Fil d'Ariane
La République démocratique du Congo doit élire son président le 20 décembre 2023. L’actuel président Félix Tshisekedi est candidat à sa réélection. Du côté de l’opposition, quatre candidats sont déclarés. Comment s’organise l’opposition en amont du scrutin ?
ors d'une réunion à Lubumbashi, Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Augustin Matata et Delly Sessanga, quatre candidats congolais déclarés à la présidentielle, ont annoncé des actions communes contre le président sortant.
Candidat déclaré à sa succession de longue date, Félix Tshisekedi brigue un deuxième mandat à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) en décembre. Le 29 avril, ses partisans se sont rassemblés au stade des Martyrs de Kinshasa pour la présentation de la coalition électorale du président sortant. Celle-ci, nommée “l’Union sacrée de la nation”, rassemble la majorité mise en place par Tshisekedi en 2020, lorsqu’il a renversé la majorité constituée autour de son prédécesseur, Joseph Kabila, après deux ans de co-gestion du pouvoir par les deux hommes.
Du côté de ses adversaires, quatre opposants ont annoncé le 14 avril avoir décidé de s’unir “pour mener des actions communes en vue d’obtenir l’organisation dans les délais constitutionnels d’élections transparentes, impartiales, inclusives et apaisées.” Il s’agit de l'ex-candidat à la présidentielle de 2018 Martin Fayulu (EciDé, ou Engagement pour la citoyenneté et le développement), l'ex-gouverneur du Katanga Moïse Katumbi (Ensemble pour la République), l'ancien Premier ministre Augustin Matata (LGD, ou Leadership et gouvernance pour le développement) et le député Delly Sesanga (Envol de la RDC). Ils prévoient une première manifestation à Kinshasa. Initialement prévue le 13 mai, elle a été reportée pour des raisons de sécurité. Les autorités souhaitaient qu'elle se tienne le 18 mai, l'opposition a finalement choisi la date du 20 mai.
Il n’y a pas beaucoup d’éléments qui filtrent qui garantissent que le processus va se passer dans de bonnes conditions.
Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'Université de Liège
L’opposition prévoit cette manifestation afin d’alerter sur les potentielles dérives du processus électoral. Selon Bob Kabamba, professeur de science politique à l’Université de Liège, ce processus est “assez opaque.” Il estime qu’il “n’y a pas beaucoup d’éléments qui filtrent qui garantissent que le processus va se passer dans de bonnes conditions.” Un premier problème réside au niveau de la constitution de la liste électorale, au niveau de l'enrôlement des électeurs. “Les rapports de l’Église catholique et de l’Église protestante (NDLR : elles ont mis en place une mission électorale conjointe) sur l’enrôlement montrent qu’ils ont constaté beaucoup d’irrégularités, explique Bob Kabamba. Celles-ci n’ont pas été commentées par la cellule électorale.”
Une autre inquiétude concerne les questions budgétaires. “La cellule n’a jamais publié un budget officiel, commente Bob Kabamba. Il n’y a pas non plus ce qu’on appelle un plan de décaissement, pour savoir plus ou moins comment le gouvernement congolais intervient dans les financements des processus électoraux.” Enfin, l’audit externe du fichier électoral suscite aussi des interrogations. “L’Organisation Internationale de la Francophonie, qui devait venir auditer le fichier, a décliné l’offre, raconte le professeur de sciences politiques. À la place, la Céni a engagé des experts pour essayer de faire cet audit du fichier électoral.” Cette mission doit s’achever le 20 mai.
L’opposition veut montrer qu’ils sont vigilants, qu’ils peuvent aussi mobiliser et qu’ils vont occuper le terrain pour dire qu’ils ne sont pas d’accord avec ce qui est en train de se passer.
Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'Université de Liège
Tous ces éléments sont les raisons qui ont poussé l’opposition à organiser la manifestation du 20 mai. “Ils essayent de montrer qu’ils ne vont pas accepter n’importe quelle posture électorale”, poursuit Bob Kabamba. “L’opposition veut montrer qu’ils sont vigilants, qu’ils peuvent aussi mobiliser et qu’ils vont occuper le terrain pour dire qu’ils ne sont pas d’accord avec ce qui est en train de se passer”, décrit-il. Les questions liées à l’insécurité dans l’est du pays en raison du conflit avec le M23, mais aussi la vie chère à Kinshasa s’ajoutent aux revendications.
Pour l’instant, ces quatre personnes ont décidé de mener des actions communes pour obliger le gouvernement congolais à organiser correctement les choses.
Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'Université de Liège
Cette alliance est composée de quatre membres de l'opposition issus de formations politiques différentes. S’ils font front commun pour le moment au niveau de leurs revendications, est-ce que cela sera toujours le cas à mesure que la date du scrutin présidentiel approchera ? “Pour l’instant, ces quatre personnes ont décidé de mener des actions communes pour obliger le gouvernement congolais à organiser correctement les choses, explique Bob Kabamba. Ils décideront plus tard qui sera candidat ou est-ce qu’ils enverront un candidat unique pour l’élection.”
Cependant, certaines inconnues subsistent par rapport à la constitution de cette alliance d’opposition.”Il y a une personnalité qui ne s’est pas encore prononcée, c’est le Dr Denis Mukwege, ajoute Bob Kabamba. Il peut aussi rejoindre les quatre membres de l’opposition et faire bloc avec eux.” En décembre 2022, le Prix Nobel de la Paix a publié une déclaration commune avec Martin Fayulu et Augustin Matata, “pour dénoncer l’inflation, la corruption et la mauvaise gouvernance et surtout contre la guerre qui est en train de sévir à l’est du pays”, énumère le professeur de sciences politiques.
Enfin, un dernier élément à prendre en compte est l’ancien président Joseph Kabila. Pour le moment, il n’a pas donné sa position. “Il n’a pas envie d’accompagner le pouvoir dans un processus électoral chaotique, détaille Bob Kabamba. Sa position commence de plus en plus à poser question au niveau de l’opinion publique congolaise, mais aussi internationale.”