Madagascar : Albert Zafy, un père de la démocratie sans héritier

L'ancien président de la République malgache Albert Zafy s'est éteint à l'âge de 90 ans sur l'île de La Réunion. Surnommé "l'homme au chapeau de paille", modeste et proche du peuple, il s'est distingué de tous les autres "politiciens", comme on dit à Madagascar. Démonstration en 5 points. 
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L'ancien président de la République malgache Albert Zafy (1993-1996) s'est éteint à l'âge de 90 ans sur l'île de La Réunion où il avait été transféré pour subir une opération à la suite d'un AVC. Ce professeur de médecine et chirurgien cardiologue devenu chef de l'Etat a porté tous les espoirs de renouveau démocratique d'une nation. Mais son échec marque la fin des illusions sur une classe politique malgache prête à tout pour conquérir le pouvoir.

1 - Le "Gorbatchev malgache" 

En 1991, c'est sur les épaules d'Albert Zafy que va reposer la lourde tâche de faire tomber le régime socialiste de Didier Ratsiraka au pouvoir sans interruption depuis 1975. Zafy se lance dans l'opposition à la faveur de la vague de libéralisation démocratique post-chute du mur de Berlin à travers le monde et en Afrique. Il est nommé comme dirigeant des Forces vives Rasalama, une large coalition qui veut en finir avec la IIe République. Leurs manifestations dans la capitale Antananarivo rassemblent des centaines de milliers de personnes. Ratsiraka est acculé, il fait tirer sur la foule qui marche vers son palais de Iavoloha en août 1991.

Les Forces vives instaurent une Haute Autorité de l'État dont Albert Zafy prend la tête alors que Rastiraka reste président sans pouvoir. Après le vote d'une nouvelle Constitution en 1992, Albert Zafy bat Didier Ratsirika l'année suivante au second tour de la présidentielle avec 66% des voix. Pour l'éditorialiste Sylvain Ranjalahy, Zafy "c'est le Gorbatchev malgache". 

2 - L'"homme au chapeau de paille"

Originaire de la commune d'Ambilobe à la pointe nord de l'île, Albert Zafy a constamment fait preuve d'une profonde modestie. 

Il est surnommé "l'homme au chapeau de paille", celui qu'il portait du temps des manifestations monstres de l'opposition sur la place du 13 mai à Tana, sans doute pour se protéger du soleil. Un chapeau typique de paysan sur la tête du futur président de Madagascar, symbole de sa proximité avec le peuple.

Une proximité qu'il traduit par des gestes forts : lorsqu'il devient président, il sillonne sans relâche le pays en 4X4 pour mieux connaitre les réalités du terrain jusque dans les coins les plus reculés.

3 - Le père de la démocratie malgache

De tous les présidents malgaches, Zafy est le seul à avoir appliqué à la lettre les principes démocratiques qui régissent officiellement le pays. En premier lieu, la liberté d'expression, insiste le journal l'Express de Madagascar. En effet, le président Albert Zafy permet à Didier Ratsiraka son adversaire d'intervenir par téléphone sur les médias nationaux! Un cas unique.
 
Par ailleurs, c'est sous l'ère Zafy que vont éclore de nombreuses radios et télés privées, après la longue période de censure du régime socialiste. De même, la société civile malgache va profiter de ce moment de liberté.

Vainqueur majestueux, Zafy est aussi bon perdant. Trop bon perdant même pour certains puisqu'il ne cherche même pas à contester le retour victorieux de Rastiraka lors de la présidentielle de 1996. 

4 - Un homme politique victime des politiciens

La présidence d'Albert Zafy finit mal. Au bout de trois ans, il doit quitter le pouvoir à la suite d'un vote de destitution par les parlementaires en 1996. Il cède la présidence par intérim à Norbert Ratsirahonana, le chef du gouvernement. En conflit avec ses Premiers ministres, le président Zafy a chuté dans un climat obscur d'intrigues politiciennes qui l'ont dépassées. Au final, c'est un sentiment de gachis qui prévaut.

Celui sur qui reposait tous les espoirs de la foule de la place du 13 mai est désacralisé au rang de politicien qui trempe dans des affaires douteuses.

Pourtant, à la différence de beaucoup d'autres, Albert Zafy n'a jamais fait étalage d'une accumulation de richesses, avant, pendant et après sa présidence. 

5 - Le promoteur décrié de la réconciliation nationale

La crise politique de 2002 à Madagascar marque une rupture par son intensité et le fossé qu'elle creuse. Au plus fort des événements, la Grande Île se scinde en deux territoires: les régions littorales contre les terres centrales, avec chacun leur capitale. Derrière cela se greffe un clivage ethniciste qui oppose les côtiers (composés de plusieurs ethnies Sakalava, Betsimisaraka, Antakarana, Antandroy etc.) aux gens des Hauts-Plateaux (Merina et Betsileo).

Albert Zafy se retrouve dans le camp de Didier Ratsiraka, natif de la côte est, qui veut organiser un blocus. En vain, ce dernier s'enfuiera en exil. Zafy lui reste, il va créer le Comité de réconciliation nationale et s'opposera au président Ravalomanana. Mais de fait, il a perdu son autorité morale dans les régions des Hauts Plateaux où ses prises de positions sont perçues comme extrémistes par certains.

Lors du putsch de 2009 et la prise de pouvoir d'Andry Rajoelina, Albert Zafy garde ses distances avec le régime mis au ban de la communauté internationale. L'ancien président reprend de la hauteur en participant assidûment aux efforts de sortie de crise et réapparaît alors sous son vrai visage, comme un authentique père de la nation.