONU.
La menace de poursuites judiciaires contre toutes les personnes qui sabotent le processus politique et la menace de l’Etat Islamique accélèrent les démarches vers un accord. Et s’il n’y a pas d’entente entre les deux gouvernements, c’est l’Etat islamique qui va gouverner le pays. L'Etat islamique est un argument de taille qui facilitera les négociations. Cela va modérer un peu la position des belligérants.
Que pourrait-il se passer si les négociations de paix échouent ?
Si les négociations de paix échouent, la dynamique de guerre va l’emporter et la Libye va s’enfoncer dans une spirale de violence avec des conséquences dramatiques pour la population libyenne et les pays voisins. Cela signifierait qu’il n’y a aucune perspective de paix.